Malgré l'émergence des thérapies multimodales, le traitement optimal du cancer de l'sophage reste un sujet de controverse dans les domaines de l'oncologie médicale et chirurgicale. L'exérèse chirurgicale reste le traitement de choix du cancer de l'sophage résécable. Il semble que les traitements néoadjuvants offrent un avantage en termes de survie pour certains sous-groupes de patients, mais ces résultats doivent encore être confirmés avant d'être reconnus comme approche standard.Le but premier du traitement chirurgical est de restaurer rapidement et sans complication un passage digestif tout en remplissant les critères oncologiques de radicalité. Les deux types d'interventions principales se réalisent par voie thoraco-abdominale (transthoracale) ou par voie abdominale et transhiatale, l'sophagectomie totale étant préférable à la résection segmentaire.L'exérèse transhiatale avec anastomose cervicale telle que nous la pratiquons remplit les critères de radicalité oncologique tout en faisant bénéficier les patients d'un taux de complications réduit.
Alors que le diagnostic préopératoire du cancer de l'sophage et le traitement postopératoire ont fait de grands progrès, les techniques d'exérèse chirurgicale de l'sophage ont peu évolué ces dernières années ; en particulier la chirurgie mini-invasive n'a apporté, à ce jour, aucun bouleversement notable des tactiques chirurgicales dans le traitement du cancer de l'sophage.
La relation entre l'étendue de la radicalité chirurgicale lors de la résection et la sécurité chirurgicale permettant de limiter au maximum les complications doit être évaluée avec soin, afin d'offrir au patient le traitement le plus efficace possible avec la morbidité la plus faible possible. Dans cette optique, une évaluation préopératoire rigoureuse avec une localisation précise, un staging complet et l'évaluation de l'opérabilité individuelle sont réalisés de manière interdisciplinaire. L'expérience de l'équipe chirurgicale joue un rôle déterminant. Comme le pronostic à long terme est plutôt limité, le rétablissement rapide et sans risque du passage digestif représente une priorité. Les exérèses incomplètes et les fuites d'anastomose suivies d'un décours postopératoire pénible sont les facteurs déterminant les mauvais résultats fonctionnels postopératoires.
L'sophage est un organe ayant essentiellement pour fonction d'assurer le transport du bol digestif mais son trajet de la bouche à l'estomac croise un grand nombre de structures anatomiques qui peuvent être soit directement infiltrées par la tumeur, soit envahies par le développement ganglionnaire. Un des aspects particuliers de l'expansion des tumeurs sophagiennes est la tendance à la croissance le long de l'axe anatomique longitudinal, aussi bien pour la tumeur primaire que pour les métastases ganglionnaires. Comme les premiers vaisseaux lymphatiques de l'sophage se trouvent au niveau de la lamina propria et de la couche musculaire sous-muqueuse, l'invasion lymphatique débute précocement. Un envahissement ganglionnaire se retrouve initialement même dans les stades débutants.
Lors du choix de la stratégie chirurgicale, la localisation de la tumeur et l'étendue du curage ganglionnaire à planifier jouent un rôle, ainsi que le niveau prévu de l'anastomose. Pour remplacer l'sophage, on utilise soit une gastro-, soit moins fréquemment une entéro- ou une coloplastie ; la plastie est le plus souvent orthotope au travers du médiastin postérieur, mais un trajet hétérotope rétrosternal peut être utilisé dans certains cas.
Le but de cette revue est de présenter les procédés chirurgicaux les plus fréquents avec leurs avantages et leurs inconvénients. Un aspect important et controversé est la place du traitement néoadjuvant, et les résultats à long terme qui seront aussi évoqués.
La voie d'abord transthoracale droite et les résections transhiatales pour les tumeurs des tiers moyen et distal de l'sophage sont les plus fréquemment réalisées et vont être plus particulièrement présentées ici. La thoracotomie gauche permet une excellente exposition de l'sophage distal et du cardia, mais ne joue, en pratique, qu'un rôle marginal, car l'extension proximale est fortement limitée et une laparotomie est de toute façon nécessaire pour le curage ganglionnaire et la gastroplastie.
