La mesure de la pression artérielle est probablement l'acte médical le plus souvent réalisé et certainement un des moins fiables. L'introduction de la mesure ambulatoire non invasive de la pression artérielle de 24 heures a permis d'identifier l'importance de l'effet consultation et, par là, de définir l'hypertension de la blouse blanche. Celle-ci se définit comme une pression artérielle pathologique à la consultation et strictement normale en dehors. Si on la définit de cette manière, cette pathologie ne s'accompagne pas d'une augmentation de la fréquence des affections cardiovasculaires et le traitement antihypertenseur n'est pas justifié. Chez un tiers des patients, cependant, elle évolue vers des formes plus sévères de l'hypertension.
La mesure de la pression artérielle est probablement l'examen médical le plus souvent effectué, mais aussi le plus souvent discuté, car le moins fiable. Sa réalisation est fréquemment entachée d'erreurs méthodologiques : manchette trop étroite, repos préalable non respecté, bras non dégagé, mesure trop rapide en particulier chez le patient bradycarde et d'autres. Même dans les meilleures conditions, le résultat obtenu est loin d'être toujours le reflet de la pression artérielle habituelle, et dès lors une estimation du risque cardiovasculaire.
L'hypertension artérielle de la blouse blanche, également appelée «hypertension de consultation», est une situation fréquente dans la pratique clinique courante. Il s'agit d'un état caractérisé par une hypertension artérielle lors des mesures conventionnelles, mais une pression artérielle normale en dehors du cabinet médical. L'observation clinique suivante illustre ce problème.
Un patient de 66 ans, sans antécédents particuliers, est adressé à la consultation pour une hypertension artérielle réfractaire en dépit d'un traitement associant un diurétique, un inhibiteur calcique et un bêta-bloquant, chacun prescrit à posologie maximale.
L'examen montre un patient avec une masse corporelle de 25,3 kg/m2, bien orienté et connaissant parfaitement son traitement. La fréquence cardiaque est de 62/min, régulière. L'auscultation cardio-pulmonaire est normale.
La pression artérielle mesurée après dix minutes de repos est de 225/110 mmHg en
position couchée et de 220/105 mmHg en position debout. Les artères périphériques sont palpées, il n'y a pas de souffle carotidien, ni abdominal. Les loges rénales sont libres et indolores.
L'électrocardiogramme de repos ne révèle ni hypertrophie ventriculaire gauche, ni signe d'ischémie myocardique.
Les données de la biologie sont sans particularité. Notamment, la kaliémie est à 4,1 mmol/l, l'urée, la créatinine, l'acide urique et la glycémie sont dans la norme et sans protéinurie.
Devant la discordance entre les valeurs de la pression artérielle très élevées, une hypertension artérielle connue, l'absence de répercussions sur les organes cibles et aucun argument pour une hypertension secondaire, un enregistrement ambulatoire non invasif de la pression artérielle de 24 heures est réalisé (fig. 1 ).
L'enregistrement montre un contrôle satisfaisant de la pression artérielle avec des valeurs en moyenne de 139/78 mmHg durant le jour et de 103/64 mmHg pendant la nuit.
Cette observation illustre ce que la littérature appelle généralement l'effet blouse blanche ou encore, l'effet consultation. Même lorsque les conditions cliniques (repos depuis au moins cinq minutes, mesures répétées à trois reprises dans une ambiance calme, une température normale) sont respectées, il est connu de longue date que la mesure de la pression artérielle par le médecin peut induire une réaction d'alarme. L'introduction de la mesure ambulatoire dans un premier temps par cathéter intra-artériel, puis, plus récemment par méthode non invasive, a permis de mieux définir la fréquence, l'importance et, dans une certaine mesure, les causes et mécanismes de cet effet consultation.1,2
En particulier, l'effet consultation a été étudié quantitativement par Shimada et coll.1 Enregistrant la pression artérielle avant, pendant et après une consultation médicale, ils démontrent en moyenne une augmentation de la pression systolique de 17 mmHg et de 7 mmHg de pression diastolique. Ces valeurs correspondent à ce que l'on peut attendre en moyenne de la prescription d'une médication antihypertensive en monothérapie.
La hausse de pression artérielle est généralement associée à une discrète accélération de la fréquence cardiaque. Cet effet consultation est cependant variable d'un sujet à l'autre, et se distribue selon une courbe de GAUSS. Certains patients présentent une diminution de pression artérielle durant la consultation, d'autres des augmentations d'importance variable.
Dans l'étude de Shimada et coll.,1 les extrêmes vont de - 25 à + 70 mmHg pour la systolique et de - 18 à + 32 mmHg pour la diastolique.
Dans cette étude, l'effet consultation est plus marqué chez la femme et indépendant de l'âge et du niveau de pression artérielle. Dans une étude récente, La Batide-Alanore et coll.3 montrent que cet effet consultation est nettement plus important lorsque la pression artérielle est mesurée par un médecin que par une infirmière. La réponse induite est également influencée par les caractéristiques du médecin. Elle est plus faible pour les femmes médecins et est d'autant plus importante que le médecin est titré. Elle est maximale pour le professeur chef de service.
La plupart des auteurs n'ont pas relevé de signification pronostique à cet effet consultation.4-6 On pourrait cependant suspecter qu'il reflète une hyperréactivité du système sympathique et, dès lors, prédirait la réponse du patient aux multiples situations de la vie quotidienne sollicitant ce système : émotion, effort, douleurs.
