Le développement de l'industrie touristique moderne favorise l'accès à des hautes altitudes pour une population croissante de personnes non acclimatées et souvent peu familières des dangers de cet environnement, dont la caractéristique principale est l'hypoxie ambiante liée à la diminution de la pression barométrique. Les pathologies aiguës liées à la haute altitude représentent donc un problème médical non négligeable auquel tout praticien peut être confronté. On distingue classiquement trois entités cliniques : le mal aigu des montagnes (Acute Mountain Sickness, AMS), l'dème cérébral d'altitude (High Altitude Cerebral Edema, HACE) et l'dème pulmonaire d'altitude (High Altitude Pulmonary Edema, HAPE), ces deux derniers représentant des urgences vitales.Cet article présente les recommandations actuelles pour leur prise en charge diagnostique, prophylactique et thérapeutique ainsi que les dernières avancées de la recherche dans le domaine de l'dème pulmonaire d'altitude.
La haute altitude est un environnement hostile. Sa caractéristique principale est l'hypoxie ambiante qui est proportionnelle à la diminution de la pression barométrique.1 Ainsi, à une altitude de 4000 mètres, la quantité d'oxygène dans l'air ambiant diminue de près de 40% par rapport au niveau de la mer. A cela s'ajoutent le froid, le vent, dans un contexte propice aux efforts physiques inhabituels et un risque accru de déshydratation. Il est communément admis de parler de haute altitude à partir de 2500 mètres, hauteur à laquelle la saturation artérielle en oxygène chute habituellement en dessous de 90% chez la personne en bonne santé. Le développement de l'industrie touristique moderne favorise l'accès à des hautes altitudes pour une population croissante de personnes non acclimatées et souvent peu familières des dangers de cet environnement. Les pathologies aiguës liées à la haute altitude représentent donc un problème médical non négligeable auquel tout praticien peut être confronté.
On distingue trois entités cliniques principales : le mal aigu des montagnes (Acute Mountain Sickness, AMS), l'dème cérébral d'altitude (High Altitude Cerebral Edema, HACE) et l'dème pulmonaire d'altitude (High Altitude Pulmonary Edema, HAPE), ces deux derniers représentant des urgences vitales. Pour des raisons évidentes, on ne dispose pas d'études à large échelle sur le sujet. Les données et recommandations présentées ici proviennent d'études prospectives sur des petits nombres de sujets, d'études observationnelles émanant des centres médicaux d'altitude (fig. 1) et des conférences de consensus dans le domaine de la médecine d'altitude.
Les conséquences physiologiques de l'hypoxie ambiante sur l'organisme ont été largement décrites. La vasoconstriction au niveau des artères pulmonaires entraîne une augmentation de la pression artérielle dans la petite circulation. L'hyperventilation conduit à une alcalose respiratoire diminuant la stimulation respiratoire.2 On observe également une augmentation du flux sanguin cérébral3 et une sécrétion accrue de peptide natriurétique atrial (ANP) stimulant la diurèse,4 ce qui, avec les pertes liquidiennes liées à l'hyperventilation, accroît le risque de déshydratation. Les maladies aiguës de la haute altitude résultent probablement de perturbations de ces réponses (fig. 2). On peut également en déduire la plupart des facteurs de risque pour ces affections (tableau 1) : les facteurs de risque communs aux trois entités (AMS, HAPE et HACE) sont des antécédents de mal d'altitude, l'altitude de séjour absolue et la durée du séjour, la rapidité de l'ascension, l'intensité de l'effort physique, la résidence habituelle à une altitude inférieure à 900 mètres et un âge inférieur à 50 ans.5,6 Une bonne condition physique n'est pas un facteur protecteur. Concernant le HAPE, l'entité de loin la mieux étudiée des trois, on a en outre constaté une corrélation négative avec l'âge, une influence du sexe (risque plus élevé chez l'homme), d'une infection concomitante des voies aériennes, d'anomalies préexistantes de la circulation pulmonaire (atrésie de l'artère pulmonaire unilatérale, hypertension artérielle pulmonaire primitive) et probablement du froid. Pour les résidents en haute altitude, le retour d'un séjour en basse altitude est également considéré comme facteur de risque de HAPE (dème dit de réentrée).7 Par des mécanismes encore peu clairs, la trisomie 21 semble également constituer un facteur de risque.8 Le phénomène de prédisposition individuelle est particulièrement patent pour le HAPE.7,9,10 Cette caractéristique, tout comme sa survenue chez des personnes habituellement jeunes et en bonne santé en font un modèle unique pour l'étude des mécanismes physiopathologiques de l'dème pulmonaire, thème développé plus amplement dans la deuxième partie de cet article.