La faisabilité de l'sophagectomie par des techniques mini-invasives a été prouvée,1,2 mais l'abord combiné laparoscopique et thoracoscopique n'est pratiqué que dans peu de centres et aucun avantage oncologique n'a pu être montré jusqu'à maintenant.1,2
Cet abord combiné permet une dissection optimale de l'sophage intrathoracique, du canal thoracique et de la veine azygos, ainsi qu'un curage ganglionnaire médiastinal complet.3 Dans l'abdomen, le curage ganglionnaire est également étendu et la colo- ou gastroplastie de remplacement de l'sophage est aisément réalisable, le rétablissement de la continuité digestive se pratiquant, soit par une anastomose intrathoracique, soit au niveau cervical.
Pour cette intervention, le patient est généralement placé de trois quarts en position de double voie simultanée, ce qui permet un gain de temps opératoire appréciable. Après la résection, le greffon de remplacement est placé au travers du hiatus et anastomosé à l'sophage restant.
Si l'abord thoraco-abdominal permet une exposition remarquable, plusieurs inconvénients majeurs sont connus et particulièrement pour les patients avec une fonction pulmonaire réduite, l'intervention dans deux cavités (thorax-abdomen) entraîne une augmentation non négligeable de la morbidité et de la mortalité avec des taux de complications pulmonaires supérieurs à 50% des cas (tableau 1).
Le patient est placé en décubitus dorsal et l'abord comprend une laparotomie et une cervicotomie.4 L'abord du médiastin postérieur s'effectue au travers du hiatus sophagien, ce qui permet une dissection de l'sophage jusqu'à la hauteur de la bifurcation trachéale avec un curage ganglionnaire. Même si théoriquement une anastomose mécanique transhiatale est possible, l'anastomose cervicale telle qu'elle est réalisée dans notre centre est préférée par la plupart des auteurs. Les avantages d'une anastomose cervicale incluent la localisation à l'extérieur du champ de l'éventuelle radiothérapie préopératoire, une marge de sécurité plus éloignée de la tumeur grâce à une sophagectomie totale, un taux de reflux plus faible et un traitement simplifié d'une éventuelle fuite anastomotique.
En dépit d'une radicalité oncologique théoriquement moindre, la résection transhiatale offre une morbidité et une mortalité significativement plus basses que pour l'abord thoraco-abdominal (tableau 1).
Si un grand nombre de publications favorisent l'abord thoraco-abdominal aussi bien que l'abord transhiatal, il n'existe actuellement que trois études prospectives randomisées comparant objectivement ces deux voies d'abord5-7 (tableau 1). La durée de l'intervention est nettement prolongée pour l'abord thoraco-abdominal dans les trois études, mais tous les autres paramètres sont comparables, y compris la survie à long terme. Hulscher a montré que le nombre de résections radicales (R0) était similaire pour les deux voies d'abord et que la survie n'était pas en relation avec le nombre de ganglions réséqués.7
En raison d'une morbidité réduite et d'une durée opératoire plus courte, la résection transhiatale est l'intervention de choix réalisée dans notre centre. Une résection thoraco-abdominale sera réservée aux tumeurs proximales du tiers moyen lorsque les investigations préopératoires ont montré qu'une résection transhiatale n'est pas possible. Comme le placement hétérotope (rétrosternal) du greffon de reconstruction est grevé d'un taux de complications cardiopulmonaires supérieur,8 nous recommandons de placer la reconstruction du néo-sophage orthotope dans le médiastin postérieur.
