L'obésité et le diabète de type 2 sont actuellement en progression rapide dans le monde entier. Ces deux troubles métaboliques s'inscrivent dans le contexte du syndrome métabolique, défini par l'association d'une résistance à l'insuline (menant à l'intolérance au glucose ou au diabète), d'une obésité, d'une dyslipidémie et d'une hypertension artérielle. L'épidémie d'obésité et de diabète de type 2 est clairement liée à la sédentarité croissante de la population. L'activité physique combinée à des mesures diététiques simples constitue une prévention efficace du diabète de type 2 chez les sujets à risque. Elle atténue la résistance à l'insuline, facilite la prise en charge de l'obésité et présente un effet favorable sur la tension artérielle et le bilan lipidique. La quantité d'activité physique requise est faible, par exemple, trente minutes de marche par jour ou l'équivalent de 800-1000 kcal/semaine. Le principal défi du médecin consiste à engendrer une motivation durable auprès des patients. Chez les patients intolérants au glucose, certains traitements médicamenteux (notamment la metformine) préviennent efficacement la survenue d'un diabète. Toutefois, ces traitements devraient compléter plutôt que remplacer l'activité physique et les approches diététiques.
Le diabète de type 2 est en augmentation rapide à l'échelon planétaire. Aux Etats-Unis, dans les années 1990, cette maladie touchait 12% de la population adulte, en nette augmentation par rapport aux évaluations antérieures.1 Selon des estimations de l'OMS, tenant compte de l'accroissement de la population mondiale, du vieillissement et du niveau d'urbanisation, la planète comptera plus de 300 millions de diabétiques en l'an 2025, dont 80% dans les pays en voie de développement et ce chiffre est très probablement sous-estimé.2 Le diabète de type 2 est étroitement lié à l'obésité. En effet, la plus forte augmentation de l'incidence de diabète est observée chez les patients jeunes (3 Le problème de l'obésité est lui aussi en phase de progression rapide. Selon l'enquête américaine NHANES, en l'an 2000, la fréquence de l'obésité (BMI > 30 kg/m2) était d'environ 30%, celle de l'excès pondéral (BMI 25-30 kg/m2) de 35% : à peine un tiers de la population américaine a un poids jugé «normal» !4 Au vu de ces chiffres inquiétants, la question de la prévention de l'obésité et du diabète de type 2 prend une grande importance.
Le diabète de type 2 survient en règle générale chez les sujets atteints d'un syndrome métabolique. On regroupe actuellement sous ce terme l'association d'une résistance à l'insuline (manifeste sous forme d'une intolérance au glucose ou d'un diabète), d'une obésité, d'une hypertension artérielle et d'une dyslipidémie.5 Cette notion de syndrome métabolique est importante car elle place la résistance à l'insuline indépendamment de l'hyperglycémie au centre de la prévention cardiovasculaire. En effet, quel que soit le niveau glycémique, la mortalité cardiovasculaire et la mortalité totale sont trois fois plus élevées en cas de syndrome métabolique.6 Il paraît donc logique de s'attaquer non seulement aux facteurs de risque individuels, mais de considérer leur dénominateur commun, la résistance à l'insuline. En outre, elle nous rappelle que le diabète de type 2 n'est que l'aboutissement d'un long processus ; il est précédé d'une hyperinsulinémie, puis d'une intolérance au glucose. Ainsi, les patients atteints d'une intolérance au glucose présentent à la fois un risque cardiovasculaire et un risque de diabète de type 2 élevés.7
L'activité physique atténue la résistance à l'insuline, soit par des mécanismes directs, soit par son effet indirect sur le poids, tout simplement du fait de la dépense énergétique qu'elle occasionne. Sur le long terme, une activité physique même minime peut contribuer à une diminution ou du moins une stabilisation du poids. Sur un an, 20 km de marche par semaine représentent l'équivalent énergétique de plus de 5 kg de tissu adipeux ! La Nurses' Health Study (NHS),8 qui a suivi plus de 70 000 infirmières américaines pendant quinze ans, a étudié le risque de survenue d'un diabète en fonction de l'activité physique, les sujets étant répartis en quintiles selon leur degré d'activité physique. Le risque de diabète était deux fois plus élevé dans le quintile inférieur que dans le quintile supérieur. Après exclusion des sujets pratiquant du sport, la même analyse a de nouveau démontré un risque relatif de diabète d'environ deux entre les quintiles extrêmes. Ainsi, la pratique de la marche seule, même en l'absence de toute autre activité sportive, est associée à une diminution du risque de diabète. Il est à remarquer que le principal facteur de risque reste l'obésité, mais l'effet protecteur de l'activité physique persiste après ajustement pour le poids corporel.9 D'autres études ont confirmé ces résultats chez les hommes.10
La prévention du diabète par l'activité physique a été démontrée par deux études d'intervention récentes, portant sur des sujets à haut risque.
