Son nom est «de Villiers», «Pieter de Villiers» ; et aujourd'hui Pieter vit un calvaire. A ceux qui, parmi nos lecteurs au sein de la Confédération helvétique ou ailleurs ne seraient guère versés dans le monde du jeu de rugby (ses légendes et ses fastes, ses vertus et ses outrances), il nous faut préciser d'emblée que Pieter de Villiers, Sud-africain d'origine, depuis peu naturalisé Français, est l'un des meilleurs piliers du monde. «Pilier» ? Pour ce sport qui, depuis un peu plus d'un siècle, se joue à quinze, les piliers on en compte deux par équipe, encadrant un «talonneur», le tout formant la «première ligne» sont un peu ce que peut être Atlas au globe terrestre. Plus qu'un soutien, une raison d'être et de continuer à vivre. Ajoutons que le rugby, parce qu'il impose d'offrir la balle de la main à la main, parce que le mouvement montant ne peut se faire qu'en offrant cette balle vers l'arrière, parce qu'il réclame toute la variété des physiques masculins existant dans le monde, est l'un des plus beaux sports qui soit. Au-delà des affrontements herculéens, des placages, des virilités parfois mal maîtrisées ou des empoignades disgrâcieuses, on peut y lire sans grand mal le courage, l'honneur, la codification de la violence, l'amitié et le respect de l'autre ; une forme contemporaine du savoir-vivre.Pieter sait tout cela et en goûte les joies depuis plusieurs années déjà. Comme l'écrit aujourd'hui le richissime et talentueux Pierre-Michel Bonnot dans le quotidien L'Equipe, celui qui a vu le jour à Darling, petit village planté à soixante-dix kilomètres de Capetown, a, depuis son arrivée en France en 1995, effectué un parcours sans faute. Sa carrière, dit Bonnot, «aura eu la blancheur du plastron amidonné de frais : pas un accroc, pas un carton rouge, pas une embrouille. L'image même du professionnalisme dans ce qu'il a de plus recommandable.» Double champion de France en 1998 et en 2000, vainqueur de toutes les nations du monde avec l'équipe de France, citoyen français depuis l'automne, porte-drapeau d'une association «Enfance et partage» de défense des enfants battus, propriétaire d'un restaurant baptisé «Le Stade», Pieter de Villiers était un modèle.L'est-il encore ? En toute rigueur, il faudra attendre les résultats de la contre-expertise avant de conclure. Mais le mal, d'ores et déjà, est fait. Hier, L'Equipe révélait que les résultats des analyses faites sur un échantillon d'urines avaient révélé les stigmates biochimiques de la consommation de cocaïne et d'ecstasy. Un contrôle inopiné effectué à la mi-décembre dans le cadre de la lutte contre le dopage qui se développe en France ; ou plus exactement qui se développe plus dans certains secteurs sportifs que dans d'autres. Et le rugby est de ceux-là, la culture propre à ce jeu étant aux antipodes de ce qui prévaut dans d'autres, à commencer par le cyclisme.Pieter de Villiers «dopé» ? L'information fit, dans le monde du rugby, plus de bruit qu'une bombe. Quelques médias reprirent les mises en garde formulées il y a quelques années par des entraîneurs inquiets des dérives inhérentes à la professionnalisation de ce qui, hier encore, n'était qu'une joute festive ; des entraîneurs qui voyaient certains joueurs glisser irrésistiblement vers le monde du spectacle, ses outrances et ses quêtes, nocturnes ou non, de plaisirs illicites. Que ne les entendit-on pas, alors ?Car que nous dit Pieter de Villiers ? Outre sa souffrance d'être ainsi mis au pilori, les circonstances qui expliqueraient ce contrôle urinaire positif. Jurant ne s'être jamais «drogué», il confie que le 14 décembre après la victoire de son équipe contre celle, britannique, des Harlequins, il a «fait une grosse troisième mi-temps». «On a bu des bières, beaucoup de bières
C'est la faute que j'ai commise, mais la troisième mi-temps a toujours existé et on ne boit pas comme cela tous les week-ends. On a commencé dans mon restaurant, puis on est allé dans une boîte à Paris et à un «after». D'un coup je me suis senti mal (
). Peut-être qu'on a mis de la drogue dans mon verre.» Tout est dit. Les mots sont là, les pauvres mots qui témoignent de l'évolution de ce sport et de ceux qui le pratiquent, la mutation qui fait de ces professionnels des travailleurs du spectacle.«Quand on est un sportif de haut niveau, on a des devoirs, il faut faire rêver les enfants, mais avec ce genre d'incidents, on ne fera rêver personne, assène Bernard Laporte, l'austère sélectionneur de l'équipe de France de rugby. Je connais bien Pieter et pour moi il est impossible qu'il se dope régulièrement. Je sais que Pieter a connu des difficultés dernièrement dans sa vie privée, et qui sait, au lieu de boire dix whiskies, il a peut-être pris quelque chose pour se remonter. Ce n'est qu'un homme après tout.»Belle épitaphe. Et qu'on se le dise : les gladiateurs du troisième millénaire sont officiellement privés de dopage ; du moins pour l'instant.