Lors de son activité quotidienne, le professionnel de soins est amené à résoudre de très nombreux problèmes et est à risque de commettre des erreurs. Dans cet article, nous abordons deux types de raisonnement utilisés quotidiennement, ainsi que les types et les probabilités d'erreurs qui y sont associés. Au travers de différents exemples concrets qui concernent le médicament, nous illustrons l'importance de l'environnement sur les probabilités d'erreurs, qui ne sauraient être ainsi ramenées à la seule compétence et à la seule vigilance de l'individu. Des pistes de «thérapeutique de la thérapeutique» sont également données.
Durant la dernière décennie, les accidents médicaux ont suscité l'attention croissante des professionnels des soins. Dans un rapport américain très remarqué intitulé «To err is human»,1 le nombre annuel de décès évitables liés à l'emploi des médicaments a été estimé à plus de 7000 aux Etats-Unis.
Selon les études,2,3 de 28 à 58% des événements indésirables médicamenteux seraient dus à des erreurs. Celles-ci se répartissent en proportion égale entre d'une part l'étape de prescription et d'autre part les étapes de retranscription, de préparation et d'administration des médicaments.2 Dans cet article, nous décrirons les différents types d'erreurs que nous, professionnels des soins, pouvons commettre au cours de ce processus. Nous les illustrerons par des événements observés sur le terrain et nous montrerons à l'aide d'exemples réels qu'il existe des moyens susceptibles de les prévenir ou en tout cas de diminuer leurs risques de survenue. Les lecteurs intéressés par l'analyse des incidents peuvent se référer à un précédent article publié dans cette revue.4
On peut schématiquement diviser les erreurs en deux grands types.5,6 Le premier comprend les erreurs qui surviennent au cours de l'exécution d'une tâche que la personne connaît bien et qui ne nécessite donc pas une grande attention (erreur d'attention). Par exemple, une infirmière expérimentée désire prendre dans l'armoire à pharmacie des comprimés de digoxine 0,25 mg et prend par erreur des comprimés à 0,5 mg. Le second type d'erreurs (erreur de raisonnement) survient lorsque l'individu est confronté à un problème qui nécessite un raisonnement basé sur des règles préétablies ou développé de novo. Par exemple, un médecin-interne débute une lyse chez un patient de 50 ans qui présente une douleur thoracique avec modifications électrocardiographiques typiques dans le territoire antérieur sans prendre en compte la présence d'un souffle d'insuffisance aortique 3/6 évoquant une possible dissection aortique de type A.
Comme nous fonctionnons le plus souvent en mode «automatique», les erreurs du premier type sont les plus nombreuses mais la probabilité de se tromper est plus élevée lorsque nous devons faire appel au raisonnement, notamment en l'absence de règles applicables. De façon générale, le risque d'erreurs pour un travailleur qualifié effectuant une tâche hautement familière est de 0,0005.6
Les situations qui facilitent la survenue des erreurs peuvent être classées en sept grandes catégories : une charge de travail élevée, une connaissance ou une expérience insuffisante, une supervision insuffisante, un environnement stressant, une ergonomie inadaptée, la fatigue ou l'ennui ainsi que le changement. L'impact de ces situations sur les risques d'erreurs n'est pas négligeable. Il a été estimé par exemple que l'accomplissement d'un travail inhabituel augmente de dix-sept fois le risque d'erreurs, les contraintes temporelles de onze fois, les procédures mal faites de trois fois.6
Premier exemple : erreur de dilution lors d'une préparation de vancomycine
Lors du contrôle du taux de vancomycinémie dans le sang d'un nouveau-né, une valeur extrêmement élevée fait suspecter une erreur. Compte tenu de la demi-vie du produit et du précédent contrôle qui était normal, il est possible d'affirmer que le nouveau-né a reçu plus de 200 mg de vancomycine au lieu des 13 mg prescrits.
L'infirmière qui a préparé le produit savait que la dose à administrer était de 13 mg et avait déjà eu l'occasion de préparer ce produit à plusieurs reprises. Quelle erreur a-t-elle commise ?
La vancomycine est conditionnée en fioles sèches de 500 mg prévues pour les adultes. Il n'y a pas de conditionnement pédiatrique. Les manipulations pour obtenir la dose prescrite de 13 mg sont les suivantes : étape A : seringue de 10 ml utilisée pour la première dilution. 5 ml sont injectés dans la fiole (1 ml = 100 mg). Etape B : seringue de 1 ml utilisée pour prélever la quantité désirée (0,26 ml). Etape C : seringue de 10 ml contenant 10 ml de soluté dans laquelle le contenu de la seringue de l'étape B est injecté (0,26 ml = 26 mg). La seringue de 10 ml est ensuite montée sur un pousse-seringue et les 5 premiers millilitres sont utilisés pour purger la tubulure. Dans le cas présent, l'erreur la plus probable a été l'omission des stades B et C (erreur d'attention) conduisant l'infirmière à monter directement la première seringue de 10 ml sur le pousse-seringue et à administrer ainsi environ 250 mg de vancomycine.
Les services de pédiatrie sont particulièrement concernés par les erreurs médicamenteuses.7,8 Cela s'explique d'une part par les calculs nécessaires pour adapter les doses au poids de l'enfant mais également par des manipulations supplémentaires au moment de la préparation en raison de conditionnements non adaptés à l'usage pédiatrique.
