Le mycophénolate mofétil est un immunosuppresseur, utilisé en transplantation d'organes solides depuis 1993. Il agit par inhibition de la synthèse de novo des bases puriques, voie essentielle permettant la prolifération des lymphocytes B et T. Des mécanismes immunologiques impliquant les lymphocytes interviennent dans un bon nombre de glomérulopathies primitives ou associées à des maladies auto-immunes systémiques. Il a paru ainsi logique de prescrire ce médicament dans ces maladies où les traitements immunosuppresseurs classiques se caractérisent par une efficacité imprévisible et une toxicité souvent importante. Les résultats thérapeutiques les plus convaincants ont été obtenus dans les néphrites lupiques prolifératives et les vasculites pauci-immunes.
Le mycophénolate mofétil (MMF, CellCept®) agit par inhibition de la synthèse de novo des purines, voie métabolique essentielle permettant aux lymphocytes de proliférer (fig. 1). Il possède aussi d'autres effets particulièrement intéressants : il interfère avec les phénomènes d'adhésion cellulaire, étape clé du phénomène inflammatoire1-4 et il inhibe la prolifération des cellules mésangiales5 et des cellules musculaires lisses vasculaires.6
Utilisé depuis 1993 en transplantation d'organes solides, l'efficacité du MMF a été bien démontrée dans de grandes études comparatives, multicentriques pour la prévention du rejet aigu et pour ralentir l'évolution de la néphropathie chronique de transplantation.7-10 Son efficacité immunosuppressive et sa bonne tolérance lui ouvrent d'intéressantes perspectives dans le traitement de diverses glomérulopathies où les cellules mononucléées sont souvent impliquées.
Le mycophénolate mofétil (MMF) est l'ester 2-morpholinethyl de l'acide mycophénolique (MPA) qui est la forme active de la molécule. Il s'agit d'un inhibiteur sélectif, non compétitif et réversible de l'inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH). Cette enzyme est impliquée dans la synthèse de novo des nucléotides puriques. Il existe en effet deux voies de synthèse des purines : la voie de sauvetage utilisant les bases puriques (adénine, guanine) provenant de la dégradation des acides nucléiques et la voie de novo utilisant un précurseur, le 5-phosphoribosyl 1-pyrophosphate. L'inhibition spécifique de la voie de novo touche spécifiquement les lignées lymphocytaires qui ne peuvent pas avoir recours à la voie de sauvetage. Le MPA épargne donc les autres lignées cellulaires qui peuvent recourir à cette deuxième voie de synthèse.11
Le MMF est rapidement absorbé après une prise orale avec une biodisponibilité de 94%. Il est complètement hydrolysé en MPA par désestérification par le foie, puis le MPA subit une glucuroconjugaison en un métabolite inactif : le MPA glucuronide. La liaison aux protéines plasmatiques est de 97%. L'élimination du MPA n'est pas influencée par la fonction rénale, contrairement à son métabolite majeur, le MPA glucuronide. Ce métabolite n'a pas d'effet immunosuppresseur en soi, mais il est impliqué dans la toxicité gastro-intestinale.12 Du point de vue néphrologique, il est utile de préciser que la fraction libre peut être augmentée en cas de syndrome néphrotique et que l'épuration extrarénale (hémodialyse et dialyse péritonéale) n'influence pas les taux de MPA et de MPA glucuronide.13
L'inhibition de l'IMPDH par le MPA interrompt le cycle cellulaire en phase G1, inhibant ainsi la prolifération des lymphocytes. In vitro, les réponses prolifératives des lymphocytes à différents mitogènes sont inhibées en présence de faibles concentrations de MPA. L'action inhibitrice sur l'IMPDH induit une déplétion en dérivés guanosiques.2
Les molécules d'adhésion participent activement à la réaction inflammatoire en permettant l'activation de la réponse immune par interactions entre les cellules présentant les antigènes et les lymphocytes, mais également par le recrutement des cellules inflammatoires sur le site lésionnel en favorisant l'adhésion des leucocytes aux cellules endothéliales. La déplétion cellulaire en GTP, transporteur du mannose et du fructose vers les protéines, provoque un défaut de la glycosylation des molécules d'adhésion des lymphocytes activés, des monocytes et des cellules endothéliales, notamment le VLA-4, un des ligands responsables de l'adhésion des lymphocytes aux cellules endothéliales.2,3,4 Le résultat fonctionnel est la diminution de l'adhésion et de la translocation des lymphocytes à travers l'endothélium et une diminution du recrutement des lymphocytes au site de l'inflammation.
