La ponction-biopsie à l'aiguille fine est la pierre angulaire de la prise en charge du nodule thyroïdien. L'intervention minimale pour un nodule à cytopathologie suspecte est une lobectomie thyroïdienne. Si le diagnostic de malignité est établi, nous recommandons une thyroïdectomie totale pour toute lésion folliculaire supérieure à 1,5 cm, ainsi que pour les carcinomes papillaires à haut risque. Une thyroïdectomie subtotale peut être proposée pour les carcinomes papillaires à bas risque pour lesquels une radiothérapie à l'iode131 n'entre pas en compte. Une lymphadénectomie ipsilatérale centrale est réalisée de routine, un évidement ganglionnaire du cou n'étant indiqué qu'en cas d'atteinte nodale périphérique patente. Nous présentons ici une description détaillée de la prise en charge chirurgicale du nodule thyroïdien bien différencié, telle que nous la préconisons à Bâle, ainsi qu'un aperçu de la morbidité associée.
Le nodule thyroïdien est une trouvaille fortuite du status clinique de routine. Alternativement, le patient se rend chez son médecin avec une masse palpable du cou et/ou une anamnèse suspecte de trouble endocrinien. La mise en évidence d'une pathologie thyroïdienne implique la réalisation d'un bilan endocrinien sanguin et radiologique. Le nodule fait alors l'objet d'une ponction-biopsie à l'aiguille fine (PBA) et la cytopathologie oriente la prise en charge médico-chirurgicale. A noter que la majorité des nodules relève de pathologies bénignes (kyste, goitre, thyroïdite). Dans cette mise au point centrée sur le nodule tumoral bien différencié, nous décrirons l'algorithme de prise en charge tel que pratiqué dans notre établissement.
La prévalence des néoplasies thyroïdiennes n'est pas sous l'influence des apports iodés, par contre l'histopathologie des nodules tumoraux s'en ressent : les zones d'endémie goitreuse présentent un excès de tumeurs folliculaires et anaplasiques de moindre pronostic. Depuis l'introduction du sel iodé, la Suisse ne fait plus partie des régions d'endémie. L'incidence annuelle1 des néoplasies thyroïdiennes, tout âge confondu, est de 0,9/100 000 hommes et de 1,6/100 000 femmes. Ces tumeurs tuent ainsi 31,4 hommes et 57,4 femmes par an en Suisse, soit 0,3% et 0,8% respectivement des décès sur néoplasie. Sur dix nouveaux cas, deux personnes ont moins de 40 ans, quatre ont entre 40 et 65 ans et quatre autres sont âgées de plus de 65 ans. Les carcinomes médullaires et anaplasiques de la thyroïde représentent chacun 5% des cancers cliniques, alors que les tumeurs micropapillaires (carcinome papillaire de ¾ 10 mm) sans expression clinique sont retrouvés dans 4-36% des autopsies.2 La majorité des néoplasies thyroïdiennes est constituée des carcinomes papillaires (75%) et folliculaires (15%). Les carcinomes papillaires3 atteignent plus fréquemment des femmes (2-3 : 1), jeunes (âge au diagnostic 30-50 ans) et sont multicentriques d'emblée une fois sur cinq. Une métastatisation lymphogène domine. Le pronostic est généralement bon, mais s'assombrit avec l'âge, avec une masse tumorale dépassant un centimètre et avec une atteinte multicentrique ou invasive d'emblée. Les carcinomes folliculaires touchent des patients en moyenne dix ans plus âgés et présentent un pronostic plus réservé avec une métastatisation hématogène dominante (poumon). Néanmoins, seuls 5% des nodules thyroïdiens4 présentent une pathologie maligne, et parmi ceux-ci la vaste majorité (> 80%) sont des carcinomes bien différenciés d'excellent pronostic. Les nodules solitaires, froids à la scintigraphie ou se présentant aux extrêmes de l'âge ( 60 ans) sont les plus susceptibles d'abriter un carcinome. Une exposition aux radiations ionisantes, en particulier chez l'enfant, est le facteur de risque le plus important.
Le status clinique est complété par un bilan endocrinien (TSH, fT3, fT4) et radiologique. L'ultrason cervical objective le nodule palpé et donne une indication sur la dissémination ganglionnaire, qui est mieux évaluée par CT ou IRM, indiqués en cas de suspicion de dissémination tumorale extra-thyroïdienne. Enfin, la cytopathologie obtenue par PBA est l'examen-clé qui oriente sur l'étiologie du nodule ponctionné. La sensibilité et la spécificité de la PBA5 sont élevées, en faisant l'examen de référence pour le diagnostic pathologique.
