Présentation de casMadame Bylan vient de commencer un premier traitement de maintenance à la méthadone à votre cabinet. Vous lui proposez un bilan somatique qu'elle accepte. Que prévoyez-vous ?Que faut-il savoir ?La notion de «check-up» dans la population générale, que ce soit en termes d'utilité, de bénéfice et de coût a été largement débattue et demeure loin d'avoir fait l'unanimité.1 Chez les patients toxicodépendants, compte tenu de l'importance des morbidités, la nécessité d'un bilan est généralement admise, avec des variantes selon les équipes sur le contenu de ce bilan.2Savoir orienter l'anamnèseIl est conseillé de s'enquérir dans un premier temps des attentes et inquiétudes du patient, de même que de ses plaintes actuelles. Parmi les antécédents plus spécifiques, penser aux abcès, crises d'épilepsie (sevrage alcool ou benzodiazépines ?), derniers dépistages pour VIH et hépatites, et enfin historique des vaccinations.Une partie importante de l'anamnèse doit porter sur l'histoire de la consommation : quels produits ? depuis quand ? quelle quantité ? mode de consommation ?C'est l'occasion également de faire une évaluation des prises de risque : partage de matériel : seringue, coton (filtre artisanal composé de coton ou d'une partie d'un filtre à cigarette que la personne toxicodépendante utilise pour filtrer la préparation liquide de drogue en l'aspirant dans la seringue). Le coton contient toujours une partie de drogue, ce qui conduit certains usagers à réutiliser les cotons, ou à les donner à d'autres usagers. Le risque d'infections est augmenté par cette pratique. Certaines seringues fournies par les pharmacies sont pourvues d'un filtre incorporé, (rendant inutile les cotons), cuillère, eau, paille (bout de papier ou billet de banque utilisé pour sniffer un produit en poudre. Risque de transmission de l'hépatite C en cas de partage du matériel), relations sexuelles à risque, prostitution.L'anamnèse socio-affective prend ici toute son importance, sachant qu'à la fois l'insertion professionnelle et le réseau familial sont des éléments importants dans la prise en charge des problèmes de dépendance. Investiguer également les hospitalisations en milieu psychiatrique, tentatives de suicide, notion de psychothérapie, etc.Enfin pour terminer, noter le traitement actuel, y compris les médicaments non prescrits (benzodiazépines), de même que le moyen de contraception utilisé.StatusIl arrive que le status soit difficile à faire dès le premier contact, le patient pouvant éprouver des réticences à se dévêtir et mettre au jour son corps souvent mutilé. Noter l'état général, le poids et le Body Mass Index (BMI = poids/carré de la taille), rechercher des adénopathies et prendre la température axillaire. L'état dentaire est un point important de l'examen clinique, de même que le status cutané (recherche d'abcès, phlébites, etc.) L'auscultation cardiaque doit être soigneuse afin de pouvoir interpréter tout changement ultérieur (endocardite infectieuse).Bilan biologiqueLe bilan que nous proposons ici est large et certains paramètres sont discutables. L'expérience montre que ces patients sont souvent réfractaires aux prises de sang et de plus parfois difficiles à piquer. Dans ce contexte, nous avons pris l'habitude de faire des demandes d'examen plutôt étendues d'emblée, sachant qu'un complément de bilan pourra s'avérer en pratique impossible à obtenir. Nous rappelons que le patient doit donner son accord pour tout bilan médical, même si dans la pratique courante actuelle un accord formel se restreint au dépistage VIH.Le bilan hématologique comprend une formule sanguine simple sauf chez un patient VIH+ connu où une formule complète est nécessaire pour la typisation lymphocytaire.En chimie, demander les tests hépatiques ASAT, ALAT, g-GT indiqués au vu de la forte prévalence d'hépatite C chronique et de l'hépatotoxicité de nombreuses substances consommées comme la cocaïne,3,4 l'alcool, etc. Au vu de la fréquence