Il est difficile d'indiquer des chiffres globalement valables quant à la prévalence des maladies liées à la haute altitude dans la population générale. L'influence des facteurs de risque sur la prévalence est illustrée par l'augmentation des cas d'AMS en fonction de l'altitude. A 1980 mètres, le taux d'AMS dans la population est estimé à 3%. Il passe à 9% à 2820 mètres, 13% à 3050 mètres et atteint 52% à 4559 mètres.11 Pour le HAPE, les chiffres sont de 10% à la Capanna Regina Margherita (4559 mètres) (fig. 1),9,12 que les alpinistes atteignent en général après une ascension rapide (moins de 24 heures), tandis que ce taux n'est que de 2% pour la même altitude au Népal, où les ascensions se font en général plus progressivement.5 Chez le sujet prédisposé, la probabilité de développer un HAPE augmente de façon impressionnante, atteignant 70% après une ascension rapide à la cabane Margherita.7,9,10 Le HAPE est la première cause de mortalité parmi les maladies aiguës de la haute altitude.6 Quant au HACE, son caractère est sporadique et il n'existe pas de données permettant d'en chiffrer l'incidence ou de dégager des facteurs de risque spécifiques à cette entité.13
Le tableau 1 résume les symptômes caractéristiques des trois entités. L'AMS se définit par l'apparition de céphalées chez une personne non acclimatée arrivée récemment à une altitude supérieure à 2500 mètres associée à un symptôme parmi les suivants : inappétence, nausées, vomissements, insomnie, asthénie.14 Le délai d'apparition des symptômes est typiquement de 6 à 10 heures mais peut être plus rapide. Dans la majorité des cas, les symptômes disparaissent spontanément après 48 heures. Dans de rares cas, l'AMS peut se compliquer d'une ataxie, de troubles de la coordination et de l'état de conscience, autant de signes d'alarme pour un HACE débutant, qui peut évoluer rapidement vers le coma.
Les signes de HAPE débutant les plus fréquents sont une dyspnée de repos ou au moindre effort, une tachypnée, une tachycardie, une toux sèche et un état subfébrile, qui apparaissent habituellement 36 à 72 heures après l'arrivée en altitude.7 La présence de râles crépitants à l'auscultation pulmonaire est un signe dont la sensibilité et la spécificité sont insuffisantes dans ce contexte. Ceux-ci peuvent en effet aussi être présents en cas d'AMS, alors que l'auscultation est normale dans environ 40% des cas de HAPE. Des signes de HACE associé peuvent être présents dans 14% des cas de HAPE.15
Il est important de relever que tandis que le HACE vient toujours compliquer une AMS, le HAPE peut parfois se développer sans signes d'AMS préexistante. De même le délai nécessaire au développement d'un HAPE ou HACE (36 à 72 heures) rend leur diagnostic lors d'un séjour d'une seule journée en haute altitude très improbable.
Pour le praticien face au patient venant lui demander conseil en vue d'un séjour en haute altitude, il est important de souligner que le HACE et le HAPE restent des urgences vitales nécessitant une évacuation la plus rapide possible vers la plaine. Les autres interventions dans ces situations ne représentent que des moyens complémentaires permettant de gagner du temps et de diminuer temporairement la menace vitale. Les mesures générales de prévention restent le meilleur moyen d'éviter la survenue des maladies d'altitude. Compte tenu du côté exaltant d'un séjour en haute altitude, il n'est pas inutile de rappeler quelques consignes de simple prudence, comme d'éviter de s'exposer à des facteurs de risque évitables et garder conscience de ses propres limites, autant de principes par ailleurs scrupuleusement respectés par les alpinistes expérimentés. D'autre part, il n'existe aucun examen praticable en basse altitude capable de prédire le risque de développer une maladie d'altitude chez un sujet n'ayant jamais été exposé à la haute montagne.
Les mesures générales de prévention recommandées (tableau 2) découlent directement des facteurs de risque mentionnés plus haut.5,6 Ainsi, on recommande une acclimatation progressive à l'altitude, avec des paliers ascensionnels n'excédant pas 400 mètres par jour au-delà de 2500 mètres. On veillera également à maintenir une hydratation suffisante et une alimentation riche en hydrates de carbone. L'intensité de l'effort physique devrait être limitée au cours des premiers jours. Ces mesures devraient être appliquées avec une attention particulière en cas d'antécédents d'AMS, HAPE ou HACE vu le risque augmenté de récidive.
