Edito: «Life style» et génériques
Jean-Hilaire Saurat
Rev Med Suisse
2003; volume -1.
23023
Résumé
Comme toutes les disciplines, la Dermatologie doit résoudre les nouveaux défis du progrès technologique et de l'évolution des idées sur le remboursement des coûts médicaux. Plus que d'autres, elle est exposée à des demandes qui dépassent le cadre strict dans lequel l'enseignement de la spécialité FMH est organisé. Explication : un nombre de plus en plus grand de patients (on pourrait dire «client» au sens où les gourous, maintenant évaporés du management des années 90, voulaient nous l'imposer), consultent le dermatologiste pour un problème de «life style». «Life style», c'est le raccourci qui désigne les actes pratiqués par des médecins, non pas pour traiter une maladie mais «améliorer (?)» le bien-être et le bien-paraître. L'injection de toxine botulique A (voir article de C. Tschanz dans ce numéro) en est l'exemple le plus frappant. La discussion du bien-fondé de ces pratiques serait déjà un combat d'arrière-garde. Il est rassurant de constater cependant que ces pratiques de «life style» ont quelques retombées positives pour les vraies maladies puisque cette banalisation de l'emploi de la toxine botulique par le dermatologiste (elle était réservée jusque là aux ophtalmologistes et aux neurologues), a permis de trouver de nouvelles indications fort utiles pour des maladies «intraitables» telles que l'hyperhidrose axillaire ou palmoplantaire, et certaines névrodermites. Alors que le rôle du système parasympathique dans le contrôle de l'inflammation devient un sujet de recherche et de développement privilégié,1 il n'est donc pas inutile que le dermatologiste se familiarise avec la biopharmacologie de l'acétylcholine.Parallèlement à la déferlante Botox®, les dermatologistes ont connu leur premier «choc générique». Dans un contexte curieux. On sait que l'isotrétinoïne, un métabolite naturel de la vitamine A, exerce une action unique et inégalée sur la différenciation de la glande sébacée qui cesse la production de lipides (sébum) d'où la guérison de l'acné. Le succès et les prescriptions du Roaccutane® furent tels lors de ces vingt dernières années, que le médicament était devenu la cible de groupes de pression privés et de la FDA ; l'Académie américaine de dermatologie craignait même qu'il soit retiré du marché. En effet, les ventes dépassaient les estimations raisonnables d'une utilisation pour les acnés graves, et une dérive vers l'utilisation «life style» était sans doute bien réelle. Cette banalisation faisait courir des risques, car le produit est tératogène ; les autres complications potentielles étant surtout «politico-médiatiques». Le brevet Roche de l'isotrétinoïne (Roaccutane®) étant arrivé à son terme, on aurait donc pu penser que les agences du médicament aux Etats-Unis et en Europe seraient très restrictives sur les génériques, dont la diffusion, à moindre prix, risquerait d'augmenter ces risques tératogènes ; il n'en fut rien. Plusieurs génériques de l'isotrétinoïne sont maintenant sur le marché aux Etats-Unis, et dans plusieurs pays d'Europe, tout comme en Suisse. L'isotrétinoïne n'est certainement pas un médicament «life style» ; les circonstances vont-elles en faire le premier «life style» générique ?1 Tracey KJ. The inflammatory reflex. Nature 2002 ; 420 : 853-9.
Contact auteur(s)
Jean-Hilaire Saurat
Médecin-chef de service
Clinique et policlinique de dermatologie
Hôpital cantonal universitaire
Genève