Question : Il y a maintenant quinze médicaments anti-VIH.Réponse : Seize.Q. D'accord, seize médicaments anti-VIH sur le marché. Je viens de lire les dernières recommandations publiées aux Etats-Unis, et c'est la mer à boire : on donne un choix de cinq ou six d'une catégorie, trois ou quatre d'une autre, sans vraiment se prononcer sur ce qui est la meilleure combinaison. Donc, pratiquement, quelle est votre premier choix pour un malade encore jamais traité ?R. En somme, vous me demandez une recette de cuisine. La voilà : mon premier choix c'est la trithérapie d'efavirenz (Stocrin®), plus zidovudine et de 3TC en combinaison fixe (Combivir®).Q. Pourquoi ?R. Primo parce que c'est très efficace. En analyse d'intention de traiter c'est-à-dire que tous les perdus de vue et tous ceux qui changent de médicaments en cours de route sont considérés en échec de traitement plus de 70% des patients atteignent une virémie suffisamment basse pour espérer une efficacité de traitement durable. C'est plus efficace que d'anciennes trithérapies associant le Combivir® et une antiprotéase, comme par exemple la combinaison de Combivir® et indinavir, ou celle de Combivir® et nelfinavir.Q. Et secundo ?R. Secundo c'est simple : un comprimé le matin et deux comprimés le soir.Q. Et tertio c'est bien supporté ?R. Comparé à l'ancienne combinaison d'indinavir et de Combivir®, vous avez raison.Q. On y reviendra. Mais prenons, par exemple, la patiente que vous avez présentée lors de votre dernier colloque : si je me souviens bien, c'était une femme africaine, enceinte, anémique, très immunosupprimée, avec une candidose sophagienne. Vous allez aussi lui prescrire votre combinaison miracle ?R. L'exemple montre bien que dans le traitement antirétroviral, la même recette ne vaut pas pour toutes. Cette dame a une contre-indication à la zidovudine (composante du Combivir®), qui risque d'aggraver son anémie, et une autre à l'efavirenz qui cause des malformations faciales chez le ftus du singe. Dans ce cas, la zidovudine fut remplacée par la stavudine (Zerit®) et l'efavirenz par la névirapine.Q. Mais la grossesse n'est-elle pas une contre-indication à un début de traitement antirétroviral ?R. Bien au contraire. Les femmes enceintes doivent d'autant plus être traitées que le traitement antirétroviral prévient, de façon très efficace, la transmission du virus de la mère à l'enfant. A part l'efavirenz, les autres médicaments ne semblent pas être ftotoxiques, avec une réserve pour certains, comme le ténofovir et l'enfuvirtide, le recul nécessaire manque encore.Q. Efavirenz plus Combivir® donc. Parmi les nouveaux médicaments, certains vont-ils changer la donne ? J'ai entendu dire que le ténofovir (Viread®) avait beaucoup de succès.R. En effet. Ses avantages sont nombreux : une prise par jour, bien supporté, efficace, peu de résistances. Nous l'utilisons souvent quand les patients ne supportent pas la zidovudine, quand celle-ci est contre-indiquée ou en cas de co-infection par l'hépatite B.Q. Mais alors, pourquoi ne pas remplacer la zidovudine par le ténofovir ?R. Peut-être l'année prochaine, surtout si Gilead met sur le marché une pilule qui combine ténofovir et FTC (semblable au 3TC) qui pourrait l'emporter face au Combivir®. Attention cependant à la combinaison de ténofovir/abacavir/3TC : dans deux essais différents, cette combinaison n'a pas été efficace. Pour le moment, on ignore pourquoi ; on suspecte une interaction pharmacocinétique défavorable entre le ténofovir (Viread®) et l'abacavir (Ziagen®).Q. Et les inhibiteurs de la protéase (IP) du VIH ?R. Ils ont perdu des parts de marché : davantage de pilules à avaler, davantage d'effets secondaires précoces, digestifs, et tardifs (lipodystrophie). Mais une nouvelle génération d'IP est en développement.Q. Par exemple
