Depuis plusieurs mois, une vive controverse se développe autour de l'innocuité des traitements hormonaux substitutifs (THS) de la ménopause. En France, cette controverse vient, ces derniers jours, de prendre une nouvelle dimension avec l'initiative de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) qui vient, sur ce thème, de faire une «mise au point» contestée par l'ensemble des sociétés savantes de gynécologie. Quels sont les termes de ce débat de santé publique ?L'affaire est tout, sauf anecdotique. On estime en France à environ dix millions le nombre de femmes ménopausées. Les femmes, chez qui la ménopause survient généralement entre 50 et 55 ans, passent le tiers de leur existence en situation de ménopause, et 30% d'entre elles reçoivent au moins à un moment donné un traitement hormonal substitutif. Il importe ici de rappeler, comme le fait le Dr Bruno de Lignières (Hôpital Necker, Paris), que depuis trente ans deux théories s'opposent sur la meilleure manière d'obtenir des bénéfices cardiovasculaires en administrant des estrogènes à des femmes ménopausées.I Estrogènes par voie orale : l'administration d'estrogènes sous forme de comprimés par voie orale augmente leur concentration dans le foie (effet de premier passage hépatique) dont ils modifient le fonctionnement biochimique. Pour la plupart des investigateurs américains, ces modifications ont été considérées comme majoritairement favorables parce qu'elles accentuaient la hausse du HDL-cholestérol et la baisse du LDL-cholestérol. D'autres modifications potentiellement défavorables (augmentation des triglycérides et de certains facteurs de coagulation) ont été considérées comme négligeables en comparaison des bénéfices attendus sur le métabolisme du cholestérol. Selon cette théorie, l'estrogénothérapie orale devait diminuer de 30 à 50% la survenue d'accidents cardiovasculaires des femmes ménopausées.I Estrogènes par voie cutanée : pour de nombreux spécialistes européens, l'accumulation hépatique d'estrogènes provoquée par l'administration orale crée, au contraire, plus d'effets nuisibles que bénéfiques en reproduisant des modifications proches de celles observées au cours de la grossesse : augmentation des triglycérides, changement de composition des particules LDL qui deviennent plus irritantes pour la paroi artérielle, et surtout, activation de la coagulation. Selon cette théorie émise en France dans les années 70 l'estrogénothérapie orale risquait non pas d'améliorer mais d'aggraver le risque cardiovasculaire des femmes ménopausées. Pour éviter le premier passage hépatique, la voie cutanée a été utilisée en France à partir de 1975. Des essais comparatifs ont confirmé, depuis, qu'elle n'avait pas les effets néfastes des comprimés d'estrogènes sur les triglycérides, la taille des particules de LDL-cholestérol, la coagulation et la C-réactive protéine.Il convient aussi, pour le Dr de Lignières, de rappeler quelques dates essentielles :I 1942 : commercialisation aux Etats-Unis de comprimés d'estrogènes conjugués d'origine équine sous le nom de Prémarin qui atteindra 45 millions de prescriptions annuelles en 2001 ;I 1966 : publication du best-seller Feminine forever du Dr Robert Wilson ;I 1975 : commercialisation en France de la première formulation d'estradiol par voie cutanée ;I 1985 : publication dans un même numéro du New England Journal of Medicine de deux enquêtes contradictoires : selon l'une (Framingham), l'estrogénothérapie orale augmente le risque cardiovasculaire des femmes ménopausées ; selon l'autre (Nurses Health Study), elle le diminuerait ;I 1998 : une tentative de prévention des récidives d'accidents cardiaques, HERS , se solde par un échec avec une tendance à une récidive d'accidents plus graves et plus précoces pour les femmes sous THS oral (estrogènes équins + médroxyprogestérone-acétate) que sous placebo ;I 2000 : l'étude EVTET montre que des femmes ménopausées ayant des antécédents de phlébite ont un risque de récidive aggravé par un THS oral associant estradiol à la dose de 2 mg/j et noréthistérone à la dose de 1 mg/j ;I 2001 : une tentative de prévention des récidives d'accidents vasculaires cérébraux, WEST, montre la même tendance à une récidive d'accidents plus graves et plus précoces pour les femmes sous THS oral 1 mg de 17b-estradiol sans progestatif associé que sous placebo. Les séquelles neurologiques sont également plus importantes chez les femmes traitées par estradiol oral que par placebo.En 2002 enfin, une tentative de prévention de la pathologie vasculaire chez des femmes statistiquement normales dénommée WHI montre non seulement une discrète augmentation du nombre de cancers du sein, mais surtout une élévation des risques cardiovasculaires : l'incidence des atteintes cardiaques (+ 29%), des accidents vasculaires cérébraux (+ 41%) et des embolies pulmonaires (+ 100%) a augmenté dans le groupe traité par THS oral (estrogènes équins + médroxyprogestérone-acétate) et cette élévation s'est poursuivie pendant la durée de l'étude.C'est dans ce contexte que se développe la controverse française.(A suivre)