L'H. pylori est l'infection chronique la plus fréquente à l'échelle mondiale et la cause prépondérante de gastrite. Son lien pathogénique avec la maladie ulcéreuse peptique, le cancer gastrique et le lymphome gastrique primaire (MALT) est clairement établi.Tandis que sa prévalence décroît dans les pays occidentaux parallèlement à ses complications potentielles, l'incidence du reflux gastro-sophagien et des maladies associées augmente de façon exponentielle : l'inflammation et métaplasie du cardia gastrique, l'sophage de Barrett et l'adénocarcinome de la jonction gastro-sophagienne. Les mécanismes de ce changement font l'objet des efforts actuels destinés à élucider la pathogenèse du reflux. Cet article révise notre compréhension actuelle des maladies associées à l'H. pylori ainsi que la pathogenèse de la gastrite atrophique et non atrophique, et évoque les développements futurs possibles dans ce domaine.
Pendant les deux dernières décennies, la pathologie du tube digestif proximal a subi de profondes modifications, altérant le spectre de pathologies courantes et ainsi la pratique de la gastro-entérologie et la pathologie gastro-intestinale.
La découverte du rôle étiologique d'H. pylori dans la pathogenèse de la gastrite, de l'ulcère peptique, du carcinome gastrique et du lymphome gastrique primaire a radicalement changé notre perception d'une maladie jusqu'ici considérée comme une évolution quasi physiologique liée à l'âge. Notre compréhension des mécanismes pathogénétiques qui relient une infection bactérienne de la muqueuse gastrique à d'autres conditions aussi diverses et variées que la gastrite et le cancer progresse. Parallèlement, les conditions socio-économiques et environnementales se sont améliorées contribuant encore à un changement de la pathologie gastrique qui s'est déplacée proximalement. Tandis que la prévalence d'H. pylori, de l'ulcère peptique et du cancer gastrique chute dans les pays occidentaux, l'incidence d'adénocarcinome «jonctionnel», c'est-à-dire de la jonction gastro-sophagienne, ne cesse de croître reflétant l'endémie actuelle du reflux gastro-sophagien.1,2 Paradoxalement, au moment de comprendre les implications pathogénétiques d'une infection aussi complexe et unique, nous commençons à apprécier les éventuelles conséquences de sa disparition.3
Cette revue a pour but de souligner l'évolution du concept de la gastrite ainsi que ses mécanismes de pathogenèse actuellement connus. Aussi, nous évoquerons les éventuelles raisons pour les trends pathologiques actuels observés dans le tube digestif proximal et proposerons des solutions aux nouveaux défis posés aux gastro-entérologues et gastro-pathologues.
En 1947, à l'aube de la gastroscopie, Rudolph Schindler jugea que la gastrite était «une des maladies les plus débattues du corps humain» et prédit que son importance serait discutée pendant des années à venir.4 En effet, depuis la seconde moitié du XIXe siècle quand Cruveiller exposa l'inexactitude des premières descriptions de gastrite de Broussais sur du matériel d'autopsie,5 jusqu'au début du vingtième siècle, le concept de gastrite en tant que maladie fut pratiquement abandonné. Lorsque finalement la gastrite fut reconnue comme une entité distincte, l'exploration de sa cause commença. Les petites bactéries courbées présentes dans la muqueuse gastrique et décrites depuis 1870 par les pathologues humains et vétérinaires, furent rapidement écartées comme des contaminants insignifiants.6,7 Schindler a lui soutenu que «l'étiologie bactériologique de la gastrite chronique n'a pas été prouvée de manière convaincante dans un seul cas».
Plus des deux tiers de l'humanité sont infectés par H. pylori. Pratiquement, tous les sujets infectés présentent les lésions histopathologiques typiques de la gastrite chronique active, mais les complications significatives de gastrite atrophique sévère, d'ulcère gastrique ou duodénal et de cancer ou lymphome gastrique sont relativement rares.
