Les maladies cardiovasculaires dont la prévalence chez le patient en insuffisance rénale chronique terminale est dix à trente fois supérieure à la population générale, représentent la première cause de mortalité. L'hypertrophie ventriculaire gauche, l'insuffisance cardiaque et l'athérosclérose sont les principales responsables de la morbi-mortalité cardiovasculaire.Parmi les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels identifiés par l'étude de Framingham, seuls le sexe masculin, la race blanche, le diabète sucré et le tabagisme sont retrouvés chez le dialysé. Les facteurs traditionnels étant insuffisants pour expliquer leur forte morbi-mortalité cardiovasculaire, des facteurs liés à l'insuffisance rénale chronique et à ses traitements ont été évoqués. Il s'agit de la protéinurie, des troubles hydroélectrolytiques, de l'anémie, de l'augmentation de la Lp(a) et de l'homocystéine, de l'état micro-inflammatoire et de l'augmentation des facteurs thrombogènes.Les stratégies d'identification et de prévention des facteurs de risque cardiovasculaire chez les patients urémiques doivent prendre en compte les facteurs de risque traditionnels ainsi que les facteurs spécifiques de l'insuffisance rénale chronique et ceci bien avant le stade terminal.
Si la morbidité et la mortalité cardiovasculaires élevées chez les patients en dialyse ont été bien démontrées, l'ampleur de ces paramètres chez les patients insuffisants rénaux chroniques (IRC) non dialysés a été moins bien définie. En effet, ces patients n'ont pas été étudiés de manière aussi attentive que les patients en dialyse et les données épidémiologiques manquaient.
En sus de la présence d'une fréquence élevée de facteurs de risque cardiovasculaire classiques chez ces patients, les données épidémiologiques disponibles démontrent en effet que l'insuffisance rénale même modérée semble être un facteur prédictif de mortalité indépendant. Les insuffisants rénaux décèdent bien plus en nombre absolu dans le stade pré-dialytique qu'en insuffisance rénale terminale. Il semble logique donc qu'une intervention cardioprotective (recherche et traitement des facteurs de risque cardiovasculaire) très en amont chez ces patients permettrait de diminuer leurs mortalité et morbidité.
En effet, les maladies cardiovasculaires (CV) représentent la principale cause de mortalité des patients souffrant d'une insuffisance rénale chronique terminale (IRCT).1 Malgré l'amélioration des traitements de suppléance, 50% des causes de décès des patients dialysés aux Etats-Unis sont d'origine CV.1 Alors que dans la population générale, depuis près de trente ans, la morbidité et la mortalité liées aux maladies CV sont en constante diminution en raison du dépistage et de la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV), elles sont en croissance dans la population urémique. C'est en 1974 que Lindner et coll. mentionnent une augmentation considérable du risque de maladie athéromateuse chez les patients hémodialysés. En 1997, ce constat a motivé les membres de la National Kidney Fundation de nommer une commission d'experts afin d'établir une stratégie préventive et thérapeutique des maladies CV chez les patients urémiques.2 Depuis, de nombreuses études épidémiologiques ont confirmé l'importance, dans la population souffrant d'IRC, de la morbi-mortalité cardiovasculaire.3-5
Les objectifs de cette revue sont de rappeler les données épidémiologiques sur la prévalence des complications CV et notamment la cardiopathie ischémique, l'hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) et l'insuffisance cardiaque (IC) chez les patients en insuffisance rénale chronique. Nous discuterons les principaux facteurs de risque traditionnels et spécifiques liés à l'IRC pour finalement aborder leur prise en charge.
Prévalence de l'insuffisance rénale chronique dans la population générale
Le dosage de la créatinine sérique est un marqueur très imparfait de la fonction rénale mais il est le seul disponible dans les grandes études épidémiologiques observationnelles.
