La collaboration entre l'ophtalmologue et le médecin interniste est essentielle à la prise en charge des cas difficiles d'uvéites. Comme indiqué dans la première partie de ce travail les investigations reposent sur l'examen clinique à l'aide duquel l'ophtalmologue orientera son correspondant interniste. Nous présentons ici une démarche diagnostique de laboratoire à laquelle nous avons recours habituellement et qui permet d'identifier la grande majorité des uvéites référées dans notre région. Le répertoire de ces tests a été rassemblé et discuté dans cette deuxième partie.
La prise en charge réussie des uvéites sévères dépend de la bonne collaboration de l'ophtalmologue avec son correspondant interniste. Ce dernier dépend des indications de l'ophtalmologue pour déterminer le cap que prendront ses investigations. Trop souvent l'ophtalmologue a encore tendance à abandonner l'évaluation diagnostique à l'interniste qui peut prendre une fausse piste en se référant à une liste standard d'investigations plutôt que de faire des investigations ciblées en se basant sur le tableau clinique que lui aura exposé l'ophtalmologue. Par exemple un antigène HLA-B27 positif alors que l'uvéite est granulomateuse n'a aucune signification et comporte le danger de prendre une fausse piste diagnostique avec une perte de temps précieuse en vue de la prise en charge thérapeutique. Pendant la période des investigations l'ophtalmologue et l'interniste restent en contact afin de réorienter les investigations suite à un changement du tableau clinique.
Toutes les entités citées ci-après peuvent se présenter soit comme une uvéite antérieure stricte (vasculite HLA-B27) ou comme une panuvéite impliquant également le segment postérieur.
Antigène HLA-B27 (à faire seulement en cas d'uvéite non granulomateuse) : la présence à la surface des cellules de cet antigène d'histocompatibilité majeur est un facteur prédisposant ces patients à des uvéites antérieures aiguës. Le test est effectué par cytofluorimétrie (FACS, fluorescent activated cell sorter). Les cellules fraîches du patient sont incubées avec un anticorps anti-HLA-B27 marqué à la fluorescéine, puis passées dans le cytofluorimètre détectant la quantité de fluorescence selon que l'anticorps s'est fixé ou non à l'antigène HLA-B27. Avec cette méthode, un résultat peut être obtenu en quelques minutes et est en général communiqué par le laboratoire dans la demi-journée. Environ 50-60% des uvéites antérieures non granulomateuses se révèlent HLA-B27 positives. Si la recherche de l'HLA-B27 est positive, aucune autre investigation n'est entreprise. Nous avons tendance à effectuer ce test dans toutes les uvéites antérieures aiguës non granulomateuses, ce qui se justifie dans la mesure où l'on évite au patient toute autre investigation. D'autre part un test positif permet d'expliquer au patient la relative bénignité de l'affection et de lui conseiller de consulter son généraliste ou un rhumatologue si des symptômes rachidiens devaient indiquer la présence d'une maladie de Bechterew. Un test HLA-B27 négatif doit nous inciter à être vigilants. Si l'uvéite répond au traitement topique simple, aucun autre test n'est indiqué. En cas d'évolution prolongée, nous pratiquons alors les tests effectués dans le cadre d'une uvéite granulomateuse (tableau 3, partie 1).a
Uvéite granulomateuse a
Enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA) et lysozyme sériques : l'ECA et le lysozyme sont produits par les macrophages et les cellules épithélioïdes présents dans les granulomes et sont des marqueurs pour les maladies granulomateuses. L'ECA est élevée chez 70-80% des patients atteints d'une sarcoïdose active et chez 30-40% des patients atteints d'une sarcoïdose non traitée, d'évolution chronique. Elle n'est élevée que dans 10% des cas de sarcoïdose inactive. En cas d'uvéite granulomateuse avec élévation de l'une ou l'autre de ces enzymes, l'ophtalmologue doit déterminer si leur élévation est due à une sarcoïdose, une tuberculose ou à une autre cause. Le test d'hypersensibilité cutanée multiple (antigènes multiples de type MultiMérieux®, ou Mantoux) permet d'orienter vers une sarcoïdose en cas d'anergie et vers une éventuelle tuberculose en cas de forte positivité à la tuberculine. Le lysozyme est plus utile chez les sujets jeunes dont le taux moyen d'ECA a tendance à être plus élevé (faux positifs). Le contraire est vrai pour l'ECA plus utile chez les personnes plus âgées, car le taux de lysozyme a tendance à augmenter avec l'âge. Lorsque les deux tests sont effectués et qu'ils sont élevés la valeur prédictive pour une sarcoïdose est voisine de 100% en cas d'anergie.1 Quelques autres situations où l'ECA est élevée sont le diabète (± 24%), une maladie fongique, une atteinte hépatique (cirrhose : 25%), l'hyperthyroïdie (81%), certaines tumeurs malignes, mais elle est normale dans les lymphomes et les carcinomes du poumon et certaines atteintes pulmonaires comme la silicose, la beryliose et l'amyloïdose. Chez des patients hypertendus traités par des inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, la détermination de l'ECA n'est d'aucune utilité et seule la détermination du lysozyme sérique est effectuée.
