L'équipe du Pr Stylianos Antonarakis, de la Division de génétique médicale de l'Université et des Hôpitaux universitaires de Genève, sait exploiter avec méthode une logique de recherche qui lui amène succès sur succès. Dernier exemple en date, un résultat de portée tout à fait fondamentale. Les chercheurs ont identifié, en étudiant le seul chromosome humain 21 le plus petit de tous près de 200 séquences génétiques non géniques qui se retrouvent presque inchangées dans le génome d'autres espèces de mammifères, même éloignées (Science, publication avancée en ligne, le 2 octobre 2003). Un résultat qui révèle le caractère universel de ces séquences à la fonction encore mystérieuse, qui seraient plus nombreuses que les gènes.L'importance de ces séquences non géniques conservées (CNG, pour «conserved non-genic sequences») est apparue à l'occasion des premières comparaisons entre les génomes de l'homme et de la souris. Les CNG ont une structure incompatible avec le code génétique, mais remplissent à l'évidence une fonction spécifique, sans quoi elles auraient totalement divergé au cours des 70 millions d'années d'évolution séparée qu'ont connu la souris et l'homme.Jusqu'ici, on ne savait pas grand-chose sur l'étendue du phénomène parmi les mammifères. L'équipe genevoise apporte une première réponse. Dans le cadre du Pôle de recherche national «Frontières de la génétique», avec un soutien de la Fondation ChildCare, Emmanouil Dermitzakis, Alexandre Reymond et leurs collègues du laboratoire de Stylianos Antonarakis, ont systématiquement recherché les CNG du chromosome 21 humain (identifiées par comparaison avec le génome de la souris) dans le génome de quinze espèces de mammifères (homme, souris, chat, chien, cochon, musaraigne, chauve-souris, lémurien, singe, porc-épic, lapin, tatou, éléphant, ornithorynque et kangourou).Conclusion : une forte proportion des CNG communes à l'homme et à la souris se retrouve également chez les autres mammifères. De plus, les CNG sont en moyenne mieux conservées entre les espèces que les gènes codant pour des protéines et que les gènes régulateurs, ce qui confirme l'existence d'une forte pression sélective, donc une fonction importante. Enfin, les chercheurs estiment par extrapolation que le génome humain compte plus de 65 000 CNG, soit deux fois le nombre estimé de gènes.Ces résultats marquants suivent en toute logique le fil de recherche suivi depuis plusieurs années par le laboratoire genevois. Stylianos Antonarakis s'était attelé au décryptage du chromosome humain 21, son équipe étant l'une des rares en Suisse à prendre une part active à l'effort international de séquençage du patrimoine génétique de l'homme. Par la suite, connaissant bien la géographie de ce chromosome, le scientifique a commencé à y rechercher des gènes. D'abord par de laborieuses enquêtes partant d'indices comme des maladies héréditaires. En janvier 2001, il annonce par exemple dans Nature genetics la découverte d'un gène dont des mutations sont responsables de deux formes rares de surdité congénitale profonde.Le décryptage du génome de la souris ouvre à l'équipe de généticiens de nouvelles voies d'exploration. Ils signent d'ailleurs deux articles qui accompagnent la publication du génome de la souris le 5 décembre 2002 dans Nature. Dont, en particulier, une comparaison entre le code génétique du chromosome humain 21 et les régions correspondantes chez la souris, qui révèle déjà l'existence de 3500 fragments communs non géniques de plus de 100 paires de bases chacun, des CNG.Mais c'est tout d'abord pour découvrir des gènes que les scientifiques utilisent la comparaison homme-souris. En collaboration avec des partenaires en Espagne et aux Etats-Unis, ils mettent au point une méthode systématique de recherche et de validation de gènes, méthode qui leur permet de présenter d'un seul coup 138 nouveaux gènes humains actifs (PNAS, 4 février 2003). L'originalité de la méthode tient à son caractère semi-industriel et systématique. Une comparaison bio-informatique des séquences de l'homme et de la souris permet d'abord l'identification de toutes les séquences conservées (donc probablement fonctionnelles, en vertu des arguments présentés pour les CNG), dotées des caractéristiques classiques d'un gène (séquence d'initiation, etc.). L'activité de tous ces gènes hypothétiques est immédiatement recherchée dans les principaux tissus de la souris, afin d'écarter les fausses prédictions.L'étude publiée le 2 octobre est un prolongement logique de ces efforts. Elle pose des questions passionnantes. Quelle est la fonction des CNG ? Jouent- elles un rôle dans la mécanique moléculaire du noyau ? Mais alors pourquoi sont-elles si variées, pourquoi ne se retrouvent-elles pas à l'identique sur plusieurs chromosomes ? Sont-elles nécessaires à la régulation génique, ce qui semble plausible ? Mais alors, par quel mécanisme ? La mouvance dans laquelle se situent les scientifiques genevois n'est pas prête de perdre son dynamisme. Un seul exemple du genre d'exploration qu'encouragent ces résultats : étudier l'effet de mutations des CNG chez l'animal, ou alors chercher chez l'homme l'existence d'éventuelles pathologies liées à des altérations des CNG.