Aux Etats-Unis, 2,49% des hommes et 0,71% des femmes ont une créatinémie égale ou supérieure à 150 mmol/l selon les données tirées d'un collectif de 18 723 personnes censées être représentatives de la population nord-américaine.6 L'étude de la cohorte de Framingham (6233 sujets en majorité de type caucasien mais avec un tiers de patients âgés de plus de 60 ans) donne une prévalence de 8,9% d'insuffisance rénale chronique (IRC) chez les hommes et de 8% chez les femmes si des créatinémies égales ou supérieures à 140 mmol/l et 120 mmol/l (valeurs du 95e percentile calculées à partir d'échantillon de sujets cliniquement en bonne santé) sont appliquées respectivement comme valeur seuil.7 L'âge, l'hypertension, le diabète et particulièrement l'interaction entre le sexe masculin, le diabète et l'hypertension sont retrouvés comme facteurs de risque pour l'insuffisance rénale chronique.7
Les données européennes sont moins abondantes et révèlent une prévalence de l'insuffisance rénale chronique bien inférieure à celle enregistrée sur le continent nord-américain. En Islande, la prévalence de l'IRC définie par une créatinémie égale ou supérieure à 150 mmol/l est de 0,22%. L'IRC est plus fréquente chez les hommes et les personnes âgées de plus de 65 ans. En Ile-de-France, l'incidence annuelle de patients avec une créatinémie supérieure à 200 µmol/l et référés chez des néphrologues est de 260/million d'habitants (0,026%), avec également une nette prépondérance masculine et de patients âgés. Ces chiffres sont néanmoins notablement inférieurs à ceux obtenus dans la cohorte de Framingham, composée en grande partie de patients d'origine européenne. Cette discordance entre les populations américaines et européennes ne s'explique donc que partiellement par le pourcentage 3 fois plus élevé de patients avec IRC dans la population noire américaine. La fréquence élevée du diabète de type 2 aux Etats-Unis est probablement la principale raison de la prévalence élevée d'IRC dans ce pays.
La mortalité due à des causes cardiovasculaires est responsable de 50% des décès chez les patients en insuffisance rénale terminale et est environ 10 à 20 fois plus élevée que dans la population générale (fig. 1). Mais qu'en est-il des patients avec une diminution modérée de leur fonction rénale ? La cohorte de Framingham, suivie sur 15 ans de moyenne, donne un surcroît de mortalité globale de 31% chez les hommes avec insuffisance rénale chronique modérée (créatinémie moyenne 147±15 mmol/l) après ajustement pour la présence de diabète, d'obésité, d'hypercholestérolémie et d'hypertension. Cependant, la mortalité cardiovasculaire (chez ces hommes) n'est pas augmentée significativement après ajustement pour ces variables. Chez les femmes avec insuffisance rénale chronique modérée (créatinémie moyenne 137±17 mmol/l), les mortalités globale et cardiovasculaire ne sont pas augmentées significativement après ajustement pour ces mêmes variables. L'augmentation donc de cette mortalité chez les patients avec insuffisance rénale modérée est attribuée dans ce collectif à une plus grande prévalence de comorbidités associées telles que le diabète et l'hypertension.
Une étude rétrospective des données de l'étude SOLVD, où des patients avec fraction d'éjection abaissée mmol/l) a eu plus de deux fois plus d'événements cardiovasculaires que le quartile inférieur et l'analyse multivariée a démontré qu'une augmentation de 20 mmol/l de créatinine s'accompagne d'un risque 30% plus élevé pour la survenue d'événements cardiovasculaires. Si imparfaite que soit la créatinine comme marqueur de la fonction rénale, son augmentation apparaît néanmoins comme un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant.
On sait peu de choses sur la prévalence des complications CV chez les patients en insuffisance rénale avant le stade de la dialyse. Dans l'étude de Framingham, chez les patients ayant une insuffisance rénale modérée (créatininémie entre 120-265 mmol/l), la prévalence des complications CV était de 20%.7 Dans une étude analysant la présence d'une HVG comme marqueur de maladies CV, la prévalence était de 20% dans la population générale, de 25 à 50% chez les patients avec une insuffisance rénale progressive et de plus de 75% parmi les patients en IRCT en dialyse.8 L'incidence des maladies CV fluctue dans la population générale de 9,2 à 14/1000 sujets-année, de 22 à 27/1000 patients-année dans la population présentant une dysfonction rénale modérée pour s'élever dans la population souffrant d'IRCT à plus de 380/1000 patients-année.1 Chez le dialysé, le risque de mortalité CV a été comparé à celui de la population générale.3 Après ajustement pour l'âge, ce risque est de 500 fois chez les patients âgés de 25-35 ans et de cinq fois chez les patients âgés de plus de 85 ans (fig. 1 et 2).