L'étude finlandaise Diabetes prevention study (DPS)7 a porté sur plus de 500 sujets à haut risque, sélectionnés en raison d'un excès pondéral, d'une anamnèse familiale de diabète de type 2 et d'une intolérance au glucose documentée par un test oral de tolérance au glucose. Cette population a un risque élevé de diabète, d'environ 10% par an. La moitié des patients ont bénéficié d'un programme d'interventions avec cinq objectifs :
perte pondérale >= 5% du poids corporel ;
diminution des graisses totales
diminution des graisses saturées
augmentation des fibres alimentaires > 15 g/
1000 kcal ;
activité physique modérée > 30 min/j, en endurance ou en résistance
Après quatre ans de suivi, l'incidence cumulée de diabète avait diminué de 60%. Plus impressionnant encore, en analysant les résultats selon le nombre d'objectifs atteints (plutôt que selon le groupe assigné), les auteurs ont constaté que l'incidence de diabète était nulle chez les patients ayant atteint quatre à cinq des cinq objectifs proposés.
L'étude américaine Diabetes Prevention Program (DPP)11 a étudié une population très semblable. Trois mille patients, d'âge et d'origine ethnique variés, ont été sélectionnés en raison d'un excès pondéral, d'une anamnèse familiale de diabète, d'antécédents de diabète gestationnel ou d'une intolérance au glucose. Ils ont été répartis en trois groupes : contrôle, metformine, et «activité physique» (les résultats avec la metformine seront discutés plus loin). Dans le groupe «activité physique», les objectifs proposés étaient une perte pondérale de 7%, et deux heures et demie d'activité physique modérée par semaine. Les résultats sont presque identiques à ceux de la DPS, avec une réduction de 60% du risque de diabète chez les patients du groupe d'intervention comparés au groupe contrôle. Il convient de remarquer qu'en fin de compte, l'augmentation de l'activité physique n'était que de 8 MET/ heure/semaine, soit l'équivalent d'une heure de jogging ou de deux heures de marche rapide par semaine. Autre fait important, l'effet protecteur de l'activité physique a été démontré dans toutes les tranches d'âge, allant de 25 à 80 ans.
Il est à remarquer que dans les deux études, l'activité physique était proposée en conjonction avec des mesures diététiques, en particulier la limitation de la consommation de graisses animales. On ne peut donc pas affirmer que l'effet direct de l'activité physique sur la résistance à l'insuline soit à lui seul à l'origine de ces résultats. Pourtant, chez des patients diabétiques, l'activité physique permet une amélioration de la sensibilité à l'insuline et du contrôle glycémique, indépendamment du poids corporel.12 En outre, il est très vraisemblable que l'activité physique ait aussi aidé au succès des mesures diététiques. Remarquons encore que le degré de perte pondérale (à peine 5% du poids corporel) obtenu dans les deux études est très modeste et néanmoins efficace.
Ainsi, l'activité physique, en combinaison avec des mesures diététiques, constitue une prévention efficace du diabète de type 2.
Outre la prévention du diabète, l'activité physique régulière a d'autres bénéfices bien démontrés. Sans entrer dans les détails, rappelons qu'elle est associée à une réduction de la mortalité cardiovasculaire.13 Elle permet l'amélioration d'autres paramètres du syndrome métabolique, notamment une réduction de la tension artérielle14 (chez les patients hypertendus ou même normotendus), et une amélioration du bilan lipidique.15 D'autres bénéfices tels que la prévention de l'ostéoporose et le ralentissement du déclin fonctionnel de la personne âgée ont été mis en évidence. Ainsi, la lutte contre la sédentarité est un objectif de santé publique qui dépasse largement le cadre de la prévention du diabète.
