Résumé
Oui, c'est vrai, il y a péril dans la demeure. 49% des Suisses, s'il fallait voter maintenant, soutiendraient l'«initiative-santé» lancée par les socialistes, 30% s'y opposeraient, 21% hésiteraient, selon une enquête publiée la semaine dernière. Vous voyez le topo. Pas de quoi se réjouir, vraiment : difficile de faire plus lourdingue que le programme de cette initiative. Tout le monde sauf les socialistes fait mine de s'inquiéter. A un mois de la votation, c'est un peu tard....Branle-bas de combat, donc. La droite parlementaire s'agite, le Conseil fédéral met la population en garde. Pourtant, si l'initiative socialiste passe, le système politique qui s'y oppose ne pourra s'en prendre qu'à lui-même, lamentable qu'il a été dans sa façon de gérer la réforme de la LAMal. Les assureurs-maladie pourront aussi se fendre d'un mea culpa : à force de lobbying grossier et de scandaleuses pratiques envers la population, ils ont dilapidé l'essentiel de leur crédibilité.De la part de ces leaders censés prendre les problèmes en main et faire des choix pour le futur, quelle bévue, à la fin. Perdus dans le calcul de leurs petits intérêts, sabordant l'intelligence au profit du pouvoir, ils n'ont tout simplement pas voulu regarder l'inquiétude de la population. L'angoisse générale montant à des niveaux intolérables (peu importe qu'elle soit justifiée ou non), ils auraient dû envoyer des signaux clairs : on vous comprend, vous les gens d'en bas. Mais non, rien, zéro signal de compréhension. Comment s'étonner que, sur ce terrain, une initiative qui promet d'enlever une bonne part du fardeau présent et d'assurer l'avenir, ça lui parle, à la population ?...Et Pascal Couchepin ? Sera-t-il le sauveur de la situation ? Peu de chances. Il «joue à la Reine d'Angleterre» résume Adrien Bron dans la Tribune de Genève, autrement dit, «à force d'être occupé à régner, il en oublie un peu de gouverner». Après les rodomontades de l'automne, où il promettait que l'on allait voir ce qu'on allait voir dans le domaine de la santé, et quelques coups d'éclats médiatiques (comme l'annonce d'un regroupement du «secteur maladie» au sein de l'OFSP), Couchepin le fonceur est devenu le champion de l'inaction. Du coup, ça grenouille en aval, au Parlement, dans les partis, chez santésuisse et ça s'inquiète un peu plus du côté de la population (à la FMH, on ne s'inquiète pas : on s'occupe, de plus en plus paniqué, à éteindre les incendies allumés par le Tarmed). Et l'initiative fait son chemin....Cela dit, est-elle si toxique qu'on le prétend, cette initiative ? Sur le plan du partage social des coûts de la médecine, par exemple, il semble qu'en comparaison internationale la Suisse se situe franchement en queue. On pourrait donc se dire qu'un peu plus de solidarité riches-pauvres ne lui ferait pas de mal. D'autant que la médecine est en passe de prendre une place immense, la première, dans le budget des ménages. Tout n'est pas si simple, rétorqueront les opposants : d'abord, la solidarité s'exerce déjà malgré tout via les impôts qui financent une partie du système de soins (en particulier hospitalier) et aussi via les subventions aux personnes à faibles revenus. Ensuite, l'initiative fait appel à un financement reposant à la fois selon un mélange encore incertain sur un nouvel impôt lié à la fortune et au revenu et, plus curieusement, sur une augmentation de la TVA, cet impôt 0% social.Evidemment, cette affaire, c'est un chaos programmé. La distribution aux caisses-maladie de la part de TVA leur revenant devrait être assurée par un organe central, à créer de toutes pièces. Ensuite, chaque assuré devrait transmettre ses données concernant son revenu et sa fortune à l'organe qui prélève les primes (lequel, en plus de connaître notre santé tout court, saura donc tout sur notre santé fiscale). Mais cet organe pourrait très bien ne pas être l'assureur-maladie, ce serait d'ailleurs beaucoup plus simple ainsi. On comprend, du coup, que santésuisse ait cassé sa tirelire pour diaboliser l'initiative. Pour les assureurs qui, dans leurs bureaux emmoquettés et à l'abri de leurs bâtiments à l'architecture futuriste, encaissent 8% de l'argent en se contentant de faire tourner la caisse enregistreuse, ça sent le roussi.Reste qu'il existe un avantage dans le système large de financement proposé. Lors des problèmes d'allocation budgétaire qui vont rapidement surgir dans notre société glissant vers le vieillissement comme vers un gouffre financier, au moins la santé sera-t-elle préservée du pire. Ce n'est pas rien....Sinon, l'initiative promet de transférer différentes compétences à la Confédération : planification des soins, contrôle de la qualité et de l'efficacité, maîtrise des coûts et définition du «prix maximum des prestations» (difficile, à part ça, de dire ce qu'il resterait de Tarmed). Mais sur la façon de mettre tout cela en uvre, ce qui est bien le cur du débat pour gérer l'avenir, elle ne dit pas un mot.Il ne faut donc pas chercher d'idées dans cette initiative : son projet se contente de faire confiance à l'esprit étatique. Que la Confédération gagne un peu de compétence, remarquez, ce ne serait pas un mal. Avec cette initiative, elle en obtiendrait trop. Or la santé a besoin d'une régulation par le bas : tout ce qui se planifie verticalement finit par échouer sur les réalités du terrain....L'étatisation, pour les médecins, a toujours fait figure, à raison, de repoussoir collectif. Elle fait penser à la logique communiste dans ce qu'elle avait de plus poussiéreux. Mais attention à ne pas céder au slogan, dont le principal effet c'est le cas de n'importe quel slogan consiste à masquer l'analyse. Les enjeux, dans la modernité, évoluent vite et ne ressemblent quasiment en rien à ceux du passé. En médecine, le rôle de l'Etat pourrait bien s'avérer vital au sens fort du terme : ce qui la gardera en vie, la préservera de la disparition. Mais notre Etat s'est montré si incapable, ces temps
...Deux ou trois choses, par ailleurs, ne doivent pas être oubliées. Si, contredisant le sondage de cette semaine, l'initiative était refusée, un des derniers obstacles au développement de la stratégie des caisses-maladie serait levé. Or, les caisses-maladie, c'est le présupposé que les médecins sont des profiteurs et que les patients exagèrent. C'est la fin de l'obligation de contracter et le monisme hospitalier. C'est enfin une arrogance croissante et une réflexion éthique et scientifique sur la gestion du système de santé voisine du zéro absolu....Une Confédération désorganisée aux compétences renforcées ferait-elle pire que les caisses-maladie au pouvoir de plus en plus incontrôlable ? Comment répondre ? Autant choisir entre la peste et le choléra....L'unique solution, pour gérer la santé, serait d'instaurer un modèle de participation, de discussion large entre la population, les malades, les soignants, les politiciens. Pour le moment, tout débat est étouffé, aucune parole ne circule, les idées sont proscrites, un autoritarisme rigide s'installe. Si bien que, à la stupeur générale, une initiative sans vision s'apprête à nous mener vers notre futur système de santé.