Les ordinateurs de poche ont le potentiel de devenir un outil de travail indispensable pour le médecin praticien. De part une facilité d'utilisation toujours plus grande, un format ultra-portable, une grande capacité de stockage de l'information et de synchronisation à de multiples bases de données, ils permettent l'accès en tout temps et littéralement au lit du malade à une gamme complète de ressources médicales. Cet article se veut une illustration des différentes possibilités d'utilisation de ces nouveaux outils, au travers de situations cliniques banales rencontrées par tout praticien.
L'avènement des ordinateurs de poche de type Palm ou PocketPC est en passe de changer notre façon d'appréhender les outils de référence clinique et d'aide à la décision dans notre pratique quotidienne.1 Ils permettent un accès instantané, sur un format ultra-portable, à une quantité d'informations dont on ne pouvait que rêver il y a à peine cinq ans. Implantée sur le marché depuis plusieurs années, représentée par une gamme d'appareils à prix très abordables, cette technologie a désormais pratiquement atteint l'âge de la maturité.2,3
Les médecins l'ont d'ailleurs bien compris et ils sont de plus en plus nombreux, au cabinet comme à l'hôpital, à en faire un usage quotidien.4,5 Une enquête effectuée auprès de 834 praticiens nord-américains a montré que la proportion d'utilisateurs était passée de 15% en 1999 à 26% en 2001, et il est estimé qu'ils seront près de 50% d'ici deux ans.6
Ces systèmes sont également désormais utilisés dans de nombreux programmes de formation post-graduée.7 A côté des applications traditionnelles, telles que le calendrier et les répertoires d'adresses, les utilisations cliniques concernent la prescription médicamenteuse, les livres électroniques, les calculateurs médicaux et la constitution de véritables bases de données personnelles.8,9
C'est également notre expérience aux Hôpitaux universitaires de Genève, notamment dans les services de médecine interne où la distribution d'ordinateurs de poche de type Palm aux internes et chefs de clinique s'est généralisée depuis plus de deux ans.10,11 Passée la phase d'engouement pour ces nouveaux outils, nous avons observé que le geste de sortir son Palm de sa poche devenait aussi naturel et coutumier pour des utilisateurs préalablement néophytes que l'utilisation du stéthoscope ou la désinfection des mains. Ainsi, nous avons pu mesurer que la majorité des accès aux applications avait lieu à des heures où les médecins se trouvent habituellement au lit du malade ou en train d'effectuer des prescriptions (pic d'utilisation entre 10 h 00-11 h 00 et 16 h 00-17 h 00).12
Le but de cet article est d'offrir, à travers quelques scénarios cliniques, un bref aperçu des possibilités d'emploi d'un ordinateur de poche en médecine ambulatoire. Il s'adresse en priorité à ceux qui connaissent mal cette technologie, ou qui hésitent tout simplement à «sauter le pas», faute d'être suffisamment convaincus de l'utilité réelle de ce que l'on peut encore souvent percevoir comme un gadget.
Vous êtes appelés au domicile d'une de vos patientes qui reçoit la visite de sa tante, domiciliée à Paris. Cette dernière est diabétique et se plaint depuis plusieurs jours de céphalées et de fatigue ; elle ne mange d'ailleurs presque plus rien. Son carnet de glycémies rapporte des valeurs fréquemment inférieures à 0,6 g/l depuis deux jours. On vous montre également une boîte de comprimés d'Amarel® que la patiente continue scrupuleusement à prendre.
Ne vous laissant pas déstabiliser par cette unité de mesure de glycémie et un nom de médicament qui ne vous sont pas familiers, puisque français, vous avez recours à deux logiciels se trouvant dans votre Palm :
I Le calculateur médical MedCalc13 vous permet de convertir les valeurs de glycémies du système d'unité français au système utilisé en Suisse (0,6 g/l = 3,3 mmol/l).
I La version de poche du Vidal® qui vous confirme que l'Amarel® est effectivement l'antidiabétique oral que vous connaissez sous le nom d'Amaryl®.
Votre posez le diagnostic d'hypoglycémie sur traitement anti-diabétique oral et après avoir administré du glucose à la patiente, vous l'adressez vers l'hôpital le plus proche pour surveillance (fig. 1).
Vous recevez la visite au cabinet d'un patient asthmatique de 30 ans, qui note une péjoration de ses symptômes au décours d'un état grippal. Ce patient ne suit pas ses peak flows de manière régulière, mais se sent beaucoup plus limité que d'habitude dans ses activités de la vie quotidienne. L'examen clinique révèle une fréquence respiratoire à 15/min, des sibilances diffuses sur les deux plages pulmonaires, et un peak flow à 325 l/min. A l'aide du calculateur médical MedCalc vous déterminez que cette valeur correspond à 49% de sa valeur prédite. Quinze minutes après un aérosol de salbutamol, son peak flow remonte à 480 (80% prédit). Vous prescrivez au patient un traitement de stéroïdes systémiques à dose dégressive sur dix jours (fig. 2).
Sensibilisé par les coûts de la santé, vous mettez un point d'honneur à prescrire, dans la mesure du possible, des médicaments génériques. Amené à traiter une patiente pour une cystite non compliquée, vous décidez de comparer le prix des différentes formes commerciales de norfloxacine. Pour ce faire vous utilisez la version électronique du Bréviaire suisse de médicaments14 et consultez la liste par principe actif. Vous pouvez dès lors facilement comparer les prix des différentes formes commerciales de ce produit et rédiger votre ordonnance en conséquence (fig. 3).