L'activité physique régulière est bien sûr difficile pour de nombreux patients. Il est donc très important de définir des «exigences minimales». Le degré de sédentarité des sociétés industrialisées est très important et la Suisse ne fait pas exception. Selon les enquêtes de l'Office fédéral du sport (accessibles sur Internet : www.hepa.ch), environ un tiers de la population suisse est totalement sédentaire, et cette tendance à la sédentarité s'accroît bien sûr avec l'âge. Cet office a aussi proposé une «pyramide» de l'activité physique, qui consiste en fait en trois niveaux :
le premier niveau d'activité, recommandé à l'ensemble de la population, est de trente minutes de marche par jour, sportive ou intégrée à la vie quotidienne, en continu ou même de manière fragmentée ;
le deuxième niveau est la pratique de sport à proprement parler, que ce soit de l'exercice d'endurance (marche, course à pied, vélo, natation >= 3 x 20 minutes par semaine) ou de résistance (musculation notamment, >= 2 séances par semaine) ;
le troisième niveau est représenté par les sports de haute intensité, y compris la compétition.
La «dose-réponse» entre l'activité physique et le risque de diabète et le risque cardiovasculaire n'est pas simple à définir. Le résultat effectif dépend de nombreux autres facteurs, notamment diététiques. Comme discuté ci-dessus, les études épidémiologiques montrent un effet préventif de la marche, qui se vérifie même après exclusion des sujets pratiquant un sport.9 Dans l'étude DPP,11 une quantité d'efforts physiques finalement modeste (800-1000 kcal/semaine) a suffi pour réduire le risque de diabète de 60% ! L'incitation à la marche des sujets sédentaires, ainsi que l'incitation au sport chez les sujets qui ne font que de la marche, sont certainement utiles. Le troisième palier, à savoir le sport de haute intensité, n'a par contre pas de bénéfices prouvés en termes de prévention du diabète ou du risque cardiovasculaire. En pratique, on peut donc formuler une recommandation de diverses façons :
I 30 minutes de marche par jour, sportive ou intégrée à la vie quotidienne.
I 1 heure ou > 12 km de jogging par semaine. Il est théoriquement préférable de fractionner cette activité en plusieurs séances courtes, plutôt que de faire une seule séance longue et intense. Un autre sport d'intensité équivalente (vélo, natation, rameur) fait aussi parfaitement l'affaire.
L'objectif peut aussi être formulé en termes de dépense énergétique. On vise alors une dépense de 800-1000 kcal par semaine. A titre d'exemple, la dépense énergétique de différentes activités peut se calculer de la manière suivante :
I Marche à pied :
0,5 kcal/kilo/ kilomètre (4 km/heure) ;
1,0 kcal/kilo/ kilomètre (8 km/ heure).
I Course à pied : 1,0 kcal/kilo/kilomètre.
I Vélo : 12-24 kcal/ kilomètre (25-30 km/heure).
D'autres activités peuvent être estimées par analogie, en fonction de l'intensité ressentie de l'effort.
Il va de soi que la totalité de cet effort ne sera pas forcément obtenue d'emblée de la part de chaque patient. En pratique, il faut procéder de manière progressive, par étapes, et adopter une approche incitative, qui valorise chaque nouvelle activité aussi modeste soit-elle. Les aspects motivationnels de la prescription de l'activité physique ont été discutés récemment dans ce journal.16
Il est évident que le sport entraîne occasionnellement des accidents ou des complications ostéo-articulaires. La prévention de ces ennuis (équipement approprié, échauffement, etc.) est bien sûr importante, mais dépasse le cadre de cet exposé.
Quel est le risque d'accidents cardiovasculaires déclenchés par le sport ? En fait, ce risque est relativement faible. Le risque d'infarctus déclenché par le sport est essentiellement retrouvé chez les sujets sédentaires qui reprennent l'activité physique. Par contre, chez les sujets entraînés le risque d'infarctus est à peine plus important pendant le sport qu'au repos.17 Chez les patients sédentaires à risque de maladie coronarienne, notamment ceux présentant une ou plusieurs composantes du syndrome métabolique, un bilan médical (anamnèse détaillée, examen clinique) et un test d'effort sont indiqués lors de la reprise de l'activité physique.18 Le test d'effort permettra non seulement de dépister une maladie coronarienne, mais aussi de déterminer la capacité d'effort et d'établir un programme d'activité adapté au patient individuel.
