L'Office fédéral suisse de la santé publique met en consultation jusqu'au 30 septembre 2003 la révision de l'Ordonnance fédérale sur le tabac (OTab). La révision de cette Ordonnance intervient surtout pour mettre le droit suisse en conformité avec la directive 2001/37/CE de l'Union européenne (UE), afin d'éviter les entraves au commerce du tabac avec l'UE. Ce projet de révision comprend de nombreux développements intéressants, mais il laisse à désirer sur plusieurs points.Tout d'abord, il est décevant que la révision de l'OTab ne réponde qu'aux exigences posées par le seul article 11 (étiquetage) de la Convention-cadre anti-tabac de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette révision aurait dû également aborder d'autres points cruciaux, notamment l'interdiction de la publicité, les mesures fiscales visant à réduire la consommation de tabac, et le trafic de cigarettes. La Suisse n'a du reste toujours pas signé cette Convention, alors que 52 pays l'ont déjà signée. Le texte de la Convention est disponible sur http://www.who.int/tobacco/fctc/text/en/fctc_fr.pdf.L'une des principales faiblesses de l'OTab révisée, c'est qu'elle autorise l'ajout au tabac de nombreux additifs chimiques dont l'Office fédéral de la santé publique admet qu'il n'en connaît pas les conséquences sur la santé. L'OTab autorise que les additifs chimiques constituent jusqu'à 25% du poids d'une cigarette. Idéalement, aucun de ces additifs ne devrait être autorisé, jusqu'à ce que des preuves solides montrent que ces substances et leurs produits de combustion :I n'ajoutent pas à la toxicité du tabac ;I ne modifient pas le comportement des fumeurs, par exemple en leur permettant d'inhaler plus de fumée ;I ne facilitent pas le tabagisme des adolescents ;I et n'augmentent pas la dépendance.L'article sur les additifs va à contresens des principes de base de la santé publique, puisqu'il autorise des substances dont on ne connaît pas la toxicité, ni l'effet sur la dépendance ou sur le tabagisme des adolescents. Par contre, cet article sert l'industrie du tabac, qui peut utiliser des substances potentiellement dangereuses tout en affirmant que cette pratique est légale. Cet article est donc potentiellement très dommageable à la santé publique.Un autre problème vient du fait que tous ces produits sont brûlés avant d'être absorbés par les fumeurs. Ce sont les produits de combustion, et non les additifs eux-mêmes, qui nous intéressent quant à leur toxicité ou à leur effet sur le comportement des fumeurs. Il conviendrait donc d'autoriser une liste de produits après et non pas avant combustion. Les données toxicologiques devraient également informer sur les produits de recombinaison de chaque additif avec les autres substances déjà présentes dans la fumée. Surtout, on ne peut pas accepter que l'Office fédéral de la santé publique ait ajouté «en douce» de nouvelles substances à l'ancienne liste d'additifs, sans expliquer les raisons de ces ajouts et sans les mentionner dans son message. En particulier, l'art. 5 al. 3 prévoit que du café et du cacao peuvent être ajoutés au tabac. Or, le cacao contient 1% de théobromine, un broncho-dilatateur. Cette substance évite la contraction des bronches, réaction de défense normale en présence de fumée. Donc l'ajout de cacao permet d'inhaler davantage de fumée, ce qui augmente les risques de maladies bronchiques et pulmonaires et la dépendance, puisque la nicotine passe dans le sang par les poumons. Le cacao donne un goût de chocolat qui ne devrait pas déplaire aux enfants fumeurs. Quant à l'ajout de café, il a sans doute pour but de faire fumer plus, en donnant meilleur goût à la fumée. On ne peut pas autoriser l'ajout de ces deux substances sans des études scientifiques détaillées démontrant leur innocuité et celle de leurs produits de combustion, de même que leur absence d'effet sur la consommation de cigarettes et sur la dépendance.L'Office fédéral autorise encore un nouvel additif, le caramel, sans s'en expliquer et sans connaître la toxicité et l'effet du caramel et de ses produits de combustion sur la consommation de cigarettes. Il est probable que le goût de caramel va plaire aux enfants fumeurs. L'OTab autorise aussi l'ajout de coumarine, une substance extrêmement toxique, notamment pour le foie. Cette substance devrait être interdite. C'est notamment parce qu'il avait osé critiquer l'ajout de coumarine que Jeffrey Wigand avait perdu son emploi de chef de la recherche chez Brown and Williamson, une compagnie de tabac américaine. Cet événement est relaté dans le film «The Insider», avec Al Pacino et Russell Crowe.L'article de l'OTab sur les additifs chimiques dans les cigarettes est en totale contradiction avec l'art. 13 de la loi fédérale sur les denrées alimentaires, qui dit : «Lors de leur emploi et consommation usuels, les boissons alcooliques et le tabac ne doivent pas mettre de façon indirecte ou inattendue la santé en danger.» L'Office reconnaît qu'il ne sait rien de la toxicité des additifs qu'il autorise. De plus, la nouvelle Ordonnance prévoit de nombreuses limites à l'information du public sur ces additifs, ce qui rend «inattendu» l'effet de ces additifs. On ne peut pas supposer que tous ces additifs (acide acétique, dioxyde de titane, etc.) sont inoffensifs. Il conviendrait donc de les interdire tous, après une période de transition, et de ne réautoriser que ceux qui ne sont pas toxiques et qui n'ont pas pour effet d'augmenter la consommation de cigarettes ou la dépendance.Par ailleurs, en plus des teneurs maximales en goudrons, nicotine et monoxyde de carbone, l'Ordonnance devrait fixer des teneurs maximales pour les principaux produits cancérigènes, notamment les nitrosamines. Il conviendrait aussi de mesurer non seulement la quantité de nicotine totale mais aussi de nicotine libre (freebase), car c'est la nicotine libre qui est responsable du «boost» ou pic de nicotine déterminant la dépendance. D'autres additifs soupçonnés d'augmenter la dépendance, notamment l'ammoniac, devraient également être mesurés.La nouvelle Ordonnance laisse trop de latitude à l'administration fédérale pour renoncer à publier l'information sur la fonction et la toxicité des additifs chimiques, notamment à cause du secret commercial. Les fumeurs devraient avoir le droit de savoir ce qu'ils fument. L'OTab devrait donc être reformulée de façon à rendre publique l'information sur les additifs, sans limites (art 9, al. 3-5). La notion de secret commercial ne fait pas le poids face à l'intérêt public, s'agissant de la première cause évitable de mortalité en Suisse.Par ailleurs, l'OTab autorise le tabac à mâcher et le tabac à priser. Or, le tabac à mâcher cause le cancer de la bouche. Ce tabac fournit beaucoup de nicotine et entraîne une forte dépendance. De plus, autoriser le tabac à mâcher est contraire à l'art. 8 de la directive 2001/37/CE. Il est vrai que la consommation de tabac à mâcher est très faible en Suisse, mais le tabac à usage oral appelé «snus» avait aussi presque complètement disparu en Suède au début des années 1970, jusqu'à ce qu'une campagne de marketing visant les jeunes hommes remette ce produit à la mode. Aujourd'hui, plus de 20% des hommes suédois utilisent le «snus». Il faudrait profiter de la révision de l'OTab pour interdire le tabac à mâcher et le tabac à priser en Suisse.L'Ordonnance devrait également interdire les produits du tabac à chauffer, comme les cigarettes «Eclipse» ou «Accord», qui fournissent des quantités importantes de nicotine et de monoxyde de carbone (un gaz toxique), sans brûler le tabac, ainsi que toute autre forme d'administration de tabac ou dérivé du tabac, hormis les substituts nicotiniques médicamenteux, qui sont placés sous l'autorité de Swissmedic.Pour mettre l'Ordonnance en accord avec la Convention-cadre anti-tabac de l'OMS, il conviendrait d'interdire toute publicité pour le tabac. On pourrait commencer par interdire la publicité par affiches sur la voie publique, comme à Genève, dont la loi cantonale sur ce sujet a été confirmée par le Tribunal fédéral. Il n'est en effet pas acceptable que les enfants soient sans cesse exposés à cette forme de publicité sans que l'on puisse les en protéger.La Suisse est montrée du doigt, car c'est de notre pays que s'organise une grande partie du trafic de cigarettes en Europe. C'est même l'un des principaux points de contentieux dans les négociations bilatérales avec l'Union européenne. On devrait profiter de la révision de l'OTab pour introduire des mesures facilitant la traçabilité des produits du tabac, notamment par l'impression d'une identification sur chaque paquet. Cela permettrait de connaître la provenance des produits et d'en limiter le trafic. Comme cette mesure concerne l'étiquetage des produits, elle pourrait probablement être intégrée à l'OTab.Information :L'Ordonnance révisée et le communiqué de l'OFSP sont disponibles sur :http://www.admin.ch puis cliquer sur DFI, puis Office fédéral de la santé publique, puis dépendance, puis Ordonnance sur le tabac.Vous pouvez envoyer votre propre prise de position jusqu'au 30 septembre à :tabakverordnung@bag.admin.ch