La production de certaines cytokines pro-inflammatoires est également modifiée. Des études in vitro et in vivo ont montré la suppression par le MMF de la production de g-interféron et de TNF, mais pas de l'IL-6.14
In vitro, le MPA inhibe la formation d'immunoglobulines (Ig) par les lymphocytes B activés par la protéine A staphylococcique. In vivo, cet effet a été mis en évidence chez l'homme (transplantés rénaux) aussi par une diminution des taux sanguins d'Ig totales15 et en réponse aux vaccinations.16
In vitro, à des concentrations plus importantes pouvant aussi être atteintes en thérapeutique, le MPA a un effet antiprolifératif sur les cellules musculaires lisses vasculaires et ce malgré l'addition de différents mitogènes (angiotensine II, bFGF).6 Un tel effet n'a pas été observé avec la ciclosporine (CsA) ou le tacrolimus. Des résultats intéressants confortant l'hypothèse d'un effet vasculaire bénéfique du MMF ont été montrés dans une étude comparant le MMF à l'azathioprine (Aza) chez près de 600 patients greffés cardiaques traités par corticoïdes et ciclosporine.17 La survie à trois ans était significativement plus importante dans le groupe MMF et les lésions vasculaires du greffon, évaluées par échographie doppler endocoronaire, étaient réduites. Cet effet antiprolifératif sur les cellules musculaires lisses vasculaires est intéressant car certaines glomérulopathies s'accompagnent de lésions vasculaires avec des lésions d'endartérite fibreuse aboutissant à des microthromboses comparables aux lésions observées dans les rejets vasculaires.
La toxicité gastro-intestinale est au premier plan.18 Elle est dépendante de la dose et se manifeste le plus souvent par des diarrhées. Une nouvelle formulation (mycophénolate de sodium : Myfortic®) qui devrait avoir une meilleure tolérance digestive sera prochainement à disposition sur le marché. La toxicité hématologique, également dose-dépendante est moins fréquente que celle de l'azathioprine (tableau 1).19,20 Une agranulocytose (21
Sur le plan infectieux, la survenue d'infections opportunistes est comparable à celle de l'Aza. Le seul risque plus important est la plus grande fréquence d'infections invasives à CMV pour une dose de 3 g/j de MMF.19-21
MMF et lupus érythémateux disséminé (LED)
Divers modèles murins de LED ont permis de démontrer l'efficacité du MMF.22,23 McMurry et coll.26 ont étudié des souris NZB/NZW F1, dont les femelles meurent pratiquement toutes à une année de néphrite lupique. Le MMF a permis d'éviter le développement de la néphrite lupique, de contrôler la production des auto-anticorps et de prolonger la survie des souris. Chez l'homme, les premiers cas publiés de néphrites lupiques résistant au cyclophosphamide (CYC) et répondant au MMF ont été publiés en 1998. Le MMF était prescrit en monothérapie ou en association avec de la prednisone. Quatre séries ont été publiées, totalisant 31 patients.24-27 Un effet favorable a été en général obtenu dans le contrôle de l'activité du lupus, de la récupération de la fonction rénale et de la diminution de la protéinurie, permettant, entre autres, de diminuer les doses de stéroïdes. Des effets secondaires sévères ont été observés chez un quart des patients et ont amené l'arrêt du MMF chez quatre d'entre eux. Cependant, il est difficile de tirer des conclusions de telles études en raison de l'exposition antérieure à d'autres immunosuppresseurs et du biais de publications positives. Elles permettent néanmoins de mettre en évidence la possibilité d'utiliser du MMF en tant que traitement de sauvetage.