Tout carcinome opérable diagnostiqué par PBA relève d'une sanction chirurgicale. Les nodules suspects de malignité en cytopathologie présentent également une indication chirurgicale bien établie, tout comme les nodules solitaires froids à la scintigraphie dont la cytopathologie montre une lésion folliculaire ou à cellules de Hürthle. En effet, la cytopathologie ne permet pas la distinction entre lésion folliculaire bénigne et maligne qui nécessite la démonstration d'un envahissement extracapsulaire ou intravasculaire.
Les kystes thyroïdiens sont généralement bénins. Néanmoins, les lésions kystiques complexes et les kystes dépassant 4 cm, ainsi que les kystes récidivant après plusieurs ponctions évacuatrices sont eux aussi redevables d'une sanction chirurgicale, une pathologie tumorale étant fréquemment retrouvée dans l'examen de la glande réséquée.6 De même, un carcinome thyroïdien de volume important peut nécroser et produire alors une lésion à caractère kystique. Enfin, lorsqu'un nodule thyroïdien a priori bénin augmente de volume malgré un traitement suppresseur adéquat de la TSH par thyroxine, une indication chirurgicale est également relevée. Quant au nodule thyroïdien non palpable, trouvaille fortuite d'une imagerie thyroïdienne, nous préconisons une attitude conservatrice avec un suivi clinique régulier par palpation, sans résection, puisque le risque de dégénérescence maligne à ce stade est minimal.7 Les indications chirurgicales retenues sont présentées dans le tableau 1.
L'approche classique envers un nodule thyroïdien isolé est la résection par lobectomie ipsilatérale emportant l'isthme.8 Le choix d'une lobectomie d'emblée est justifié par la difficulté d'une éventuelle réintervention sur un lobe cicatriciel, synonyme d'une morbidité élevée avec notamment un risque d'atteinte des nerfs laryngés et d'hypoparathyroïdisme. Afin d'éviter définitivement tout risque de réintervention, certains groupes proposent une thyroïdectomie subtotale pour tout nodule à cytopathologie et biopsie extemporanée suspectes.9 Nous nous distançons de cette approche, car la lobectomie est un traitement nécessaire mais suffisant pour tout nodule bénin. Si l'histopathologie affirme alors la malignité, nous réalisons une thyroïdectomie de totalisation sans délai, dont la difficulté technique dans les sept premiers jours postopératoires est similaire à celle d'une intervention radicale d'emblée.
La résection idéale pour un carcinome thyroïdien bien différencié demeure un sujet controversé. En l'absence de données de qualité, les recommandations pour la pratique clinique reposent sur des études rétrospectives et non randomisées. L'obtention d'évidences solides sur cette question se heurte à l'histoire naturelle indolente du carcinome thyroïdien bien différencié, dont les taux de récidives et de décès sur progression tumorale sont bas. L'investigation du taux de récidives nécessiterait une étude incluant 360 à 800 patients sur un suivi de dix ans, alors que la mortalité tumorale requerrait l'inclusion de 3100 patients.10 Un consensus s'est ainsi établi en faveur d'une résection étendue (thyroïdectomie totale ou subtotale) pour les tumeurs dépassant 1,5 cm de diamètre,11 le taux de récidives controlatérales étant trop haut (9-14%), au-delà de ce seuil dans plusieurs séries importantes.12-16 Ce phénomène est attribué à la multicentricité des lésions. De la même façon, un diagnostic histopathologique de carcinome multicentrique sur une lobectomie pour nodule isolé augmente considérablement le risque d'atteinte de la glande controlatérale.16 Plusieurs classifications ont tenté de stratifier (bas ou intermédiaire/élevé) le risque lié au carcinome thyroïdien bien différencié en se basant sur l'âge au moment du diagnostic, sur des paramètres cliniques et sur l'histopathologie.12,17-21 Environ deux tiers des malades se classent en bas risque et ont ainsi un excellent pronostic postopératoire à long terme.22
En présence d'un carcinome folliculaire (y compris les carcinomes folliculaires à cellules oxyphiles ou de Hürthle), nous préconisons une thyroïdectomie totale permettant un meilleur suivi postopératoire par scintigraphie à l'iode131 ainsi que le traitement de métastases éventuelles. Un traitement adjuvant par radio-iodothérapie n'est normalement réalisable que si le parenchyme résiduel ne dépasse pas deux grammes.23
Quant au carcinome papillaire à meilleur pronostic, nous recommandons une approche basée sur la classification du risque de récidive. Un patient présentant un bas risque sera ainsi traité par thyroïdectomie subtotale sans radio-iodothérapie adjuvante. Un patient affecté d'un haut risque bénéficiera d'une thyroïdectomie totale suivie d'une radio-iodothérapie adjuvante, ainsi que d'un suivi par scintigraphie et dosage de la thyroglobuline sérique. Le tableau 2 présente l'étendue de la résection préconisée à Bâle selon le diagnostic histopathologique.