A présent, on considère les caractéristiques et l'évolution de la gastrite infectieuse par H. pylori déterminées par une combinaison des trois éléments qui contribuent normalement à déterminer les manifestations cliniques et l'évolution de toute maladie infectieuse : la souche des bactéries avec ses différents niveaux de pathogénicité et donc virulence, les réponses de l'hôte et l'environnement. Par la suite nous présenterons notre compréhension actuelle de l'influence relative de chacun de ces facteurs ainsi que les défis que posent la pathologie gastrique et son évolution quasi permanente.
La gastrite à H. pylori semble commencer par une infection aiguë, dont notre compréhension actuelle est très restreinte puisque nos connaissances viennent d'un nombre limité de cas d'infection expérimentale et de rares cas documentés à partir d'une infection accidentelle causée par des endoscopes contaminés.8,9 Même si ces primo-infections ne sont pas documentées histologiquement, on spécule que l'infection aiguë affecte toute la muqueuse gastrique et que la réponse initiale consiste surtout en l'extravasation d'une grande quantité de neutrophiles qui infiltrent la muqueuse. Pendant une période encore non déterminée, le recrutement de lymphocytes et plasmocytes se produit d'abord dans la sous-muqueuse avec progression jusque dans l'épithélium de surface parallèlement à la formation de follicules lymphoïdes.10 Ce modèle d'infection et donc d'inflammation, qui constitue la lésion de base chez la plupart des sujets infectés, peut prendre deux directions différentes (fig. 1). Dans la première, beaucoup plus fréquente parmi les populations qui habitent les pays industrialisés, l'inflammation reste surtout limitée à l'antre (antrum-predominant gastritis). La plupart de ces sujets continuent à présenter une infection asymptomatique qui peut durer toute leur vie sans complication. Approximativement, 10% ou 20% de ces sujets développent au cours de leur vie un ulcère duodénal. Le risque d'adénocarcinome gastrique chez ces sujets est semblable à celui de la population générale. Quand l'infection suit la deuxième direction (plus commune dans la plupart des pays en voie de développement ainsi que le Japon), la gastrite affecte par continuité toute la muqueuse gastrique : c'est la pangastrite. Comme dans le modèle précédent, la plupart des sujets atteints de pangastrite continueront leur parcours, libres de symptôme ou complication. Dans un sous-groupe de porteurs de la pangastrite, la muqueuse développe des foyers d'atrophie commençant généralement dans l'incisure gastrique pouvant se regrouper en placards et affecter une grande portion de la surface : c'est la gastrite atrophique (multifocal atrophic gastritis, MAG), considérée comme lésion précancéreuse.
Afin de comprendre l'influence relative des facteurs qui contribuent à déterminer la direction du développement de la gastrite, et spécifiquement les mécanismes qui laissent la muqueuse relativement indemne dans un certain pourcentage des patients et qui détruisent sa structure et fonction chez d'autres patients, il sera utile de réviser succinctement les aspects pathogéniques de la gastrite. L'adhésion des H. pylori aux cellules épithéliales de la muqueuse gastrique stimule une chaîne de réactions inflammatoires. A cette réponse inflammatoire s'ajoutent l'attaque infligée directement par H. pylori, des phénomènes d'auto-immunité, et aussi peut-être une accélération de l'apoptose. Le résultat est la destruction de l'épithélium superficiel et glandulaire. En réponse à ces insultes, un processus de régénération commence au sein de la muqueuse lésée : c'est le mode de régénération qui détermine le phénotype et l'évolution de gastrite.11
En pathologie de base, on appelle régénération le mode de remplacement des cellules et des tissus lésés par d'autres tissus qui ont une structure et une fonction identiques. Quand un organe ou un tissu est réparé par régénération, le tissu est reconstitué dans sa forme originelle. Dans le cas de l'estomac, la muqueuse réparée par régénération est réépithélialisée par des cellules cylindriques muco-sécrétantes et les glandes oxyntiques sont reconstituées à partir des cellules de la muqueuse normale (cellules pariétales et principales). Dans le phénomène de «réparation», les tissus lésés sont remplacés soit par un épithélium de type différent (épithélium métaplasique), soit par une prolifération fibroblastique, autrement dit : une cicatrice.