L'utilisation du MMF en traitement d'entretien a été évaluée après une induction de six mois par CYC intraveineux (i.v.) et stéroïdes. L'Aza, le CYC i.v. et le MMF ont été comparés dans le maintien de la rémission. Ils se sont montrés d'efficacité équivalente.28 Une seule étude randomisée en double aveugle, comprenant 42 patients, a étudié le MMF dans le traitement de néphrites lupiques prolifératives.29 Dans cette étude, un groupe a reçu un traitement de CYC p.o. et de prednisolone pendant six mois, puis d'Aza et de prednisolone pendant six autres mois ; l'autre groupe a reçu du MMF (6 mois 2 g/j et 6 mois 1 g/j) et de la prednisolone pendant douze mois. Les résultats sont identiques : 81% de rémission complète et 14% de rémission partielle dans le groupe MMF et 76% de rémission complète et 14% de rémission partielle dans le groupe CYC. Les effets secondaires étaient cependant moins fréquents dans le groupe MMF, en particulier la toxicité gonadique. D'autres publications ont montré un intérêt du MMF dans les cas de LED réfractaire au CYC i.v. et à la ciclosporine30 et dans la prise en charge des LED de l'enfant, où des traitements sans stéroïdes sont recherchés.31
L'association CYC et stéroïdes représente le traitement d'induction d'une rémission des vasculites rénales pauci-immunes associées à la présence d'anticorps antineutrophiles (ANCA). Afin de limiter la toxicité cumulée du CYC, il est primordial de le remplacer par un autre immunosuppresseur moins toxique dès la rémission obtenue. Dans une étude prospective, onze patients atteints d'une vasculite rénale à ANCA (maladie de Wegener, n = 9 et micropolyangéite, n = 2) ont reçu un traitement d'entretien de MMF 2 g/j et de stéroïdes après trois mois de traitement de CYC p.o. et de stéroïdes. Dix patients sont restés en rémission durant la période de suivi de 15 mois, alors que le onzième a récidivé à 14 mois. Le MMF a été bien toléré, sans effet secondaire sévère.32
Des cas de traitement de sauvetage, après échec ou non-tolérance du CYC, de maladie de Wegener et de micropolyangéite sont rapportés souvent de façon isolée et sont vraisemblablement suspects de biais de publications positives.33-35
La HSF est devenue la première cause de syndrome néphrotique primitif chez l'adulte dans les pays industrialisés. Sans traitement, une évolution vers l'insuffisance rénale terminale est observée chez pratiquement tous les patients néphrotiques dans les cinq à dix ans suivant le diagnostic.
L'administration de hautes doses de stéroïdes pendant quatre à neuf mois permet d'obtenir des taux de rémission complète ou partielle du syndrome néphrotique, associée à une stabilisation de la fonction rénale, dans 30 à 70% des cas selon les études.36-39 Les agents alkylants (CYC et chlorambucil) apportent peu de bénéfices supplémentaires. Leur efficacité est la meilleure chez les patients déjà corticosensibles, mais va en ordre décroissant chez les patients corticodépendants et corticorésistants. Leur principal avantage par rapport aux stéroïdes est l'obtention d'une période sans rechute plus longue, une fois la rémission obtenue.37
Peu d'études concernent le MMF. Briggs et coll. ont publié40 18 cas de HSF, dont deux tiers avaient une insuffisance rénale et la moitié un syndrome néphrotique, malgré un traitement par inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IECA) ou antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II (AIIRa). Le MMF (0,75 g à 2 g/j), seul ou associé à des stéroïdes, a été prescrit en raison d'une corticorésistance ou dépendance, une CsA-dépendance et/ou une détérioration de la fonction rénale. Deux patients sont entrés en rémission complète, six en rémission partielle et deux n'ont pas répondu au traitement. Il n'y a pas eu de modification significative des valeurs de créatinine. Les stéroïdes, la CsA et l'Aza ont pu être sevrés chez la majorité des patients. Chez un patient, le MMF a dû être interrompu en raison d'une perturbation des tests hépatiques (abus d'alcool concomitant).
Deux autres séries de HSF n'ont pas montré d'efficacité du MMF. Radhakrishnan et coll.41 ont prescrit du MMF 0,5 à 2 g/j avec stéroïdes et IECA pendant 28 semaines à onze patients cortico-, CYC- et/ou CsA-résistants. Ils ont observé une diminution significative de la protéinurie, mais elle est restée de niveau néphrotique chez la plupart des patients, sans modification significative de la fonction rénale. Al-Lehbi et coll.42 ont rapporté les cas de dix patients traités par 1 à 2 g/j de MMF pendant six mois avec stéroïdes et IECA sans effet sur la protéinurie et la créatinine sérique.
Il s'agit de la glomérulopathie primitive la plus fréquente dans le monde. Son évolution peut être défavorable avec près d'un quart des patients évoluant vers l'insuffisance rénale terminale après une vingtaine d'années. Il n'y a pas à ce jour de traitement d'efficacité prévisible.