L'hypertension de la blouse blanche (white coat hypertension) ou mieux hypertension de consultation (isolated clinic hypertension, office hypertension), se définit comme une pression artérielle pathologique à la consultation et une pression ambulatoire normale. Si un consensus existe à propos de la définition de l'hypertension à la consultation, à savoir une pression artérielle égale ou supérieure à 140/90 mmHg, les opinions divergent quant aux valeurs de la pression ambulatoire. Les références sont régulièrement revues à la baisse, les valeurs acceptées aujourd'hui sont de 130/80 mmHg pour la moyenne des valeurs de 24 heures, 135/85 mmHg pour les valeurs enregistrées pendant la période d'activité de jour et 120/75 mmHg pour les valeurs de nuit.7,8 L'auto-mesure de la pression artérielle est une autre modalité qui peut être employée pour définir un niveau tensionnel de référence, mais la concordance avec la catégorisation obtenue par la mesure ambulatoire de 24 heures est imparfaite avec une faible sensibilité de l'automesure dans le diagnostic de l'hypertension artérielle. Elle connaît des limites, comme la «sélection» des mesures par le patient. Un seuil similaire à celui de la mesure ambulatoire de 24 heures (135/85 mmHg) peut être retenu. Ainsi, chez les patients dont la pression artérielle moyenne à l'automesure est inférieure à 135/85 mmHg, il est raisonnable de réaliser une mesure ambulatoire de 24 heures avant de conclure au diagnostic d'hypertension artérielle de la blouse blanche.9
Dans la définition de l'hypertension de la blouse blanche, certains auteurs prennent des valeurs de référence parfois différentes. Certains comparent les valeurs cliniques avec les valeurs de 24 heures, d'autres enfin avec les valeurs de jour. De cette disparité, il résulte que la comparaison des données obtenues dans la littérature est difficile. La définition même de l'hypertension de la blouse blanche varie d'une publication à l'autre. Si la littérature a tendance à considérer l'hypertension de la blouse blanche comme une situation bénigne, il est essentiel de s'en tenir à une définition stricte, à savoir une pression ambulatoire normale, de jour aussi bien que de nuit, et par voie de conséquence, sur 24 heures.
L'hypertension de la blouse blanche, dans les faits, n'est qu'un aspect particulier de l'effet blouse blanche. Elle est particulièrement fréquente chez les patients présentant à la consultation une hypertension artérielle légère à modérée (pression artérielle comprise entre 140/90 et 160/95 mmHg). La fréquence en diffère selon les études, en fonction principalement des valeurs considérées comme normales pour la pression artérielle ambulatoire.5,7,10 Cette fréquence varie entre 20-25% et augmente avec l'âge à environ 45%. Sa signification pathologique et, dès lors, l'attitude thérapeutique à adopter font l'objet de vives controverses. Une fois encore, les contradictions relevées sont en grande partie dues aux différences concernant les critères de référence choisis. L'étude PIUMA10 rapporte que si l'hypertension de la blouse blanche est définie sur la base d'une pression de jour inférieure à 130/80 mmHg, la fréquence des affections cardiovasculaires chez ces patients est identique à celle des sujets normotendus (taux d'événemets à 0,4 pour 100 patients/an). Par contre, si on accepte comme limites supérieures de la pression artérielle de jour 131/86 mmHg chez la femme et 136/87 mmHg chez l'homme, la fréquence des événements cardiovasculaires devient intermédiaire entre les sujets normotendus et les patients hypertendus (taux d'événements à 0,9 pour 100 patients/an). Cette valeur est le double de celle observée chez les patients répondant à la première définition.
L'hypertension de la blouse blanche pourrait cependant n'être qu'un état transitoire, une étape dans l'évolution de la maladie hypertensive. A terme, en effet, un pourcentage élevé de ces patients, 37% à 2,5 ans, évolue vers une forme plus sévère de l'hypertension artérielle.10,11 Chez ces sujets, la masse ventriculaire gauche est en moyenne intermédiaire entre celle observée chez les patients normotendus et les patients hypertendus, contrairement à ce que l'on observe chez les patients qui gardent, à terme, les caractéristiques de l'hypertension de la blouse blanche.
Même si des incertitudes persistent, il paraît logique, au regard des données actuellement disponibles, de ne pas recourir d'emblée au traitement médicamenteux dans l'hypertension de la blouse blanche en l'absence de dommages cardiovasculaires patents. L'hypertension de la blouse blanche ne répond pas ou peu à la thérapeutique antihypertensive, constituant une des causes les plus fréquentes d'hypertension artérielle réfractaire. Le traitement ne paraît pas davantage justifié du fait de l'existence d'un effet blouse blanche, car il n'a pas été démontré de relation entre intensité de cet effet et dommages cardiovasculaires. L'attitude la plus logique paraît être la prescription de mesures hygiéno-diététiques, pour traiter ou prévenir l'hypertension artérielle à savoir le contrôle de l'excès pondéral, la restriction de l'apport en sel, une consommation non excessive d'alcool, une activité physique régulière, et peut-être un apport accru en potassium.
L'hypertension artérielle de la blouse blanche représente une situation très fréquente dans la pratique clinique courante. Elle correspond à une surestimation du niveau tensionnel moyen par la mesure conventionnelle. Les conséquences cardiovasculaires qui peuvent lui être attribuées sont modestes, cependant ces patients sont à risque d'évoluer vers des formes plus sévères de l'hypertension artérielle et doivent, dès lors, faire l'objet d'une évaluation régulière. Reconnaître l'hypertension artérielle de la blouse blanche permet d'éviter de porter à tort le diagnostic d'hypertension artérielle sévère ou réfractaire au traitement. Ces considérations conduisent à insister sur l'intérêt d'une mesure tensionnelle en dehors du cabinet médical, notamment par la mesure ambulatoire non invasive de la pression artérielle de 24 heures. Les seuils de «normalité» retenus pour ces mesures conditionnent bien entendu le risque d'observer un retentissement organique et lorsqu'on choisit un seuil bas, ce risque est faible.