Les raisons de ces chiffres ont récemment fait l'objet d'analyses qui ont conclu à l'importance des risques dits «cardio-rénaux» et à leurs natures qui n'étaient ni traditionnelles ni uniques, mais spécifiques et multiples.9 En effet, les maladies CV et l'insuffisance rénale chronique (IRC) partagent plusieurs facteurs de risque communs comme l'âge, le diabète sucré, l'hypertension et les dyslipidémies. Toutefois, la progression de la maladie rénale et certaines comorbidités telles que le débit de protéinurie, les désordres hydroélectrolytiques, l'anémie et l'état inflammatoire entre autres représentent à eux seuls des FRCV (fig. 3).
Les données sur la prévalence de la coronaropathie chez les patients n'ayant pas encore atteint le stade de la dialyse sont peu nombreuses. Dans une population de 369 patients de Brimingham avec IRC (clairance moyenne de la créatinine calculée 26 ml/min ) suivie prospectivement, une maladie coronarienne (définie par un traitement anti-angineux et/ou des antécédents d'infarctus du myocarde ou de revascularisation myocardique) était présente chez 21% des patients. La fréquence de la coronaropathie s'élève jusqu'à 58% chez des patients âgés (âge moyen 81 + 6 ans) avec IRC. Lorsqu'ils rentrent en dialyse, 38% des patients ont une coronaropathie cliniquement avérée.
La prévalence de la maladie coronarienne est élevée chez le patient dialysé. Lorsqu'elle est définie par des critères cliniques, sa prévalence est de 42% chez les patients hémodialysés et de 32% chez ceux traités par dialyse péritonéale.1 La prévalence de la cardiopathie ischémique est probablement sous-estimée par les seuls critères cliniques. Une fréquence élevée d'anomalies coronariennes a été mise en évidence chez des diabétiques asymptomatiques en IRCT.10 La maladie coronarienne a, également chez le dialysé, une gravité toute particulière. L'analyse de la survie des patients admis en soins intensifs pour infarctus du myocarde a montré que, comparativement aux patients à fonction rénale normale, les insuffisants rénaux chroniques, qu'ils soient dialysés ou non, avaient un taux de mortalité significativement plus élevé.11 Cette différence existait aussi bien au cours de l'hospitalisation qu'à long terme.
La pathogénie de la maladie coronarienne chez le patient urémique est multifactorielle. La composition et la nature des plaques d'athérosclérose intracoronariennes sont en effet différentes. La paroi de l'intima significativement plus épaisse est associée à une importante calcification de la média principalement chez les patients dialysés. Ces calcifications diffuses sont la conséquence de l'hyperparathyroïdie et de l'hyperphosphorémie fréquemment rencontrées chez les patients en IRCT dialysés. Ceci se traduit par un taux élevé de réocclusion après angioplastie transluminale de près de 70% à un an contre 20% dans la population générale.12 Par ailleurs, en raison de l'HVG et de la cardiopathie urémique rencontrées, on assiste à une inadaptation myocardique de la demande d'oxygène avec une réserve coronarienne insuffisante et une diffusion de l'oxygène inefficace dans les régions sous-endocardiques responsables d'une fibrose progressive entravant la contractilité et responsable de la dysfonction cardiaque.13
La combinaison de l'expansion volémique induite par l'anémie rénale et la rétention hydrosodée dans l'insuffisance rénale chronique et de l'augmentation de la post-charge créée par l'hypertension et l'artériosclérose va développer une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique et excentrique. Celle-ci caractérise les patients avec IRC et les prédispose aux symptômes ischémiques coronariens en réduisant leur capacité de perfusion coronaire. Sa prévalence augmente parallèlement avec la baisse du taux de filtration glomérulaire, passant de 27% chez ceux ayant un TFG > 50 ml/min à 45% chez les personnes avec un TFG 14