R. L'atazanavir (Reyataz®) une dose par jour, aucun effet sur le cholestérol est attendu pour 2004.Q. Et le Fuzeon®, la rumeur l'annonce comme un médicament miracle.R. C'est ce que j'appelle «l'effet parfum» : plus c'est cher, meilleur c'est. Plaisanterie mise à part, c'est un médicament très efficace, appartenant à une nouvelle classe, donc sans résistance croisée avec les anciens. Il faut cependant l'injecter deux fois par jour : un désavantage indéniable. Nous l'utilisons pour des patients qui n'ont pas d'autres options valables. A certains, il a sauvé la vie.Q. Vous avez parlé résistance, facilité d'administration
Qu'en est-il des effets secondaires ? Les nouveaux médicaments causent-ils autant de lipodystrophie que les anciens ? Avant de répondre, vous pourriez peut-être rappeler ce qu'est la lipodystrophie.R. Il s'agit donc d'un changement dans les tissus adipeux. L'atrophie prédomine, on la voit bien au niveau du visage ainsi qu'aux extrémités, émaciés. Ces altérations ont été associées aussi bien au traitement par les inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase qu'aux IP. De plus, certains patients, surtout ceux qui prennent des IP, présentent une accumulation de graisse au niveau des seins, de la nuque (on parle de «bosse de bison») et du ventre. Le syndrome s'accompagne souvent d'une augmentation du cholestérol plasmatique et d'une lactatémie.Q. Le spectre de l'acidose lactique et de l'infarctus
R. N'exagérons rien. C'est une augmentation des lactates, pas de l'acide lactique. Quant aux infarctus, on peut estimer leur incidence à 3,5 par mille années de traitement par antiprotéases.Q. N'est-ce pas aller un peu vite dans le classement du problème ? Car le patient VIH moyen vieillit et a souvent d'autres facteurs de risque pour l'infarctus, surtout le tabagisme.R. C'est exactement ce que j'exposais lors du dernier colloque.Q.
où j'étais assis discrètement au dernier rang. Mais pour revenir à la lipodystrophie : les nouveaux médicaments sont-ils dénués de ces effets ?R. C'est trop tôt pour le dire. Cependant, le ténofovir, utilisé en combinaison avec 3TC et efavirenz, cause moins d'augmentation du cholestérol plasmatique que la stavudine. Et l'atazanavir en combinaison avec Combivir® n'entraîne aucune augmentation.Q. Le recul suffit-il pour dire que les personnes VIH+ traitées avec succès, ont une espérance de vie normale ?R. A court terme (3-5 ans), la mortalité est à peine supérieure à celle de la population suisse d'âge égal, à condition qu'il n'y ait pas d'autres comorbidités, par exemple une co-infection par le virus de l'hépatite C. La co-infection augmente la mortalité par insuffisance et cancers hépatiques. De plus, puisqu'elle est étroitement associée à la toxicomanie, elle est également un marqueur pour d'autres risques : overdose, suicide, accidents, etc.Q. Revenons aux «succès» : des ex-malades supportant le traitement, sans hépatite C, âgé(e)s en moyenne de 38 ans aujourd'hui. Dans l'hypothèse d'une espérance de vie normale, ils peuvent encore vivre 45 ans en moyenne. Quarante-cinq ans de trithérapie, est-ce réaliste ?R. Anthony Fauci, le «Directeur du programme sida» aux Etats-Unis le dit clairement : «Ce n'est pas une option envisageable» et des méthodes doivent donc être trouvées pour diminuer l'exposition aux médicaments.Q. Si Fauci le dit, ce doit être juste. Mais comment «diminuer l'exposition aux médicaments ?»R. Par exemple, en traitant de façon intermittente, en stoppant le traitement quand l'immunodéficience (mesurée par le niveau des lymphocytes CD4) se corrige, puis en recommençant quand elle s'aggrave de nouveau. Ou en utilisant des stratégies de vaccination thérapeutique. Selon ce concept, on traite d'abord par des médicaments, puis, une fois l'immunodéficience corrigée, on stimule la réponse immune anti-VIH par des vaccins. Ensuite, on arrête les médicaments, avec l'espoir que la réponse immune prévienne la rechute.Q. Ça marche ?R. Pour ce qui est du concept de vaccination thérapeutique, les premiers résultats sont décourageants. Concernant le concept de traitement intermittent, de grands essais prospectifs et randomisés sont en cours, dont les résultats seront connus en 2005 et 2006.