Notre algorithme de prise en charge du nodule thyroïdien est proposé dans la figure 1. Le lecteur intéressé à notre technique opératoire trouvera ces aspects développés dans une publication récente.24
Deux tiers des patients avec un carcinome papillaire présentent des métastases ganglionnaires au moment du diagnostic, localisées dans le compartiment cervical central dans plus de 80% des cas.25,26 Parmi les patients présentant un carcinome folliculaire, 35% ont des métastases ganglionnaires au diagnostic. Nous pratiquons de routine un évidement ganglionnaire du compartiment central ipsilatéral pour tout carcinome. Un évidement radical modifié du cou n'est pratiqué qu'en face d'adénopathies cliniquement évidentes dans le compartiment latéral. Plusieurs travaux6,26,27 ont établi l'absence de bénéfice en termes de survie d'une approche agressive avec évidement ganglionnaire radical systématique.
L'histopathologie définitive d'une thyroïdectomie partielle peut révéler un carcinome fortuit. Une thyroïdectomie totale peut alors s'imposer et est idéalement pratiquée dans les sept jours suivant l'intervention primaire, ce qui assure un résultat et une morbidité comparables à une résection totale d'emblée.28,29 Au-delà d'une semaine postopératoire, le développement de néovaisseaux puis d'une fibrose locale augmente considérablement la difficulté et la morbidité d'une réintervention.
Une thyroïdectomie de totalisation est indiquée, permettant un suivi efficace par scintigraphie à la recherche de métastases. Les carcinomes folliculaires de petite taille chez un patient à bas risque, ainsi que les carcinomes folliculaires de bas grade à invasion minimale permettent de déroger à une thyroïdectomie totale. A relever néanmoins que la vaste majorité de ces carcinomes fortuits dépasse 2 cm au diagnostic et se qualifient donc pour une chirurgie radicale.
La découverte d'un carcinome micropapillaire (¾ 10 mm) dans une pièce de lobectomie non oncologique ou une autopsie est commune, avec une fréquence rapportée entre 1,3-10,5% et 1-35,6% respectivement.30 Ces carcinomes micropapillaires sont multifocaux dans 27 à 47% des cas. Ces microtumeurs présentent un potentiel métastatique ganglionnaire31 qui n'affecte pas le pronostic de ces patients, puisque la survie globale est excellente, avec une mortalité, tout âge confondu, de 2/535 et 2/867 dans des séries publiées.32,33 La situation est différente pour les patients se présentant avec une atteinte ganglionnaire cervicale patente et un carcinome micropapillaire découvert dans les investigations subséquentes. Dans une série de 92 patients, une récidive s'observait chez 16% et 28% des cas en fonction du risque bas ou élevé respectivement. Le groupe à bas risque présenta une survie de 100% à vingt ans sous chirurgie et/ou radio-iodothérapie répétées, alors que le groupe à haut risque, soumis aux mêmes modalités de traitement, présenta une survie de 70%.34 Par conséquent, nous préconisons l'attitude suivante basée sur les données disponibles actuellement : après lobectomie, la découverte fortuite d'un carcinome micropapillaire réséqué en tissu sain en l'absence d'adénopathie cervicale patente ne nécessite aucun traitement supplémentaire. Par contre, une atteinte ganglionnaire primaire implique une attitude basée sur la stratification du risque individuel de chaque patient. Un patient à bas risque (34 A relever que tout carcinome papillaire plus grand que 10 mm doit être traité par thyroïdectomie subtotale ou totale, avec radio-iodothérapie adjuvante selon le risque individuel du patient.
Dans des mains bien entraînées, la chirurgie thyroïdienne est associée à une faible morbidité et virtuellement aucune mortalité.35 Néanmoins, le résultat opératoire peut être entaché de complications locales et spécifiques sérieuses, dont la fréquence est liée à l'étendue de la résection pratiquée.36
Un hématome postopératoire est rare avec une fréquence de 2% et apparaît typiquement dans les vingt-quatre heures suivant la chirurgie.36 Tout hématome doit être drainé sans délai, son expansion incontrôlée pouvant imposer une intubation endotrachéale au lit du malade ou une coniotomie à l'aiguille pour assurer la perméabilité des voies aériennes.