de l'anémie ferriprive chez ces patients, un bilan martial d'emblée peut se discuter. Les électrolytes ont leur intérêt dans l'interprétation d'éventuelles anomalies de l'ECG.En absence d'antécédents connus, pratiquer, après accord du patient, les sérologies de dépistage VIH, hépatite A, hépatite B et hépatite C (ARN viral si sérologie positive connue). En pratique, nous profitons du prélèvement pour demander les sérologies hépatites A et B (anti-HBc et Ag HBs, Ag HBs si notion de vaccination) bien que cette attitude ne fasse pas l'objet d'un consensus en termes de coût/efficacité. En cas d'antécédents d'infection VIH, demander d'emblée une typisation lymphocytaire et la charge virale. Enfin, pratiquer un TPHA (recrudescence de syphilis5 en Europe de l'Ouest).Le bilan devrait également comporter un test de Mantoux 2 UI intradermique, à lire à 72 heures.En l'absence de problèmes particuliers, on effectue ce bilan chaque année chez les consommateurs actifs.ECGDepuis la description de cas parfois mortels de troubles du rythme cardiaque chez des patients sous haut dosage de méthadone,6 un ECG de routine chez tous les patients en cure se discute. Nous conseillons de mesurer soigneusement l'intervalle QT corrigé (QTc). Tout allongement du QTc doit amener à revoir tous les médicaments suspects, dont la méthadone (risque de torsade de pointe). Il convient de rechercher également des cicatrices d'ischémie cardiaque (risque augmenté particulièrement avec utilisation de cocaïne).7Commenter les résultatsIl est frappant d'observer un nombre important de patients qui, à l'anamnèse, ignorent s'ils ont une ancienne hépatite B, si leur hépatite C est chronique ou guérie, ou autre. C'est d'autant plus important qu'une étude récente a montré que les patients conscients de leur séropositivité pour VHC prenaient moins de risques que ceux qui ignoraient leur séropositivité.8 Il est donc important de prendre le temps de commenter les résultats du bilan, de répondre aux questions et vérifier que le patient ait compris. C'est l'occasion aussi de discuter les mesures de prévention, le patient étant plus réceptif après qu'on lui ait rendu un dépistage VIH négatif !VaccinationsDans tous les cas et si cela n'avait pas encore été fait, prévoir la vaccination hépatite B, ou un rappel si le taux d'AC est inférieur ou approche le taux protecteur. A noter que le taux des anticorps assurant la protection varie selon les laboratoires, qui généralement indiquent leur norme. On rencontre par ailleurs plus de patients non répondeurs en comparaison avec la population générale,9 la probabilité d'une non-réponse semble en lien avec l'âge ou la présence d'une infection VIH ou hépatite C. Même si la réponse antigénique avec le schéma de vaccination 0-1-6 mois pourrait être meilleure comparé au schéma «rapide» 0-1-2 mois, ce dernier porte l'avantage qu'il y aura moins de drop-outs et donc une meilleure compliance aux trois vaccinations.10 Après vaccination complète, même en cas de taux d'anticorps insuffisant, la personne est en tout cas partiellement protégée contre une infection aiguë.Le vaccin de l'hépatite A est également recommandé dans cette population précarisée, particulièrement en cas d'hépatite C chronique. Des cas d'hépatite fulminante ont été décrits lors de la surinfection d'une hépatite C chronique par le virus de l'hépatite A.11 Dans toutes ces situations, il est possible de faire un vaccin combiné, hépatite A et B (Twinrix®). En Suisse, ce vaccin n'est actuellement pas «officiellement» remboursé, il est toutefois parfois possible de négocier avec les assureurs. Il faut bien sûr mettre à jour les autres vaccins, notamment le tétanos. Pour les patients VIH+, le vaccin antipneumocoque est indiqué. Le vaccin contre la grippe sera proposé chaque automne.Interprétation du MantouxUne réaction d'une taille supérieure à 10 mm est considérée comme positive, 5 mm chez le patient VIH. Dans cette situation, exclure une tuberculose