Sur le plan expérimental, le MMF a montré un intérêt potentiel dans sa capacité d'inhiber in vitro la prolifération mésangiale chez l'homme.5 Des modèles animaux de glomérulonéphrite proliférative mésangiale se rapprochant de la néphropathie à IgA ont également mis en évidence un intérêt thérapeutique potentiel du MMF.43
Chez l'homme, jusqu'à présent, le MMF a été prescrit à de petits groupes de patients dans des études non contrôlées. Chen et coll.44 ont rapporté une série de douze patients traités pendant trois mois avec 1 à 1,5 g/j de MMF seul (n = 9) ou associé à une corticothérapie. La protéinurie a diminué de manière non significative et la fonction rénale est restée inchangée. Quelques autres patients ont vu une évolution favorable de la fonction rénale et de la protéinurie avec du MMF, stéroïdes et/ou CsA.45 Les résultats les plus probants disponibles pour l'instant concernent la diminution du risque de récidive de la néphropathie à IgA sur le transplant.46
Peu d'informations sont disponibles dans cette indication. Dans la série de Choi,40 sept patients adultes avec LGM ont été traités par du MMF en raison d'une cortico et/ou CsA- dépendance. Trois ont eu une rémission complète, trois une rémission partielle, deux parmi les répondeurs ont rechuté aboutissant chez l'un d'eux à une dépendance au MMF, enfin un patient n'a pas répondu.
Dans le modèle animal de GEM, la néphrite de Heymann, le MMF prévient la survenue des lésions, pour autant qu'il soit administré suffisamment tôt.47 Chez l'homme, le MMF a été utilisé en traitement de sauvetage. Miller et coll.48 ont rapporté seize patients avec GEM idiopathique et syndrome néphrotique, quinze étaient résistants aux stéroïdes seuls ou associés au CYC (n = 6) ou à la CsA (n = 5). La dose de MMF était de 0,5 à 2 g/j, la durée du traitement de huit mois en moyenne. Les résultats obtenus sont les suivants : on a observé chez six patients une diminution de la protéinurie après une moyenne de six mois de traitement et chez deux autres une rémission partielle (diminution de > 50% de la protéinurie). Il n'y a pas eu de modification significative des valeurs moyennes de créatinine et d'albumine sérique, mais une diminution significative des taux moyens de cholestérol. Peu d'effets secondaires ont été rapportés dans cette étude. Dans une autre étude, une diminution de la protéinurie a été observée chez six patients.49 Dans la série de Briggs et coll.,41 dix-sept patients ont été traités par MMF seul (n = 3) ou associé à des stéroïdes après avoir présenté une cortico- ± CsA ou CYC dépendance, cortico- ou CsA-résistance, une intolérance aux stéroïdes ou à la CsA, une réponse insuffisante à la CsA ou une IR progressive. Une réduction de la protéinurie a été obtenue chez quinze patients, dont deux rémissions complètes et huit rémissions partielles (diminution de > 50% de la protéinurie). Deux patients ont rechuté à l'arrêt du MMF et ont répondu à un nouveau traitement. Parmi les six patients qui présentaient une insuffisance rénale au début du traitement, une diminution de la créatinine a été observée chez trois d'entre eux, et une augmentation de 10% après 17 mois de traitement. A relever que quatorze patients recevaient simultanément des bloqueurs du système rénine-angiotensine. L'évolution sous MMF a permis un sevrage des stéroïdes, de la CsA, du CYC dans la majorité des cas. Quatre patients sont restés dépendants du MMF. On relève trois arrêts du MMF en raison d'une gastrite érosive, d'une pneumonie et d'un carcinome épidermoïde de la peau. Dans cette étude, le taux de réponse au MMF était donc semblable à celui de la CsA publié dans la littérature.
L'utilisation du MMF dans les glomérulopathies n'a pas fait l'objet d'études atteignant la qualité de celles effectuées en transplantation. A l'heure actuelle, les résultats les plus convaincants ont été obtenus dans le traitement d'induction et d'entretien des néphrites lupiques et celui d'entretien des vasculites rénales pauci-immunes où son efficacité est identique aux traitements conventionnels, tout en ayant moins d'effets secondaires graves. Le MMF représente donc désormais une alternative à prendre en compte dans le traitement de ces maladies. Les résultats dans les glomérulonéphrites primitives sont moins convaincants. En effet, les études concernent de petits collectifs de patients, ne sont pas contrôlées et le MMF y est souvent prescrit en deuxième ligne. Son potentiel thérapeutique semble être le meilleur dans les néphropathies à IgA et les GEM. Concernant la HSF et les LGM, les résultats sont à ce jour trop contradictoires pour pouvoir recommander le MMF en traitement de première ligne. Son intérêt réside aussi dans la possibilité de supprimer ou de diminuer les doses des autres immunosuppresseurs (CYC, CsA, Aza, corticoïdes) sans posséder les effets secondaires métaboliques de ces derniers. Il présente cependant les mêmes inconvénients de résistance ou de dépendance que les autres immunosuppresseurs, sans qu'on puisse aujourd'hui prédire les facteurs de réponses favorables.