La fréquence d'une lésion passagère du nerf laryngé récurrent se monte à 3,5-5,2% avec une atteinte définitive atteignant 0,5-2,4%.37,38,39 Une perte de puissance vocale et une voix enrouée en postopératoire traduisent habituellement un dème laryngé avec résolution des symptômes sous 48 heures. Une persistance signe généralement une neurapraxie du laryngé récurrent, conséquence de son étirement-compression peropératoire. Le diagnostic s'établit par laryngoscopie et le nerf récupère habituellement une fonction complète en quelques semaines à mois sous rééducation spécialisée. Une atteinte définitive résulte d'une section, ligature ou lésion électrothermique du nerf laryngé récurrent. Une rééducation spécialisée permet la récupération d'une phonation acceptable à normale, parfois au prix d'une réintervention.
Le nerf laryngé supérieur innerve la musculature laryngée externe. Son intégrité est mise en danger pendant la dissection du pôle thyroïdien supérieur, le plus souvent par étirementcompression. Le risque réel de cette complication est mal établi, avec une fréquence rapportée de l'ordre de 0,3-2%,40 se manifestant par une altération discrète du timbre de la voix et une perte de puissance vocale à haut volume. En l'absence de récupération sous trois mois, la lésion est considérée définitive. Si l'atteinte est bilatérale, le patient présente une voix enrouée, rapidement fatigable.
Une hypocalcémie postopératoire signe la résection ou la dévascularisation des glandes parathyroïdes lors de la chirurgie thyroïdienne. Une hypoparathyroïdie définitive affecte moins de 3,5% des opérés41 (avec à nouveau un lien direct avec l'expérience opératoire du chirurgien), la survenue d'une hypoparathyroïdie postopératoire transitoire étant beaucoup plus fréquente. L'étendue de la résection thyroïdienne pratiquée et la réintervention en sont les facteurs de risque établis.42
Le tableau 3 montre la casuistique du carcinome thyroïdien différencié opéré à Bâle entre 1986 et 1999. Nos résultats en termes de morbidité et de survie se comparent favorablement à la littérature et témoignent de l'importance de l'expérience chirurgicale dans une prise en charge optimale.
Bien que considérés comme une maladie indolente, les carcinomes thyroïdiens peuvent montrer une agressivité inhabituelle. Les récidives s'observent en particulier chez le patient âgé, en présence d'une histologie de haut grade et lors d'une invasion locale des structures de voisinage ou de métastases.
Parmi les patients présentant un carcinome thyroïdien différencié, 5-20% récidiveront.11 Ces récidives se manifesteront dans le tissu thyroïdien résiduel dans près de 10% des cas15 et la moitié des patients présentant une récidive locorégionale mourra de sa tumeur.45 Dans une série de 831 patients opérés d'un carcinome thyroïdien bien différencié, 58 (7%) présentèrent des métastases pulmonaires pendant le suivi. Une stratification du risque de récidive se dessine à l'avantage des patients bénéficiant d'une thyroïdectomie totale et radio-iodothérapie adjuvante (risque métastatique de 1,3%), à l'opposé des patients traités par thyroïdectomie subtotale (5% de métastases) ou résection partielle (risque de métastase de 11%).46
Le suivi de la thyroglobuline sérique est un marqueur tumoral fiable pour les carcinomes thyroïdiens bien différenciés, bien que des récidives se produisent sans taux détectable de thyroglobuline circulante et en l'absence d'anticorps dirigés contre ce marqueur. C'est pourquoi, une scintigraphie à l'iode peut s'associer au suivi oncologique lorsque le risque de récidive est élevé.43 A l'inverse, lorsque le taux de thyroglobuline sérique est élevé et que la scintigraphie ne permet pas de détecter/localiser une récidive, la tomographie par émission de positrons permet d'orienter la prise en charge.44
Les patients souffrant de récidives locales ou locorégionales bénéficient d'une reprise chirurgicale, préférentiellement vingt-quatre heures après une scintigraphie à l'iode131 qui autorise la recherche peropératoire radioguidée de la récidive.47 Par cette procédure, des foyers tumoraux occultes sont détectables au sein de cicatrices chirurgicales ou à distance des sites habituels de récidives.
La majorité des métastases de carcinomes thyroïdiens différenciés se retrouvent dans les os et les poumons. Les métastases pulmonaires sont l'apanage des patients jeunes et le site quasi exclusif de métastatisation chez l'enfant. Une rémission complète est alors parfois observée sous radio-iodothérapie,11 en particulier lors d'atteinte pulmonaire diffuse. Les métastases osseuses sont communes chez le patient âgé avec carcinome folliculaire. La chirurgie est habituellement palliative et indiquée lorsque des complications neurologiques ou orthopédiques apparaissent.48 Une réduction de la masse tumorale lors d'atteinte importante a également un sens48 lors d'un traitement palliatif par radio-iodothérapie.