Soixante-quinze pour cent des patients débutant la dialyse ont une HVG. Quinze pour cent ont une dysfonction systolique, 30% une dilatation du ventricule gauche avec fonction systolique conservée et 40% une HVG concentrique. Cette HVG apparaît très tôt dans l'histoire naturelle de l'IRC. Sa présence lors de la mise en dialyse est associée à un risque élevé de mortalité (RR = 1,68 ajusté sur l'âge, la présence d'un diabète ou d'une maladie coronarienne).14
L'origine de l'HVG chez le patient en IRCT s'explique par l'augmentation de la tension artérielle systolique, l'hypervolémie, l'activité du système nerveux sympathique et l'anémie entre autres.14 Foley et coll. ont montré que les patients dialysés présentant un index de masse ventriculaire gauche (IMVG) au-delà de 125 g/m2 avaient un taux de mortalité à cinq ans de 52% comparés aux patients avec un index inférieur à 125 g/m2 qui avaient un taux de 23% (p 15 En plus d'être une cause importante de mortalité CV dans son ensemble (fig. 2), l'HVG représente plus particulièrement un facteur de risque très élevé de mort subite chez le patient IRCT dialysé.16
Dans la cohorte de Framingham précédemment citée, une insuffisance cardiaque congestive n'est présente que chez 2,4% des patients avec IRC modérée. En revanche, lors de l'arrivée en dialyse, 31% des patients ont une insuffisance cardiaque clinique et 84% des anomalies échocardiographiques (dysfonction systolique, hypertrophie concentrique ou dilatation du ventricule gauche) selon les données tirées d'une cohorte de 432 patients canadiens suivis prospectivement.
La prévalence de l'insuffisance cardiaque est de 40% chez l'hémodialysé et de 31% chez le patient en dialyse péritonéale.17 Elle constitue une réponse chronique adaptée à l'augmentation de volume que représente la surcharge hydrosodée résumé dans la figure 3. Elle résulte des altérations chroniques du myocarde et à la mort cellulaire. Celles-ci sont majorées par la présence d'une atteinte coronarienne et par de nombreux facteurs urémiques comme les stress oxydatifs et les produits finaux de la glycation avancée responsables d'une ischémie tissulaire, d'une fibrose interstitielle et d'une dysfonction systolique progressive.
Si chez le patient présentant une IRC, le risque CV est élevé, le poids des différents facteurs de risque est encore mal connu. Les facteurs traditionnels de la population générale ne sont pas partagés par les patients en IRC comme le confirme l'étude de Framingham (fig. 4).7,18 Si l'âge, le sexe masculin, la race blanche, le diabète et le tabagisme sont des facteurs communs aux patients dialysés et à la population générale, il est à noter que dans la plupart des études de cohorte, la tension artérielle systolique et le taux de cholestérol total ne sont pas associés à la mortalité cardiovasculaire du dialysé. Les études prospectives liant la tension artérielle à la survie des patients en IRCT dialysés sont contradictoires. Dans l'étude de Zager et coll., il existait une relation en U entre les valeurs de tension artérielle et la mortalité CV chez les patients hémodialysés.19 Une tension artérielle systolique = 180 mmHg était associée à une augmentation significative du risque de mortalité. En l'absence d'évidence, il est nécessaire d'intégrer l'ensemble des FRCV traditionnels et d'estimer ces risques le plus précocement possible dans l'histoire de la maladie rénale.