La figure 2 représente une des voies possibles de l'évolution de la gastrite, c'est-à-dire la situation dans laquelle les lésions épithéliales et glandulaires causées par l'inflammation, l'apoptose, et directement par les bactéries sont continuellement réparées par régénération. La muqueuse ainsi régénérée peut redevenir l'hôte de l'H. pylori. Ces processus de destruction, inflammation et régénération peuvent continuer à l'infini avec pour résultat une gastrite chronique active, mais généralement sans conséquence grave pour la structure ni la fonction de l'estomac.
La figure 3 représente la deuxième possibilité : le développement éventuel de la gastrite atrophique. La muqueuse est réparée par métaplasie intestinale et fibrose ; ces nouveaux tissus ne peuvent continuer leurs fonctions physiologiques normales et ne pourront donc plus jouer le rôle d'hôte de l'H. pylori. L'évolution la plus redoutée est le tapissement d'une grande partie de la muqueuse gastrique par un épithélium de type intestinal, donnant un estomac incapable de produire de l'acide (atrophie fonctionnelle). La muqueuse est désormais instable et pourra éventuellement être sujette aux modifications conduisant à un adénocarcinome.
Les manifestations pathologiques et cliniques de toute maladie infectieuse sont déterminées par l'influence relative de trois facteurs : l'agent étiologique, les réponses de l'hôte et l'environnement. Nombreux sont les exemples de maladie dans lesquels un de ces trois facteurs prend une importance prépondérante. Premièrement, au sein d'une même bactérie, certaines souches sont plus virulentes que d'autres... Par exemple, la bactérie Escherichia coli est un commensal dans l'intestin humain ; la plupart des souches ne causent aucune maladie, mais le sérotype O157 : H7 ayant des facteurs d'adhésion peut causer des infections caractérisées par des diarrhées hémorragiques graves et parfois mortelles. Deuxièmement, la réponse immune du patient joue un rôle-clé comme le montre l'exemple des infections opportunistes, exemples typiques de situations dans lesquelles la réponse de l'hôte a une importance prédominante : l'infection à cytomégalovirus, parfaitement contrôlée par un hôte immunocompétent peut devenir létale chez le patient immunodéficient. Troisièmement, les situations dans lesquelles l'environnement extérieur joue un rôle fondamental dans la modulation d'une infection sont beaucoup plus rares et certainement beaucoup moins comprises.
A présent, les seules études ayant donné des explications solides et reproductibles sur les diverses manifestations de l'infection à H. pylori sont celles qui ont examiné les facteurs de pathogénicité et ses mécanismes. De nombreux facteurs de virulence caractéristiques de certaines souches, comme la vacA et la cagA (connue maintenant comme une île de pathogénicité), babA et iceA ont été identifiés.12 En particulier, il existe d'excellents renseignements sur la relation entre la présence de cagA et l'intensité de l'inflammation de la muqueuse gastrique et certaines manifestations cliniques comme l'ulcère duodénal.13,14 Au contraire, les variations antigéniques des H. pylori isolés dans différentes régions géographiques n'ont pas démontré une bonne relation entre les modèles et les complications de la gastrite. Les réponses inflammatoires et immunitaires de l'hôte à l'infection à H. pylori ont été étudiées en très grand détail, mais jusqu'à maintenant on n'a découvert aucune caractéristique de l'hôte qui permette de prédire le comportement futur de l'infection.15
De nombreuses études soutiennent ce que les pathologues constatent depuis plusieurs années : l'incidence d'H. pylori dans les pays occidentaux diminue ainsi que sa prévalence dans la population suite à une amélioration des conditions socio-sanitaires, une utilisation courante d'antibiotiques surtout pendant l'enfance, et une prise en charge devenue relativement facile et accessible. Comme suite logique à cette constatation, l'incidence d'adénocarcinome du bas estomac, autrefois complication peu inhabituelle de l'infection par H. pylori, a chuté dans nos contrées. Cependant, comme c'est souvent le cas qu'un problème remplace un autre, une autre menace se profile à l'horizon du sommeil et du