Test d'hypersensibilité cutanée (tests intradermiques, Mantoux ou antigènes multiples de type MultiMérieux®) : ce test donne des indications sur l'état de l'immunité cellulaire. L'applicateur multiple contient sept antigènes avec lesquels la plupart des personnes ont été en contact. En présence d'une uvéite granulomateuse avec une élévation de l'ECA et/ou du lysozyme ce test oriente soit vers le diagnostic de sarcoïdose s'il révèle une anergie cutanée ou il doit faire rechercher une tuberculose en cas de réaction fortement positive à la tuberculine.
Détection d'une activation polyclonale des immunoglobulines :2 une élévation polyclonale des immunoglobulines est classiquement décrite en cas de sarcoïdose (> 75%) et peut être source d'erreurs diagnostiques en cas d'uvéite granulomateuse. En effet, si dans les investigations une sérologie herpétique isolée est effectuée, un taux élevé peut faussement orienter vers une étiologie herpétique alors qu'il ne s'agit que d'une élévation non spécifique. Pour cette raison nous avons l'habitude d'effectuer des sérologies herpétiques multiples recherchant une possible activation polyclonale. L'exposition aux virus herpétiques (Herpes simplex (VHS), varicelle-zona (VVZ), cytomégalovirus (CMV) et Epstein-Barr (VEB)) est en effet très élevée dans la population. Nous déterminons d'abord à combien de types de virus le patient a été exposé, en effectuant le test ELISA pour VHS, CMV et VEB et par immunofluorescence (VEB-VCA = viral capsid antigen) pour le virus d'Epstein Barr. Puis nous déterminons si les titres contre ces virus sont élevés selon les critères suivants : titre (fixation du complément) >= 1/40 pour VHS, CMV et VVZ et titre VEB-VCA >= 1/1280 pour le virus d'Epstein-Barr. Le nombre de titres élevés divisé par le nombre de types de virus auxquels le patient a été exposé donne un score. Un score de 0,66 lorsque le patient a été exposé à trois types de virus et un score de 0,75 lorsqu'il a été exposé aux quatre types de virus parlent fortement pour une activation polyclonale. Nous avons montré précédemment que les anticorps anti-herpétiques étaient nettement plus élevés dans un groupe de sarcoïdoses intraoculaires que pour d'autres uvéites.2 La recherche d'une activation polyclonale est une aide précieuse dans l'évaluation d'une uvéite avec suspicion de sarcoïdose. En effet, les examens non invasifs dont nous disposons manquent de sensibilité et de spécificité, et le diagnostic est souvent posé sur l'aspect clinique ; aussi un test additionnel, aussi imparfait soit-il, peut donc s'avérer utile. D'autre part une élévation isolée d'une des sérologies herpétiques, représente un élément diagnostique pour une atteinte herpétique. Il est important pour ce test de toujours collaborer avec le même laboratoire et de déterminer avec ce laboratoire les titres qui peuvent être considérés comme au-dessus de la norme.
Radiographie du thorax : recherche de signes radiologiques compatibles avec une sarcoïdose ou une tuberculose pulmonaire.
Une biopsie conjonctivale ou de la peau est indiquée en cas de suspicion de granulome au niveau de la conjonctive ou au niveau de la peau.
Le scan au gallium est utile lorsqu'on dispose d'un service de médecine nucléaire ayant l'habitude d'effectuer cet examen : le gallium s'accumule dans les liposomes actifs des granulocytes. La mesure se fait 48 heures après l'injection de gallium citrate radioactif. Pour le diagnostic de la sarcoïdose un scan limité à la tête, au cou et au thorax est suffisant.