Pris d'un doute quand à la pharmacocinétique de la norfloxacine chez une patiente qui présente par ailleurs une insuffisance rénale chronique sur néphropathie diabétique, vous vérifiez la nécessité éventuelle d'adaptation des doses à l'aide du logiciel AdaptIR. Au préalable, vous avez estimé la clearance à la créatinine de la patiente par la formule de Cockcroft15 (fig. 4).
Au décours d'une conversation en fin de visite médicale, un de vos patients remarque que vous utilisez un Palm et vous signale qu'il en a reçu un pour Noël. Vous vous empressez alors de lui transmettre par liaison infrarouge votre calculateur médical, et lui faites la démonstration du calculateur de risque cardiovasculaire. Ce patient de 50 ans, fumeur, hypertendu et hypercholestérolémique, essaie depuis plusieurs années d'arrêter de fumer, mais a toujours échoué faute de motivation. Il est d'ailleurs assez irrégulier dans sa prise médicamenteuse. Vous espérez qu'en calculant lui-même son risque de maladie cardiovasculaire, en faisant varier divers paramètres, ce patient améliorera son observance médicamenteuse et trouvera peut-être une motivation supplémentaire à l'arrêt du tabac (fig. 5).
Un patient hypertendu, traité depuis vingt ans, se présente après l'échec de cardioversions médicamenteuse et électrique d'une fibrillation auriculaire que vous aviez diagnostiquée il y a quelques semaines suite à un épisode d'amaurose fugace. Le patient semble comprendre la nécessité d'une anticoagulation, mais comme il est très bricoleur et un peu maladroit, il craint les hémorragies liées aux nombreuses petites blessures. Un de ses amis présente également une fibrillation auriculaire de longue date, et son médecin lui a prescrit uniquement de l'aspirine. Il vous demande si tel ne pourrait pas être le cas pour lui. La réponse à sa question se trouve dans votre Palm : basées sur les données récentes de la littérature, les fiches développées par les cliniques médicales, vous permettent d'estimer le risque d'accident thrombo-embolique de ce patient et de le comparer à son risque d'hémorragies (fig. 6).
Une patiente de 55 ans se présente suite à l'apparition d'une dyspnée importante apparue la veille sans facteur déclenchant particulier. Elle est sous substitution hormonale et rentre de deux semaines de vacances en Egypte au cours desquelles une entorse de cheville a été traitée par immobilisation au moyen d'une attelle amovible et des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Vous suspectez une embolie pulmonaire mais avez quelques doutes, ayant récemment lu que la probabilité d'en trouver effectivement une lorsqu'on la suspecte n'est que de l'ordre de 15 à 20%.
Basées sur les données récentes de la littérature, les fiches développées par les cliniques médicales, permettent de stratifier la probabilité clinique que cette patiente ait une embolie pulmonaire, et d'adapter la stratégie diagnostique en fonction de celui-ci (fig. 7).
La maîtrise de la masse d'informations médicales nécessaires à la prise en charge de patients est si importante, que leur gestion à l'aide d'outils informatisés est désormais une nécessité.2,17 Les patients semblent s'être habitués à cette évolution des pratiques et l'utilisation par les médecins de moyens informatiques ne semble plus être perçue comme un obstacle à la relation médecin-malade.18
La médecine fondée sur les preuves nous permet d'optimaliser les stratégies diagnostiques et thérapeutiques d'un nombre croissant de pathologies.19 Cependant, les facultés de mémorisation dont la plupart d'entre nous est dotée ne permettent malheureusement de retenir correctement qu'un nombre limité d'algorithmes. Elaborés par des spécialistes, ils sont souvent relativement complexes et à moins de les utiliser quotidiennement, il est rare que nous puissions les suivre sans s'y référer étape par étape.
Les systèmes embarqués du type PocketPC ou Palm sont perçus différemment. Leur utilisation apparaît plus naturelle et moins intrusive que la consultation de textbooks ou de bases de données sur des terminaux traditionnels. L'accès à l'information en est ainsi facilité. Bien qu'il n'existe pas encore d'étude de qualité méthodologique élevée pour le démontrer, des données préliminaires suggèrent que ces systèmes permettent non seulement aux médecins d'être plus efficaces, mais ils permettent aussi d'améliorer la qualité des soins, et ils pourraient permettre de réduire le nombre d'erreurs médicales.20,21
La plupart des solutions logicielles évoquées dans cet article sont également disponibles, sous une forme ou sous une autre, pour les ordinateurs de bureau. Les avantages principaux de la plate-forme mobile résident donc dans son extrême portabilité et dans une rapidité d'accès à l'information inégalée, puisque le démarrage de l'appareil et des applications est quasiment instantané.
Les développements technologiques en cours vont dans le sens d'une fusion entre la téléphonie portable et les ordinateurs de poche. Certains modèles permettent déjà une connexion continue à Internet, donc à des bases de données médicales encore plus diverses.
En conclusion, l'ordinateur de poche se démarque réellement par la possibilité unique qu'il offre de disposer sur soi, en tout temps et instantanément d'informations médicales sans avoir à interrompre le flux de ses activités. Nous espérons que ces quelques exemples contribueront à convaincre les lecteurs encore peu familiers avec ces nouvelles technologies, que ces dernières sont en train de modifier profondément notre pratique quotidienne.