Améliorations entreprises
Afin de diminuer les risques d'erreurs tant au niveau des calculs que des préparations, la pharmacie en collaboration avec la pédiatrie a opté pour un conditionnement de la vancomycine en seringue prête à l'emploi de 10 ml à raison de
5 mg/ml (fig. 1). Les manipulations sont réduites (gain de temps), les calculs facilités et les conséquences moindres en cas d'erreurs de dose. Cette démarche s'inscrit dans une réflexion sur la centralisation de la préparation de médicaments particulièrement à risque.
Deuxième exemple : erreur de sélection de produit lors de la préparation
de morphine
Une équipe de soins doit administrer à un patient 10 mg de morphine en sirop trois fois par jour. Cette équipe a l'habitude d'administrer ce type de traitement et utilise toujours des concentrations de 0,1%. Plusieurs personnes auront l'occasion de préparer et de donner la morphine au patient. Après quelques jours celui-ci devient somnolent.
Il s'agit d'une erreur de sélection de produit entre la morphine 0,1% et 1% (erreur d'attention). Cette erreur a été favorisée par la ressemblance des flacons (fig. 2) et par le fait que dans l'unité de soins seule la morphine 0,1% avait été utilisée jusqu'à présent. Le patient a donc reçu quotidiennement 300 mg de morphine au lieu de 30 mg. A noter également la défaillance au moment du contrôle de la préparation qui ne révèle pas l'erreur.
Renoncer à l'utilisation des flacons multi-usages en faveur des cupules prêtes à l'emploi (fig. 3). Cette solution diminue la fréquence des erreurs de sélection et supprime les erreurs de calcul lors de la conversion millilitre-milligramme.
Troisième exemple : erreur de prescription au cours d'une chimiothérapie
Un médecin-spécialiste doit administrer une chimiothérapie à une patiente. Il note sur la prescription la dose par m2 (70 mg/m2) et calcule la dose totale (120 mg) (fig. 4). La pharmacie prépare le produit conformément à la demande du médecin et l'infirmière l'administre après avoir vérifié sa conformité avec la prescription. Quelques jours plus tard, le patient présente des symptômes qui font découvrir un surdosage.
Analyse
L'absence de protocole standardisé facilite les erreurs et les rend moins facilement détectables.9-11 Dans cet exemple, l'erreur (erreur de raisonnement) réside dans le choix de la dose par m2 qui aurait dû être de 40 mg/m2 et non de 70 mg/m2. La dose totale est donc erronée bien que le calcul soit juste. Comme cette prescription constitue le document de référence, l'erreur est difficilement détectable. Par ailleurs l'écriture manuscrite peut poser également des problèmes de lisibilité. Le protocole standardisé empêche le choix d'une dose par m2 erronée et rend l'information de référence plus fiable car plus facilement contrôlable (fig. 5). En effet, une erreur de calcul sur la dose totale est toujours possible, mais les autres intervenants (infirmières, pharmaciens) ont les éléments nécessaires pour le vérifier, contrairement à l'exemple donné.
Quatrième exemple : amélioration de la fiabilité globale d'un processus
Les protocoles de prescriptions standardisés apportent un plus indiscutable à la sécurité des chimiothérapies. Cependant, afin d'améliorer la fiabilité globale d'un processus composé de plusieurs étapes, il est nécessaire d'améliorer la fiabilité d'un maximum d'étapes. En effet, un processus constitué de dix étapes fiables chacune à 99% a une fiabilité globale de 90,4%. L'amélioration d'une seule de ces étapes de 99 à 99,9% ferait progresser sa fiabilité globale à 91,2%. Pour cette raison, plusieurs améliorations ont également été apportées aux autres étapes du processus de dispensation des chimiothérapies. Les étapes de retranscription ont été réduites au minimum : le bon de commande pour la pharmacie est constitué d'une photocopie du protocole original et un protocole d'administration standardisé pour les infirmières a été développé sur la base du protocole médical (fig. 6). Ce protocole remplace la carte de retranscription manuscrite. La préparation des cytostatiques a été centralisée à la pharmacie centrale. L'étiquetage des cytostatiques a également été amélioré (fig. 7). Enfin une erreur n'étant malgré tout pas complètement exclue, la fiabilité de l'étape de contrôle avant administration a été renforcée par l'introduction d'une check-liste. Ce contrôle concerne une dizaine de paramètres et lorsqu'il est effectué de mémoire, il faut s'attendre à des taux d'erreurs par ommission de l'ordre de 5%. Par contre, l'introduction d'une check-liste permet d'améliorer sa fiabilité d'un facteur 50 et donc d'atteindre une fiabilité de l'ordre du pour-mille (fig. 8). 12
De nombreuses études se sont intéressées aux conséquences cliniques des erreurs médicales et ont permis de prendre conscience du coût énorme qu'elles représentent pour les systèmes de soins. Si des travaux supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les relations entre erreur, individu et environnement de travail, de nombreuses actions d'amélioration sont cependant déjà possibles. Elles comprennent la simplification de certaines tâches, l'amélioration de l'ergonomie des documents ou des appareils, la standardisation de certaines activités et l'utilisation de check-listes.
*Groupe Incidents médecine interne :
Linda Bontaz, Stéphane Chambon, Pierre Chopard, Philippe Eggimann, Evelyne Grosjean, Céliane Héliot, Anne Iten, Sophie Le Du, Martine Louis-Simonet, Christophe Luthy, Muriel Mabboux, Vincent Morel, Muriel Tarpin-Lyonnet