De nombreux patients ne pourront pas entreprendre un programme d'activité physique suffisant, en raison d'un manque de motivation ou de problèmes médicaux (arthrose, etc.). Dans ces cas, le recours à un traitement préventif médicamenteux, réduisant la résistance à l'insuline, est très tentant.
L'étude DPP11 décrite ci-dessus a comporté non seulement un groupe «activité physique», mais aussi un groupe traité par metformine. Ce traitement s'est avéré efficace, avec une réduction du risque de diabète de 30%. Le bénéfice était toutefois moindre que celui de l'activité physique. Malheureusement, l'étude n'a pas inclus un groupe de traitement combiné, metformine et activité physique. Il aurait en effet été très intéressant de voir si les effets de ces deux approches sont additifs. Il semble pourtant que l'activité physique et la metformine agissent différemment selon les sous-groupes. En effet, il semble que la metformine soit surtout efficace chez les sujets jeunes (
Les glitazones sont une option de traitement préventif a priori séduisante. En effet, ces médicaments agissent directement sur la résistance à l'insuline, le défaut central présumé du syndrome métabolique. L'étude «TRIPOD»19 a rapporté l'effet de la troglitazone sur le risque de diabète dans une population à très haut risque, à savoir des femmes obèses avec des antécédents de diabète gestationnel. Dans cette population, le risque de diabète à deux ans et demi était diminué de plus de moitié (de 12,2 à 5,4% par an), et la diminution du risque était étroitement corrélée à la diminution de la résistance à l'insuline. La troglitazone a été retirée du marché américain en raison de sa toxicité hépatique. Des résultats sont attendus avec la rosiglitazone, une molécule de la même famille utilisée dans l'étude DREAM, en cours.
L'auteur reste réservé quant à l'utilisation des glitazones en traitement préventif. Ces molécules agissent sur des facteurs de transcription (PPAR-gamma) ubiquitaires, et elles ont des effets biologiques multiples au-delà du métabolisme glucidique, notamment au niveau vasculaire. Une utilisation plus répandue de ces médicaments doit attendre des preuves d'efficacité ou du moins d'innocuité dans des études de prévention cardiovasculaire.
L'acarbose, un inhibiteur de l'alpha-glucosidase intestinale, ralentit la dégradation et l'absorption des glucides alimentaires. Outre son effet sur la glycémie postprandiale, il semble que cette substance ait un effet indirect et mal compris sur la résistance à l'insuline. L'acarbose a été testé chez des sujets intolérants au glucose.20 Le traitement administré sur une période de quatre ans a permis une réduction du risque de diabète de 25%, un résultat semblable à celui de la metformine dans l'étude DPP. Ce médicament est pourtant souvent mal toléré en raison d'effets secondaires intestinaux tels que des diarrhées ou des flatulences.
Ces différents traitements sont donc efficaces, mais il faut encore une fois relever que dans l'étude DPP les modifications de comportement (diététique et activité physique) se sont montrées plus efficaces que les traitements médicamenteux. Idéalement, l'approche pharmacologique devrait donc être utilisée comme un complément et non comme un substitut de l'approche comportementale.
L'épidémie actuelle d'obésité et de diabète de type 2 est clairement liée à la sédentarité croissante de la population. Selon de grandes études récentes, l'activité physique combinée à des mesures diététiques simples constitue une prévention efficace du diabète de type 2 chez les sujets à risque. En effet, elle atténue la résistance à l'insuline et facilite la prise en charge de l'obésité. La quantité d'activité physique requise est faible, par exemple trente minutes de marche par jour ou l'équivalent de 800-1000 kcal/semaine. Chez les patients intolérants au glucose, certains traitements médicamenteux (notamment la metformine) préviennent efficacement la survenue d'un diabète, mais devraient compléter plutôt que remplacer l'activité physique et les approches diététiques. Engendrer une motivation durable des patients pour l'activité physique n'est pas une tâche facile. C'est néanmoins un enjeu prioritaire chez les patients à risque de diabète ou de maladies cardiovasculaires.