La glycoprotéine érythropoïétine (Epo) est une hormone induisant la différenciation des cellules érythroïdes. L'hypoxie augmente la concentration d'Epo dans le plasma ce qui conduit à une augmentation du volume érythrocytaire et, par conséquent, à une amélioration du transport d'O2 dans le sang. La régulation génétique de la production d'Epo révèle un mécanisme général qui induit plusieurs gènes, lorsque l'organisme est exposé à des conditions hypoxiques. Dans ce processus le facteur clé induit par l'hypoxie est l'hypoxia-inducible factor-1 (HIF-1), une protéine hétérodimérique de transcription composée d'une unité a et b (ARNT). L'activation de l'HIF-1 dépend d'une stabilisation de l'unité a par l'hypoxie (HIF-1a), tandis que la stabilisation de l'ARNT est indépendante de la concentration en oxygène. Un premier élément révélateur du mécanisme détectant la concentration d'O2 dans une cellule fut la découverte d'une famille de prolylhydroxylases dépendantes de l'O2, qui influencent la stabilité de l'HIF-1a. Dans les conditions de concentration normale d'O2, ces prolylhydroxylases permettent la dégradation protéasomale de l'HIF-1a, en modifiant la molécule au niveau de résidus proline spécifiques.
L'oxygène (O2) est essentiel pour la vie des organismes supérieurs. Ainsi il n'est pas étonnant qu'au cours de l'évolution, la nature ait développé différents mécanismes pour mesurer et réguler la concentration d'O2 tant au niveau cellulaire qu'au niveau systémique.
Lors d'une anémie, d'une perte de sang, ou lors d'un séjour en haute altitude, la diminution de l'apport en O2 induit une augmentation de l'expression de l'hormone érythropoïétine (Epo). Acheminée par voie sanguine depuis les reins (son site de production) jusqu'à la moelle osseuse, l'Epo va se lier aux récepteurs spécifiques exprimés à la surface des précurseurs érythroïdes.1 Cette liaison induit la maturation terminale des précurseurs, résultant ainsi en une production élevée d'érythrocytes. Le facteur déclenchant la synthèse de l'Epo est la chute intrarénale de la pO2. Ainsi après quelques heures à une altitude modérée ou extrême, la concentration plasmatique de l'Epo commence à augmenter. Un séjour d'environ trois semaines à 2500 mètres d'altitude, associé à une activité physique suffisante, induit une augmentation de la masse érythrocytaire, ce qui permet un apport en O2 maximal. Il est cependant intéressant de noter que lors d'un séjour prolongé en altitude, la concentration d'Epo retombe à des valeurs normoxiques.2 Un entraînement régulier permet une adaptation du nombre d'érythrocytes, et des modifications de la musculature squelettique. Ces changements sont caractérisés par une augmentation du nombre de capillaires et de mitochondries, et par une augmentation de l'activité des enzymes oxydatives.3 En effet, un effort physique, une pO2 réduite et/ou des altérations métaboliques de la musculature squelettique sont considérés comme des stimulants primaires de l'angiogenèse. Lors d'un manque d'O2, il y aura une augmentation de l'expression du facteur de croissance vasculaire (VEGF), conduisant à une augmentation du nombre de vaisseaux sanguins (fig. 1).
Comment la cellule individuelle s'adapte-t-elle à un manque d'oxygène ? Une réponse spécifique à l'hypoxie est caractérisée par une augmentation de la transcription de gènes spécifiques nécessaires au maintien de l'homéostase de l'oxygène.4 La réponse correspondante de l'organisme se joue au niveau cellulaire (par exemple la glycolyse), local (par exemple l'angiogenèse, le tonus vasculaire) et systémique (par exemple l'érythropoïèse) (fig. 1). Le facteur HIF-1 joue ici le rôle de chef d'orchestre. Avec l'identification de ce «capteur d'oxygène» nous avons assisté récemment à une percée scientifique. Dans cet article nous présentons une synthèse des découvertes récentes dans le domaine des mécanismes de régulation moléculaires par l'O2 et de l'expression des gènes dépendants de la pression partielle en oxygène.