active par l'anamnèse, l'examen clinique, une radiographie du thorax et éventuellement une analyse des expectorations à la recherche des bacilles de Koch. Introduire une chimioprophylaxie (isoniazide pendant 6 mois) s'il s'agit d'un virage de Mantoux documenté. Ne pas oublier dans ce cas de contrôler les tests hépatiques régulièrement une fois par mois et d'adapter la dose de méthadone si nécessaire (interaction médicamenteuse).Discuter des pratiques d'injectionLes campagnes de prévention, de même que l'accès facilité à du matériel stérile, ont permis de réduire de façon significative les contaminations par le VIH chez les patients pris en charge dans des programmes de maintenance à la méthadone.12,13 En revanche, la prévalence de séropositivité pour l'hépatite C reste très importante, avoisinant 80% chez les injecteurs.10,14 Ceci s'explique en partie par le fait que le VHC est très contagieux et que les recommandations préconisées pour le VIH ne suffisent pas.En pratique, outre les recommandations usuelles (qui feront l'objet d'un autre article) : matériel stérile lors de chaque injection ; désinfecter soigneusement la peau avant injection ; à chacun sa cuillère ! à chacun ses cotons ! bien sûr, à chacun sa seringue ! pas de partage de paille lors de sniff.Cas clinique (suite)Les examens de Mme Bylan montrent des sérologies négatives pour VIH, hépatites A et B.Elle est malheureusement porteuse d'une hépatite C chronique. Vous lui expliquez les modes de transmission du VHC et lui proposez, arguments à l'appui, les vaccinations VHA et VHB, qu'elle accepte. Elle vous demande s'il existe un traitement pour l'hépatite C et quelles en sont les modalités. Vous convenez ensemble d'un autre rendez-vous pour aborder ce sujet de manière approfondie.Bibliographie :1 Raetzo MA, Gaspoz JM, Restellini A, et al. I would like a check-up. Praxis 1999 ; 88 : 669-76.2 Monnat M, Forel P. Le bilan de santé chez le patient toxicodépendant. Rev Med Suisse Romande 1998 ; 118 : 751-3.3 Van Thiel DH, Perper JA. Hepatotoxicity associated with cocaine abuse. Recent Dev Alcohol 1992 ; 10 : 335-41.4 Silva MO, Roth D, Reddy KR, et al. Hepatic dysfunction accompanying acute cocaine intoxication. J Hepatol 1991 ; 3 : 312-5.5 Nicoll A, Hamers F. Are trends in HIV, gonorrhoea, and syphilis worsening in western Europe ? BMJ 2002 ; 1 : 1324-7.6 Leavitt SB. Arrhythmia in Addiction Medicine : Concerns about drug-induced LQTs and TdP. Addiction Treatment Forum April 2001, www.atforum.com.7 Lange RA, Hillis LD. Cardiovascular complications of cocaïne use. N Engl J Med 2001 ; 345 : 351-88 Kwiatkowski CF, Fortuin Corsi K, Booth RE. The association between knowledge of hepatitis C virus status and risk behaviors in injection drug users. Addiction 2002 ; 97 : 1289-94.9 Quaglio G, et al. Compliance with hepatitis B vaccination in 1175 heroin users and risk factors associated with lack of vaccine response. Addiction 2002 ; 97 : 985-92.10 Awofeso N. Managerial considerations in implementing hepatitis B vaccination programs among drug-using cohorts. Addiction 2002 ; 97 : 1611-3.11 Vento S, et al. Fulminant hepatitis associated with hepatitis A virus superinfection in patients with chronic hepatitis C. N Engl J Med 1998 ; 338 : 286-90. 12 Broers B, Junet C, Bourquin M, et al. Prevalence and incidence rate of HIV, hepatitis B and C among drug users on methadone maintenance treatment in Geneva between 1988 and 1995. AIDS 1998 ; 12 : 2059-66.13 VIH en Suisse : estimation des nouveaux diagnostics d'infection par le VIH selon les modes d'infection principaux. Statistiques OFSP juillet 2002.14 Hernandez-Aguado I, Ramos-Rincon JM, Avinio MJ, et al. Valencian epidemiology and prevention of HIV disease study group. Measures to reduce HIV infection have not been successful to reduce the prevalence of HCV in intravenous drug users. Eur J Epidemiol 2001 ; 17 : 539-44.Cette publication a été soutenue et financée par l'Office fédéral de la santé publique, Berne.