Le lavage broncho-alvéolaire et la biopsie pulmonaire trans-bronchique en vue d'un examen anatomo-pathologique pour rechercher des signes de granulomes sont des examens spécifiques qui ont le désavantage d'être invasifs. Ils ne sont pas toujours justifiés en cas d'atteinte limitée à l'il.
En cas d'uvéite granulomateuse avec investigations négatives pour la sarcoïdose et la tuberculose, d'autres étiologies doivent être recherchées (ces examens peuvent aussi se faire simultanément). Pour des raisons de coût nous avons tendance à garder du sérum des patients et à procéder par étapes successives dans la mesure où les premiers examens sont négatifs.
Test sérologique de dépistage = VDRL (anticorps non spécifiques anti-cardiolipine) ou test analogue : 70% de positivité en cas de syphilis primaire, positif à 99% en cas de syphilis secondaire, ± 1% de positivité en cas de syphilis latente ayant été traitée, 70% de positivité en cas de syphilis tardive n'ayant pas été traitée.
Sérologie spécifique : fluorescent treponemal antibody absorption test (FTA-ABS) : plus sensible que le VDRL, utilisé pour confirmer une infection si le VDRL est positif ; il reste positif dans pratiquement tous les cas après la primo-infection (cicatrice sérologique) : 85% de positivité en cas d'infection primaire, 100% de positivité en cas de syphilis secondaire, 98% de positivité en cas de syphilis traitée ou en cas de syphilis tardive non traitée.
Des faux positifs peuvent se rencontrer comme réaction croisée en cas de sérologie positive pour la maladie de Lyme, la varicelle, la rougeole, les hépatites virales, la mononucléose infectieuse, la pneumonie à Mycoplasma pneumoniae et certaines connectivites.
Une sérologie positive ne signifie pas forcément une maladie de Lyme oculaire. Nous avons suivi cinq cas ayant une sérologie positive de Lyme avec immuno-empreinte (Western blot) positive dont la détermination des anticorps en chambre antérieure était négative et pour lesquels une étiologie a été trouvée par la suite. Dans une proportion de ces cas, il s'agissait d'une sarcoïdose oculaire et l'élévation de la sérologie était probablement le résultat d'une activation polyclonale. La sérologie de Lyme devrait toujours être accompagnée d'une sérologie syphilitique, une source de faux positifs. La sérologie de Lyme n'a toujours pas été standardisée. Une difficulté à standardiser cette sérologie vient du fait qu'en Europe il existe trois espèces de Borrélies (B. burgdorferi sensu stricto, B. garinii et B. afzelii)4 dont la prévalence est variable selon les régions.5 La réponse sérologique des patients peut être très spécifiquement liée à l'une de ces espèces, surtout lors d'infections chroniques.19 Il est donc important de collaborer avec un laboratoire local spécialisé dans le domaine.
Un test ELISA ou similaire indique une exposition probable à l'agent pathogène. Le stade de l'infection peut être déterminé plus précisément par un examen en immuno-empreinte (western blot), mettant en évidence le nombre (minimum 4-5) et le type de protéines (18 kDa, OspC, OspA, p39, flagelline, 66 kDa, 93 kDa, etc.) contre lesquelles il existe des anticorps IgG et/ou IgM.
L'uvéite granulomateuse antérieure est présente dans une partie des cas de toxoplasmose oculaire, et est toujours associée à une rétinochoroïdite.
Sérologie toxoplasmique : le seul renseignement recherché en effectuant une sérologie toxoplasmique en cas d'examen clinique compatible avec une toxoplasmose est de savoir si le patient a été exposé à la toxoplasmose. En effet la rétinochoroïdite toxoplasmique est en général une réactivation de la maladie à partir de kystes tissulaires disséminés à l'occasion d'une toxoplasmose congénitale ou d'une toxoplasmose acquise passée inaperçue. Dans ce cas il y a présence d'IgG dont le taux est en général peu ou moyennement élevé. Nous avons malgré tout tendance à demander un titre d'anticorps en effectuant une sérologie FC (fixation du complément). Un titre quelque peu élevé parle d'autant plus pour une étiologie toxoplasmique.