L'identification de HIF-1 comme régulateur de l'expression génique O2-dépendante fut le premier grand pas dans l'analyse des mécanismes qui se trouvent à la base de l'adaptation de l'organisme aux conditions hypoxiques. Le facteur transcriptionnel HIF-1 est constitué de deux unités individuelles, HIF-1a et HIF-1b. Le clonage de HIF-1b a révélé que cette sous-unité était déjà connue. En effet, HIF-1b est identique au partenaire de dimérisation du récepteur de la dioxine, le translocateur nucléaire du récepteur AhR (arylhydrocarbure ; ARNT).5 Les deux sous-unités HIF-1 appartiennent à la famille des protéines à double hélice (bHLH), qui possèdent une séquence caractéristique (domaine PAS).5 HIF-1a et HIF-1b se trouvent dans les tissus de nombreuses espèces (mammifères, vers, insectes, etc.). L'activation dépend uniquement de HIF-1a stabilisé par l'hypoxie, tandis que HIF-1b/ARNT est exprimée indépendamment de la pO2. Par conséquent, lors de cultures cellulaires, HIF-1a ne peut être detecté au-delà d'une concentration critique en O2. Dans les cellules HeLa cette concentration se situe autour de 5% d'O2 (35 mmHg).6 Ce n'est que sous l'influence de l'hypoxie ou de substances imitant l'hypoxie (par exemple des sels de cobalt ou des chélateurs de fer), que la concentration de HIF-1a augmente et induit une activation des gènes cibles HIF-1a-dépendants (fig. 1).
Ce qui est surprenant, c'est que la protéine HIF-1a est disponible en l'espace de quelques secondes dans les cellules maintenues en hypoxie. Lorsque l'apport en O2 se normalise, HIF-1a disparaît en quelques minutes (HIF-1a a une demi-vie d'approximativement 5 minutes). Il a été démontré par immunohistochimie que HIF-1a est exprimé dans des conditions normoxiques dans le cerveau, le rein, le foie, le cur et le muscle squelettique de souris.7 Lorsqu'on expose les souris à une hypoxie systémique (6% d'O2 pendant 4 heures), la concentration de HIF-1a augmente à une vitesse différente suivant les organes et atteint un maximum dans le cerveau, le rein et le foie une à quatre heures après le début de l'hypoxie. La pO2, qui conduit à une augmentation de HIF-1a, ainsi que le laps de temps nécessaire à cette augmentation sont donc différents selon les tissus. Ces observations ont conduit à l'hypothèse qu'une concentration de base de HIF-1a est nécessaire pour assurer une expression continue des gènes indispensables à l'approvisionnement en énergie et au maintien d'une fonction cellulaire suffisante.
Quelle importance a donc HIF-1a ? Des investigations chez des ftus murins déficients en HIF-1a ont montré que la mort ftale est inévitable.8 Ces ftus présentent des malformations au niveau cardiaque et cérébral, ainsi qu'un réseau vasculaire malformé. Ce qui signifie que HIF-1a est un facteur non redondant et indispensable à la vie.
L'hypoxie stabilise HIF-1a, qui sera finalement transporté dans le noyau des cellules. La translocation nucléaire se produit indépendamment de la sous-unité HIF-1b/ARNT qui se trouve de manière constitutive dans le noyau. De plus, on a pu démontrer que HIF-1a parvenait au niveau nucléaire dans des lignées cellulaires surexprimant HIF-1a, mais cultivées dans des conditions normoxiques.9 Ce qui signifie que la translocation de HIF-1a dans le noyau n'est pas dépendante des conditions d'hypoxie. Une fois arrivé dans le noyau, HIF-1a dimérise avec HIF-1b/ARNT et le complexe résultant se lie à une séquence basique de gènes régulant l'O2 (fig. 2, côté droit). Cette séquence s'appelle «HIF-1 binding site» (HBS) et s'écrit A/GCGTG.4,10 Le HBS est la séquence clé des éléments répondant à l'hypoxie (hypoxia response elements, HRE) qui est le régulateur des gènes cibles dépendant de HIF-1. Aujourd'hui nous connaissons vingt-cinq de ces gènes cibles10 (fig. 1).
