Nous prolongeons ici la réflexion autour des lourdes questions éthiques, trop peu vulgarisée nous semble-t-il, concernant les pratiques du diagnostic prénatal et du diagnostic préimplantatoire. Rappelons que ce dernier est, dans la loi française, défini (et autorisé) de cette manière : «diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro et envisagé par le couple qui, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique reconnue comme incurable au moment du diagnostic». Rappelons aussi qu'une étude exhaustive publiée dans la revue Médecine/Sciences indiquait que, durant la période comprise entre novembre 1999 et décembre 2000, les trois centres français autorisés avaient ouvert 260 dossiers. Le motif le plus fréquent des demandes était le risque de transmission de mucoviscidose (48% des dossiers). Les autres pathologies concernées étaient l'amyotrophie spinale, la maladie de Steinert, la chorée de Huntington, différentes formes de myopathie ainsi que le syndrome de l'X fragile. Ce premier bilan montrait aussi que les femmes de 67% des couples demandeurs avaient déjà eu une ou plusieurs grossesses antérieures. Seuls 22% de ces couples avaient au moins un enfant indemne de la maladie héréditaire. 22% avaient un enfant atteint et 40% avaient subi au moins une interruption médicale de grossesse.Au moment où nous écrivons ces lignes, les agences de presse nous apprennent qu'un couple britannique vient d'obtenir le «feu vert» pour «sélectionner les gènes de leur futur bébé afin de permettre de guérir leur fils de quatre ans d'une maladie incurable». «M. et Mme Hashmi, résidant à Leeds (nord de l'Angleterre), avaient demandé à l'autorité chargée de superviser les techniques de procréation assistée, la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), de pouvoir recourir à la fécondation in vitro pour sélectionner un embryon, explique ainsi l'Agence France-Presse. Ils voulaient que celui-ci soit doté d'un patrimoine génétique permettant d'utiliser des cellules prélevées dans le cordon ombilical pour sauver leur fils Zain atteint de thalassémie.» La Haute Cour avait toutefois décidé que la HFEA n'avait pas le droit d'autoriser la sélection d'embryons pour faire un bébé «sur mesure». La Cour d'appel a donc, en définitive, donné raison à la HFEA. «La conséquence évidente de ce jugement est qu'il va permettre aux Hashmi de commencer leur traitement sans délai», a déclaré David Pannick, avocat de la HFEA.«Bébé sur mesure», «traitement»... Le risque essentiel, comme souvent, réside dans la confusion des termes qui contamine toujours les esprits. Aussi tentons, modestement, de dissoudre les brouillards ambiants. Pour le dire schématiquement, trois questions peuvent, ici, être évoquées. La première tient au rapport entre le risque collectif potentiel d'eugénisme et le «bénéfice» (les guillemets bien évidemment s'imposent) proposé aux couples concernés ; la deuxième, corollaire, touche à la géographie à venir de ces pratiques ; la troisième concerne la totale absence de transparence véritable sinon de véritable pratique démocratique sur des sujets aussi essentiels pour l'avenir de notre humanité.Soulignons d'emblée ici que cette analyse ne cherche en aucune manière à faire des praticiens et des biologistes impliqués dans la mise en uvre du DPI les servants d'une politique eugéniste. Pour notre part, nous connaissons pleinement la rigueur, la probité et le dévouement de plusieurs de ceux qui, en France, travaillent dans ce domaine ; et nous comprenons qu'ils puissent être irrités de voir leur travail mis dans une perspective qui leur est totalement, charnellement, étrangère.Pour autant, comment pourraient-ils s'opposer à ce que l'on cherche, sans passion, à analyser la portée et les enjeux d'une technique qui consiste à trier des embryons in vitro sur la base de leurs critères génétiques ? Pourquoi refuser d'évoquer, publiquement, le risque de voir la technique du DPI évoluer dans les prochaines années et, à court ou moyen terme, prendre une toute autre ampleur : passer du simple diagnostic de pathologies préexistantes à l'identification de certaines caractéristiques génétiques considérées comme plus favorables que d'autres (en incluant bien évidemment l'identification du sexe), voire donner lieu à des manipulations cherchant à «améliorer» la «qualité» des embryons destinés à voir le jour ?(A suivre)