Les investigations détaillées sont résumées dans le tableau 4, partie 1.b
Ce paragraphe comprend les atteintes postérieures non citées sous le chapitre des uvéites antérieures. Il s'agit en général d'atteintes postérieures avec peu ou pas d'inflammation antérieure. Pour les lésions rétiniennes profondes ou lorsqu'on suspecte une atteinte choroïdienne, une angiographie double à la fluorescéine et au vert d'indocyanine est à recommander.
En cas de vasculite, de sclérite ou de non perfusion rétinienne ou choroïdienne, il y a lieu de faire un bilan sérologique à la recherche d'auto-anticorps : ces investigations sont à entreprendre avec l'aide et la collaboration d'un généraliste, interniste ou immunologue. Lors de la recherche d'auto-anticorps, il faut prendre garde au fait qu'une inflammation quelle qu'elle soit entraîne la production, le plus souvent sans spécificité, d'auto-anticorps. La connaissance du contexte clinique est essentielle à l'interprétation des auto-anticorps.
I Facteurs rhumatoïdes (FR) : auto-anticorps contre le fragment Fc des immunoglobulines présents en cas d'arthrite rhumatoïde et de diverses connectivites (LED, Syndrome de Sjögren). L'atteinte oculaire en cas d'arthrite rhumatoïde se situe plutôt au niveau des couches externes (sclère, épisclère, cornée) de l'il. Rechercher le FR en cas de sclérite. L'atteinte choroïdienne ou rétinienne est en général secondaire à l'atteinte sclérale.
I Anticorps antinucléaires (AAN) : leur positivité varie selon les maladies : lupus érythémateux disséminé (LED) (± 95%), arthrite juvénile idiopathique (75%), sclérose systémique progressive (60-70%), syndrome de Sjögren (50-75%). La présence d'AAN en cas d'arthrite juvénile idiopathique prédispose ces enfants à développer une uvéite.
I Anticorps antiphospholipides (APLA) : comprend les anticorps anti-cardiolopine et l'anticoagulant lupique, présents en cas de lupus erythémateux disséminé (LED).
I Antineutrophilic cytoplasmic antibodies (ANCA) : anticorps présents en cas de granulomatose de Wegener, de panartérite noueuse (vasculite nécrosante), de syndrome de Churg-Strauss.
Recherche des antigènes d'histocompatibilité HLA
A part la recherche de l'antigène HLA-B27 en cas d'uvéite antérieure aiguë non granulomateuse, les deux antigènes HLA recherchés régulièrement en cas d'uvéite postérieure sont l'antigène HLA-A29 présent dans plus de 98% des cas de choriorétinopathie de birdshot, et l'antigène HLA-B51 présent dans environ 60% des patients atteints de la maladie de Behçet.6
Comme indiqué plus haut, il est fait recours à la radiologie en cas de suspicion de sarcoïdose ou de tuberculose. Une radiographie du thorax est faite en premier recours, mais cet examen doit parfois être complété par une résonance magnétique thoracique et abdominale à la recherche d'adénopathies.
Des radiographies de la colonne lombo-sacrée et des articulations sacro-iliaques peuvent être indiquées en cas d'uvéite HLA-B27 associée à des symptômes lombo-sacrés. Du point de vue diagnostique, ces investigations sont aussi spécialement utiles en cas d'uvéite antérieure aiguë non granulomateuse HLA-B27 négative, comme celle liée à la maladie de Bechterev B-27 négative, car son comportement sera identique à celui de l'uvéite HLA-B27 positive.
En cas d'uvéite juvénile, les radiographies des articulations peuvent contribuer à préciser le diagnostic.
La résonance magnétique du cerveau peut être indiquée en cas de suspicion d'un lymphome oculo-cérébral afin d'éliminer une masse cérébrale, en cas d'uvéite intermédiaire suspecte d'être associée à un processus démyélinisant de type sclérose en plaques et, en cas d'association à un syndrome des anticorps antiphospholipides.
Une résonance magnétique orbitaire peut être indiquée en cas de sclérite postérieure ou de papillite ou lorsqu'on recherche une pseudo-tumeur inflammatoire orbitaire.
Le taux élevé final d'uvéite dont l'étiologie a pu être précisée souligne combien une approche systématique, mais orientée, peut être efficace, tout en garantissant un coût minimal d'investigations. Une collaboration étroite entre l'ophtalmologue et l'interniste, et un échange transparent de l'information en sont des conditions indispensables.