La régulation de HIF-1a en hypoxie se joue au niveau de la stabilisation de la protéine4,10 et non pas au niveau de la transcription de son gène. Ceci signifie que la protéine HIF-1a sera synthétisée de manière constitutive en normoxie et ensuite dégradée par le biais de la cascade ubiquitine/protéasome (fig. 2). Les mécanismes par lesquels les variations d'O2 sont détectées au niveau cellulaire sont demeurés très longtemps inconnus plusieurs théories existent, dont une suivant laquelle la concentration des espèces oxygénées réactives (reactive oxygen species, ROS), comme par exemple l'anion superoxyde et le peroxyde, agiraient comme transmetteurs de signaux. En effet les ROS sont formés au niveau mitochondrial comme produits accessoires de la chaîne respiratoire. A ce sujet, les controverses ne sont pas encore closes. Depuis l'an dernier, nous connaissons les mécanismes qui stabilisent HIF-1a. Les enzymes clés oxygène-dépendantes qui contrôlent la dégradation de HIF-1a, sont des prolylhydroxylases qui ont besoin de Fe2+ comme cofacteur, ainsi que d'oxygène et de 2-oxoglutarate.11,12 Ces hydroxylases hydroxylent deux résidus proline qui sont présents dans le domaine oxygène-dépendant responsable de la dégradation (oxygen dependent degradation domain ou ODD) de HIF-1a (fig. 2). En normoxie, cette hydroxylation permet l'interaction entre la protéine suppresseur de tumeurs von Hippel-Lindau (pVHL) (la maladie de von Hippel-Lindau est une maladie autosomique dominante caractérisée par la formation de tumeurs) et HIF-1a. La protéine pVHL contient une ubiquitine ligase qui assure l'ubiquitinylation de HIF-1a. Ceci a pour conséquence que les molécules de HIF-1a ubiquitinylées sont dégradées par les protéasomes (fig. 2). Des résultats analogues ont été trouvés chez le nématode Caenorhabditis elegans, dans un travail «couronné» par le prix Nobel de physiologie en 2002 (S. Brenner, H.R. Horvitz, J. E. Sulston). En résumé, HIF-1a est synthétisé de façon constante en normoxie, mais il est ensuite instantanément marqué par l'attachement de groupes OH. Une fois marqué, HIF-1a suit un processus de dégradation intracellulaire, jusqu'à sa destruction par les protéasomes. En hypoxie, les prolylhydroxylases sont inhibées et ne peuvent donc pas hydroxyler HIF-1a. Par conséquent, HIF-1a n'est pas dégradé, migre dans le noyau et forme un dimère avec HIF-1b/ARNT, et finalement active les gènes cibles. Ainsi les prolylhydroxylases spécifiques à HIF-1a peuvent être considérées comme des éléments importants dans la détection de l'O2, si ce n'est pas comme les véritables senseurs d'O2.
Au vu de ce qui précède, la question se pose de savoir si HIF-1a peut être utilisé directement à des fins thérapeutiques. Jusqu'à présent, on a essayé d'appliquer ces connaissances dans le domaine de la thérapie génique, basée sur le transfert de gènes cibles de HIF-1, tels que ceux du VEGF ou de l'érythropoïétine.13 Le transfert du gène du VEGF, le facteur de croissance angiogénique le plus important, fut appliqué avec un certain succès dans le traitement de maladies ischémiques, telles que la maladie artérielle périphérique, la neuropathie diabétique et la maladie coronarienne.13 Puisque HIF-1 détermine et coordonne la vitesse de transcription du VEGF et d'autres facteurs de croissance angiogénique dans des conditions hypoxiques,4 HIF-1 devrait représenter un point de départ encore plus efficace pour la thérapie génique.10 Le transfert du gène de HIF-1 permettrait d'agir à un niveau encore plus complexe et d'une manière quasi physiologique sur l'angiogenèse locale.
De nouvelles options thérapeutiques pourraient aussi s'ouvrir dans le domaine de la guérison des plaies, telles que les brûlures, dans lesquelles une destruction des vaisseaux sanguins se produit dans le tissu environnant. Ici l'adjonction de HIF-1 ou de VEGF pourrait accélérer le processus de guérison. A notre connaissance, il n'existe pas d'essais cliniques sur l'augmentation de la stabilisation de HIF-1 dans le cadre d'interventions chirurgicales induisant une ischémie.
A côté des effets protecteurs de HIF-1 dans le traitement des maladies ischémiques, il existe des risques de complications dans le sens où HIF-1 pourrait promouvoir la croissance de tumeurs malignes. En effet, pendant la phase de croissance, une tumeur maligne subit un manque d'O2. Ceci se traduit souvent par la présence de nécroses dans la masse tumorale. Pour compenser ce manque d'O2, les cellules tumorales produisent du VEGF, ce qui améliore la vascularisation et augmente l'apport d'O2 et de substances nutritives au tissu cancéreux. Ainsi le transfert à l'intérieur de la tumeur d'un plasmide antisense HIF-1a14 représente une des différentes stratégies testées dans le traitement des tumeurs hypoxiques. On produit une séquence d'ARN complémentaire (ARN antisens) dans une cellule en culture. Celui-ci reconnaît l'ARN de la cellule tumorale (ARN sens), se lie à ce dernier, et l'inactive. L'expression de l'ARN antisens de HIF-1a dans le tissu cancéreux produit un abaissement de la concentration de VEGF et diminue ainsi la densité capillaire. Cette approche a déjà donné de premiers résultats prometteurs en réduisant de manière durable la taille de petites tumeurs.