En dépit d'un grand nombre d'anomalies lipidiques observées chez le patient dialysé, il n'y a aucune preuve émanant d'études contrôlées permettant d'établir un lien entre l'hyperlipidémie et le pronostic CV. La prévalence de l'hypercholestérolémie chez le patient en IRC est similaire à celle de la population générale. Toutefois, les patients en IRC ont une diminution plus fréquente du taux de HDL-cholestérol. Lowrie et coll. ont montré que la mortalité des patients en hémodialyse augmentait lorsque le taux de cholestérol était de 1,5 à 2,0 g/l comparé à 2,0 à 2,5 g/l.20 Dans l'étude de Cheung et coll., aucune association n'a pu être mise en évidence entre cholestérol total et maladie athéromateuse.4 Ces constatations sont attribuées à une dénutrition dont on sait qu'elle est un facteur majeur de mortalité chez les patients en IRCT.
Les FRCV traditionnels sont donc insuffisants pour expliquer les fortes morbidité et mortalité CV observées chez les patients dialysés.
I Surcharge hydrosodée
Elle est associée à l'HVG, à l'augmentation de l'épaisseur de la paroi des grosses artères et à la survenue de lésions athéromateuses des petites artères.
I Troubles hydroélectrolytiques
De grandes variations électrolytiques et en particulier de la kaliémie augmentent le risque de mort subite.16 Une hyperphosphorémie et une élévation du produit phosphocalcique (PxCa) jouent un rôle central dans l'apparition de calcifications vasculaires et cardiaques et sont associées à une augmentation du risque de mortalité cardiaque. Chaque augmentation de 0,3 mmol/l de la phosphorémie augmente le risque relatif de décès de 6%.21
I Protéinurie
Bien que tout débit de protéinurie soit associé à des dommages rénaux et soit responsable de la progression de la dysfonction rénale, il représente un facteur non traditionnel de maladie CV tant chez les patients diabétiques que non diabétiques.22,23 Sa physiopathogénie n'est pas entièrement élucidée et pourrait correspondre à un marqueur de lésions endothéliales. D'autres FRCV lui sont associés comme la résistance à l'insuline, modification du profil lipidique, l'absence de baisse tensionnelle nocturne...
I Anémie
L'anémie se rencontre précocement lors d'insuffisance rénale chronique (clairance de la créatinine entre 35-45 ml/min). Des études prospectives ont montré que l'anémie du sujet en IRCT représentait un facteur de risque d'insuffisance cardiaque et de mortalité CV. Chaque diminution du taux d'hémoglobine de 10 g/l augmente de 42% le risque de dilatation ventriculaire gauche et de 28% le risque d'insuffisance cardiaque. Elle est en outre à l'origine du développement de l'HVG excentrique en raison d'une part de l'hypoxie tissulaire et d'autre part de l'augmentation du travail cardiaque responsable d'une stimulation du système nerveux sympathique et de l'activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Une concentration élevée d'angiotensine II favorise à son tour l'augmentation des valeurs tensionnelles et le développement d'une HVG. Il a été démontré qu'une baisse du taux d'hémoglobine de 10 g/l était associée à une augmentation de 6% du risque de développer une HVG chez des patients en IRCT.8
I Augmentation de la lipoprotéine(a)
La lipoprotéine(a) (Lp(a)), particule lipidique constituée d'une partie protidique, l'apolipoprotéine B100 (en général une LDL) est non seulement fortement athérogène mais thrombogène. Elle est en concentration élevée chez les patients en IRCT, et représente un FRCV indépendant dans la population dialysée. Cette élévation partiellement comprise résulte d'une augmentation de son métabolisme hépatique liée à l'état inflammatoire chronique chez ces patients. Un taux de Lp(a) > 0,8 mmol/l est associé à une augmentation significative d'infarctus du myocarde. Kasiske et coll. ont estimé que 45 à 60% des patients en IRC avaient un taux de Lp(a) > 0,8 mmol/l.24 L'élévation des taux de Lp(a) dans la population dialysée représente comparativement un FRCV plus important que celui de la LDL-cholestérol.