Aucun des traitements prophylactiques ne peut être considéré comme efficace à 100%. Les traitements dont l'efficacité prophylactique a été démontrée dans l'AMS sont l'acétazolamide et la dexaméthasone (tableau 2). Une méta-analyse de trente-trois études randomisées a comparé des interventions multiples sur un total de 523 patients et 519 contrôles.16 L'acétazolamide s'est révélée efficace à une dose journalière de 750 mg avec un RR (risque relatif) de 2,2 et un NNT (Number Neaded to Treat) de 2,9 patients. L'efficacité de la dexaméthasone était comparable à des doses de 8 à 16 mg par jour (RR 2,5, NNT 2,8).16 Ils peuvent être recommandés en première intention aux personnes ayant des antécédents d'AMS ou en cas d'exposition inévitable prévisible aux facteurs de risque mentionnés plus haut. Les effets secondaires les plus fréquemment rencontrés avec l'acétazolamide sont des paresthésies, une polyurie et une perturbation du goût. Sous dexaméthasone, des cas de dyspepsie et des troubles de l'humeur à l'arrêt du traitement ont été signalés.6,16 Il n'y a pas de données spécifiques sur le sujet, mais on peut supposer que la prévention de l'AMS diminuera également le risque de HACE. Dans le HAPE, l'efficacité prophylactique de la nifédipine (Adalat® CR 20 mg aux 12 heures dès J3, puis 20 mg aux 8 heures) a été démontrée.12 L'inhalation prophylactique d'agonistes bêta-2-adrénergiques à haute dose (salmétérol 125 mg aux 12 heures) a eu un effet préventif comparable.17 Les mécanismes physiopathologiques du HAPE et de son traitement sont discutés plus en détail dans la deuxième partie de l'article. En cas d'antécédents répétés de HAPE et en particulier en cas de survenue de HAPE à une faible altitude (18
En cas d'AMS, le repos et le traitement symptomatique par analgésiques simples suffisent en général à traiter les formes modérées.6 Il faut également rester attentif au maintien d'une hydratation suffisante, qui peut être contrariée par la présence de nausées ou de vomissements. Dans ce cas, des antiémétiques peuvent être administrés. L'acétazolamide et la dexaméthasone aux doses citées plus haut se sont également révélés efficaces dans le traitement de l'AMS établie19,20 et peuvent être associés aux mesures déjà mentionnées en cas de persistance des symptômes. En l'absence d'amélioration clinique dans les heures suivant le début du traitement, une descente d'un palier de 500 à 1000 mètres doit être envisagée.
Le HAPE et le HACE sont à considérer comme des urgences vitales. L'évacuation rapide vers la plaine est nécessaire.6 Elle sera salvatrice dans tous les cas par la correction du facteur pathogénique principal qu'est l'hypoxie. Ceci se traduit par une guérison complète et rapide qui permet généralement au patient de quitter l'hôpital après quelques heures. Pour les situations où une évacuation rapide vers une altitude plus basse est impossible, il existe d'autres interventions ayant démontré leur efficacité. L'oxygène pur en bonbonnes permet d'élever la pression partielle d'oxygène dans l'air inspiré à un niveau qui bien que limité par la pression barométrique, sera supérieur à la pression partielle normale en plaine. Des caissons hyperbares portatifs permettent par l'intermédiaire d'une pompe manuelle, d'effectuer une descente virtuelle pouvant atteindre 2000 mètres, qui sera suffisante dans la plupart des cas pour écarter la menace vitale jusqu'au moment de l'évacuation.21 Il va de soi qu'une personne atteinte de HAPE ou de HACE en attente d'évacuation devrait observer un repos maximum, être mise à l'abri des intempéries et rester sous surveillance. Pour le HACE, l'administration sans délai de dexaméthasone à une dose initiale de 8 mg suivie de 4 mg toutes les six heures est recommandée dans tous les cas. Dans le HAPE, l'administration de nifédipine (20-30 mg aux 8 heures) a eu un effet clinique favorable dans une étude sur six sujets22 et peut donc être recommandée comme traitement d'urgence en cas de délai avant l'évacuation en l'absence d'oxygène disponible (tableau 2). A noter que les diurétiques sont à proscrire dans la prévention et le traitement du HAPE (risque d'hypotension et impact limité par l'état hypovolémique à la base).