Au moment du diagnostic 60-80% des patients présentent déjà des métastases ganglionnaires9 et, dans un pourcentage important des cas au niveau d'un compartiment adjacent. Ainsi, Akiyama a montré que pour les cancers du tiers distal, 28% des patients présentent des métastases ganglionnaires cervicales.9 Ainsi, si on dénombre plus de quatre ganglions envahis, une nette péjoration du pronostic est observée.
La radicalité chirurgicale maximale n'est atteinte que pour un curage ganglionnaire sur trois étages comprenant un curage abdominal, médiastinal et cervical, pratiqué principalement par les chirurgiens japonais. Cependant, l'avantage du curage étendu décrit par les auteurs japonais en termes de survie n'a pu être reproduit dans aucune série occidentale.9 C'est pour cette raison qu'en Europe et aux Etats-Unis, le curage cervical n'est pas pratiqué, permettant ainsi de réduire la morbidité.
La biologie de l'adénocarcinome de l'sophage montre une croissance et une infiltration longitudinale, pour cette raison, les limites de l'exérèse doivent être situées le plus loin possible de la tumeur.11,12 C'est pourquoi, l'sophagectomie totale est préférée aux résections segmentaires13 dans ces cas.
La gastroplastie est le type de reconstruction le plus souvent utilisé, suivie de l'emploi d'un greffon colique ou grêle. L'avantage de la gastroplastie réside dans sa bonne fonction de transport et sa simplicité technique (tubulisation aisée, une seule anastomose (fig. 1). Les inconvénients sont un taux de fuites anastomotiques élevé en raison des variations de la vascularisation gastrique et, parfois, le greffon est trop court pour atteindre sans tension l'sophage cervical. Il existe plusieurs variantes de greffon d'interposition gastrique qui sont finalement toutes comparables, leur vascularisation se basant sur l'artère gastro-épiploïque.14
Si l'estomac ne peut pas être utilisé pour des raisons variées (résection gastrique antérieure par exemple) une coloplastie peut être réalisée. Le côlon droit, le gauche ou le transverse de même qu'un greffon iléo-cæcal peuvent être utilisés. La confection d'une coloplastie nécessite cependant la réalisation de trois anastomoses digestives, augmentant ainsi le temps opératoire et les risques potentiels de complications. Les résultats fonctionnels sont identiques aux résultats de la gastroplastie.
L'impact du traitement néoadjuvant sur la morbidité et sur la survie demeure peu clair dans la littérature actuelle, certaines études rétrospectives décrivaient une augmentation des taux de complications postopératoires alors que d'autres, plus récentes, ne retrouvent pas cette augmentation de la morbidité. La valeur du traitement néoadjuvant pour la survie est également controversée (tableau 2).
Les études disponibles montrent un avantage de survie pour certains sous-groupes de patients ayant bien répondu au traitement néoadjuvant, en revanche, rapportée au collectif de l'ensemble des patients traités, aucune augmentation globale de survie n'a pu être démontrée.15-20 En conséquence, un traitement multimodal néoadjuvant suivi de chirurgie ne devrait être proposé que dans le cadre d'études contrôlées pour permettre une évaluation scientifique de ce type de traitement.
En dépit du manque de données conclusives, le traitement néoadjuvant avec radiochimiothérapie préopératoire suivi d'exérèse fait partie du concept de traitement de nombreux centres.
La chirurgie reste l'option thérapeutique principale dans le traitement du cancer résécable de l'sophage, des taux de survie à cinq ans pouvant atteindre 40% sont décrits7 pour des traitements multimodaux. L'exérèse transhiatale avec anastomose cervicale, telle que nous la pratiquons dans notre centre, remplit les critères de radicalité oncologique tout en faisant bénéficier les patients d'un taux de complications minimal.
En raison de la rareté de cette pathologie, la plupart des séries incluent relativement peu de patients, et le nombre d'interventions annuelles par centre reste limité. Dans ce contexte, une approche multidisciplinaire gastro-onco-chirurgicale de qualité est indispensable et le concept de traitement néoadjuvant doit continuer à être analysé prospectivement.