I Augmentation de l'homocystéine
La concentration de l'homocystéine est corrélée au débit de filtration glomérulaire et au taux de créatininémie. La concentration plasmatique d'homocystéine augmente progressivement au fur et à mesure que la fonction rénale décline. Elle est en outre associée au degré d'athérosclérose et de l'HVG. Il a été rapporté que chaque augmentation de 5 mmol/l d'homocystéine au-delà de la valeur seuil (15 mmol/l) correspondait à un risque de 60 à 80% de maladie coronarienne. Il est généralement admis que l'hyperhomocystéinémie représente un FRCV indépendant tant dans la population générale que dans la population en IRCT bien que sa responsabilité dans la genèse de l'athérosclérose ne soit pas entièrement comprise.25
I Inflammation
L'inflammation joue un rôle central dans la physiopathologie et l'évolution de l'athérosclérose. L'inflammation, facteur de risque responsable du développement de maladies CV dans la population générale, a récemment été mise en évidence comme FRCV chez les patients dialysés.26 L'inflammation rend compte de réactions physiologiques et métaboliques multiples. Les acteurs principaux sont les cellules mononucléées (lymphocytes T et monocytes), les cytokines (interleulines 1 à 6, tumor necrosis factor-a, molécules d'adhésion intracellulaires) et les protéines de la phase aiguë (protéine C réactive (CRP), serum amyloid A (SAA), fibrinogène) qui participent à la genèse et à la progression des plaques d'athérosclérose après l'établissement de lésions endothéliales. La CRP est en particulier retrouvée dans les cellules composant la plaque d'athérosclérose où elle est étroitement liée aux LDL-cholestérol ainsi que dans les couches fibromusculaires de l'intima.
Il est actuellement clairement démontré que l'IRC et la dialyse génèrent un état inflammatoire chronique qui stimule la synthèse lipidique (Lp(a) entre autres) et accélère l'athérosclérose.27 Certaines protéines de la phase aiguë comme la CRP et la SAA représentent des marqueurs indépendants de morbidité et de mortalité CV chez les patients hémodialysés.28 Nous avons pu montrer, en analyse multivariée, qu'une augmentation d'un quintile des valeurs de CRP était associée à un risque relatif de mortalité CV de 2,05 (IC 95%, 1,25-2,51 ; p = 0,01). De plus, après quatre ans de suivi, les patients en hémodialyse chronique ayant une valeur de CRP > 10 mg/l avaient, après correction pour les autres FRCV traditionnels, un risque relatif de mortalité de 1,84 (IC 95%, 1,12-2,38 ; p = 0,02). La CRP représente un marqueur fiable d'événements et de mortalité CV chez les patients en IRCT dialysés.
Chez les patients dialysés, on note un taux élevé de facteurs thrombogènes tels que le fibrinogène. Cette élévation est liée à l'inflammation. Toutefois, les résultats des études transversales et prospectives évaluant l'association du fibrinogène et des maladies CV chez les patients en IRCT sont encore contradictoires.
Les stratégies d'identification et de réduction des FRCV doivent être menées de façon individuelle en considérant l'existence d'une maladie CV ou de risques élevés de maladies CV tels que le diabète. Dans ce cas, une prise en charge «intensive» des FRCV traditionnels doit être entreprise tôt dans la maladie. Chez les patients en IRC n'ayant pas encore de maladies CV, il serait souhaitable de cibler les FRCV traditionnels et les facteurs spécifiques liés à l'IRC et ceci le plus tôt possible (clairance de la créatinine 50-60 ml/min). Les moyens mis à notre disposition sont répertoriés dans le tableau 1.
Les patients en IRC sont à très haut risque de développer des maladies CV et on doit considérer l'IRC comme un facteur de risque cardiovasculaire. En étudiant les figures 1 et 2, on perçoit l'importance de la prise en charge de ces patients de manière énergique et le plus précocement possible, une fois la dysfonction rénale diagnostiquée. Il est en effet vraisemblable que la mortalité CV soit déjà responsable d'une bonne part de la perte des patients présentant une atteinte rénale modérée (clairance de la créatinine 15-60 ml/min). Une prise en charge optimale comprend l'évaluation des FRCV traditionnels et spécifiques liés à l'IRC ainsi que leurs traitements. Cette prise en charge doit faire l'objet de concertation pluridisciplinaire en privilégiant des axes thérapeutiques adaptés à chaque patient.