bien-être des gastro-entérologues et pathologues : le reflux gastro-sophagien.1,2 Pathologie connue et non peu fréquente prédominante chez les hommes de race blanche et d'âge moyen, le reflux gastrique est devenu un souci principal pour plusieurs raisons. La première est le développement potentiel d'un sophage de Barrett (Barrett's esophagus, BE), c'est-à-dire le remplacement d'épithélium squameux sophagien par des foyers étendus de métaplasie intestinale incomplète. Ce processus de réparation est semblable à celui qui a lieu dans l'estomac en cas d'atrophie gastrique. Cet épithélium cylindrique de type intestinal peut se transformer en dysplasie et ensuite plus rarement en adénocarcinome du bas sophage.16 La deuxième raison se situe au niveau du cardia, la minuscule région située entre l'estomac proximal et l'sophage distal, généralement considéré comme faisant partie de l'estomac.17 Le cardia, dont la signification et les implications sont encore à développer complètement, montre des changements histologiques suite à une agression de type reflux gastro-duodénal sous la forme d'abord d'une inflammation (autrement appelée «carditis») puis de petits foyers dispersés de métaplasie intestinale (focal intestinal metaplasia of the cardia) (fig. 4) dont la signification et les implications ne sont pas encore complètement élucidées. Ces foyers de cellules muco-sécrétantes représentent une entité à prévalence répandue puisque leur présence a été montrée dans 10 à 30% des patients avec des symptômes digestifs hauts sans autre pathologie inflammatoire sophagienne ou gastrique.18-20 Certaines études récentes suggèrent le besoin de différencier le cancer à départ BE de celui survenant dans le cadre de cardite et métaplasie intestinale, puisque le pronostic et le traitement pourraient varier. La troisième raison pour laquelle le phénomène de reflux nous préoccupe de plus en plus est l'ensemble de données démontrant son incidence en flèche ce qui augmente le risque de développer les deux premiers points discutés, c'est-à-dire l'sophage de Barrett et la métaplasie intestinale du cardia. Cette augmentation de prévalence a été corrélée avec la diminution d'H. pylori dans la muqueuse gastrique : selon une théorie, il semblerait que l'infection par H. pylori aurait un rôle protecteur sur le reflux gastro-sophagien en causant l'atrophie gastrique et diminuant l'acidité chez une grande partie de la population.21,22
Comme dit précédemment, l'infection par H. pylori est en nette diminution ; ainsi peut-on même parler de gastrite et d'avenir en même temps ? La réponse se trouve dans les statistiques actuelles qui montrent la diminution d'H. pylori et sa gastrite associée, mais qui mettent en évidence un autre type de gastrite, la gastrite dite chimique qui survient en cas d'utilisation d'AINS ou de reflux duodénal. Connue depuis longtemps, la gastrite chimique connaît un regain d'intérêt depuis l'émission de l'hypothèse que le reflux duodénal alcalin serait une cause importante de la gastrite d'aujourd'hui ainsi que l'sophage de Barrett.23
L'avenir de la gastrite, associée à l'H. pylori, au reflux gastro-duodénal, ou aux phénomènes de métaplasie intestinale retrouvés dans la gastrite atrophique, la cardite et l'sophage de Barrett, nous paraît prometteur avec la perspective de résultats sur le dépistage, traitement et prévention et de nouvelles pistes de recherche en pathologie gastro-intestinale. Jusqu'à récemment, la plupart des études cliniques ont été basées sur des biopsies obtenues à but thérapeutique et non de recherche. Désormais, les résultats devront se baser sur des biopsies obtenues à but de recherche dans le cadre d'études multicentriques à large échelle avec la création de services centralisés de pathologie afin de diminuer la variabilité interobservateur. Les sujets de recherche les plus prisés actuellement comprennent l'investigation de la gastrite chimique et ses associations avec le reflux acido-alcalin et l'sophage de Barrett, la signification pathophysiologique de la cardite et l'éventuel carcinome associé. Ainsi la pathologie gastro-intestinale et la gastro-entérologie bénéficieront de bases démontrées et établies utiles pour la recherche, l'enseignement et l'attitude thérapeutique.