Plusieurs études récentes ont permis une meilleure compréhension de la pathogenèse du HAPE. On a ainsi pu constater que les sujets individuellement prédisposés au HAPE se distinguaient des sujets résistants par une augmentation exagérée de la pression artérielle pulmonaire en réaction à l'hypoxie.9 Parmi les mécanismes contribuant à cette augmentation, une hyperactivité du système nerveux sympathique23 et une perturbation de la fonction endothéliale (production excessive de facteurs vasoconstricteurs tels que l'endothéline-1,24 défaut de synthèse de vasodilatateurs (NO)9) ont été documentés. On considère que l'élévation massive de la pression artérielle pulmonaire conduit à des inhomogénéités de perfusion avec ruptures de capillaires dans les zones hyperperfusées.25 La réduction de la pression artérielle pulmonaire par l'administration de nifédipine22 ou de NO9 s'est avérée efficace chez les sujets présentant un HAPE. On a donc pu croire qu'il s'agissait là d'une condition nécessaire et suffisante au développement du HAPE.
L'absence complète de cas de HAPE dans un groupe de jeunes sujets présentant une hypertension artérielle pulmonaire en haute altitude de degré semblable aux sujets prédisposés au HAPE suite à un trouble de l'adaptation périnatale26 a cependant nécessité la révision de ce concept. Parmi les autres mécanismes susceptibles de contribuer à la pathogenèse du HAPE, un défaut de la résorption du liquide alvéolaire représentait un candidat possible. En effet, chez l'animal on a pu démontrer que le transport actif du sodium par l'épithélium des voies respiratoires est le principal mécanisme responsable de la réabsorption du liquide alvéolaire vers la circulation sanguine après induction d'un dème pulmonaire expérimental.27 On rappellera que les vecteurs de ce transport sont le canal sodique amiloride-sensible (ENaC) localisé dans la membrane apicale des cellules épithéliales et la pompe à sodium baso-membranaire (Na-K-ATPase) (fig. 3). Le flux net de sodium en direction de l'interstice crée un gradient osmotique qui entraîne l'absorption du liquide.27 Le clonage d'ENaC a révélé le rôle crucial de ce canal dans la résorption du liquide pulmonaire. En effet, l'inactivation du gène codant pour la sous-unité alpha-ENaC s'est révélée être une mutation létale. Les souris mutantes aENaC(-/-) décèdent quelques heures après la naissance d'un dème pulmonaire massif.28 Dans un modèle transgénique de dysfonction de aENaC (aENaC(-/-)Tg), la souris survit jusqu'à l'âge adulte, mais présente une susceptibilité accrue à l'dème pulmonaire expérimental liée à une diminution de la capacité à résorber le liquide intra-alvéolaire.29,30
Le transport transépithélial du sodium joue également un rôle important dans la réabsorption du liquide alvéolaire chez l'homme. Chez les sujets prédisposés au HAPE, la différence de potentiel transépithélial nasal, un marqueur de ce transport établi à travers la recherche concernant la mucoviscidose, était diminuée d'environ 30% chez les sujets prédisposés par rapport aux sujets contrôles en plaine, un défaut qui s'accentuait encore en haute altitude.10 Afin d'évaluer l'impact clinique de ce défaut autant que son éligibilité en tant que cible thérapeutique, nous avons effectué une étude randomisée contre placebo de prévention de l'dème d'altitude par stimulation bêta-2-adrénergique du transport transépithélial du sodium. L'administration topique de salmétérol en spray (125 mg deux fois par jour) a diminué l'incidence de HAPE dans le groupe traité d'environ 60%.17 Il s'agit là d'un effet prophylactique comparable à celui de la nifédipine, tout en ayant l'avantage de la voie topique, ce qui permet de diminuer les effets secondaires systémiques. Le salmétérol devrait donc à l'avenir représenter un complément bienvenu aux moyens préventifs déjà établis.
Au-delà du HAPE, le transport transépithélial du sodium apparaît comme un mécanisme potentiellement important dans la physiopathologie de l'dème pulmonaire en général (fig. 3), et sa stimulation comme nouvelle approche thérapeutique dans cette pathologie qui demeure grevée d'une morbidité et d'une mortalité très élevées. Ainsi la recherche expérimentale sur une pathologie comme le HAPE, dont l'intérêt semblerait de prime abord limité à un groupe restreint d'aventuriers fortunés, pourrait aboutir à des retombées à l'impact scientifique et clinique beaucoup plus large.