Osons un instantané. Au risque d'être lu avec deux ou trois semaines de décalage, tentons, simplement, d'écrire au mieux l'enchaînement des événements dont nous sommes témoins comme nous avons longtemps et patiemment tenté de le faire dans ces colonnes face à cette hydre que devenait, année après année, la formidable affaire que demeurera celle dite de la vache folle. Cette fois, tout a commencé à l'avant-veille de la Noël 2003 avec la déclaration de Ann Veneman, secrétaire américaine à l'Agriculture annonçant la découverte du premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine diagnostiqué aux Etats-Unis. Que savons-nous à l'heure chrétienne où nous écrivons ces lignes ? Peu de choses à dire vrai. Mme Veneman a précisé urbi et orbi que l'animal une vache de race Holstein âgée de «quatre ans ou quatre ans et demi» provenant d'un gros élevage de Mapleton situé à environ 65 kilomètres de Yakima, Etat de Washington avait été testé positif le 9 décembre. Mme Veneman a ajouté genre connu que l'animal avait été abattu et la ferme et les bovins de cette dernière (4000 bêtes) avaient aussitôt été placés en quarantaine.Un doute ? Une «repentance» ? Comment pourrait-il ne pas y en avoir sur ces frontières mêlées du repentir épidémiologique et des incertitudes sanitaires ? Tout en faisant donner le tam-tam médiatico-planétaire, les autorités américaines expliquent avoir demandé confirmation à un laboratoire britannique du résultat de ce désormais fameux test positif. «Même si le risque pour la santé humaine est minime, avec la plus grande des prudences, nous allons prendre toutes les mesures adéquates» déclare Mme Veneman. Signe des temps troublés que nous traversons la secrétaire américaine à l'Agriculture a ajouté que ce premier cas d'ESB identifié à la veille de la Noël sur le sol des Etats-Unis ne devait pas être interprété comme une action émanant des milieux terroristes ; Mme Veneman a aussi précisé acceptons-en l'augure qu'en l'état actuel des données dont elle dispose, il n'était pas possible de dire s'il s'agissait là d'un cas isolé ou du début d'une épidémie.Mme Veneman : «Malgré cette découverte, nous continuons à avoir confiance dans notre sécurité alimentaire. Le risque pour la santé hu-maine est extrêmement bas.» La même : «J'ai la ferme intention de servir du buf au repas de Noël.» Au même instant où la secrétaire à l'Agriculture annonçait que l'animal avait été abattu, Bill Brookerson, directeur adjoint des services d'agriculture de l'Etat de Washington expliquait qu'il était plus que vraisemblable que les viandes provenant du bovin atteint avaient déjà été consommées «sans doute sous forme de hamburgers».On conviendra que tout cela ne manque pas de sel, encore moins de piquant. Souvenons-nous que les Etats-Unis étaient, jusqu'à aujourd'hui, officiellement enregistrés comme un pays à l'abri de tout risque d'ESB. Souvenons-nous aussi que nombre des spécialistes des maladies à prions comme des responsables vétérinaires français et européens confiaient dans l'ombre des couloirs des réunions scientifiques (ou lors de quelques confidences téléphoniques crépusculaires) qu'il était bien peu vraisemblable que ce pays qui compte un cheptel bovin de près de cent millions de têtes ne soit pas touché.Comment comprendre ? Quelques-uns se souviennent que la Commission européenne avait autour de l'année 2000 osé classer les Etats-Unis dans le groupe des pays qui devaient bel et bien être considérés non pas comme «atteints» mais bien comme «susceptibles» de l'être. On appréciera la subtilité des termes à usage sanitaire autant que diplomatique. Pour bâtir leur classification, les experts de la Commission avaient tablé sur une série de critères externes parmi lesquels les importations de farines de viande et d'os provenant de pays touchés par l'ESB, la qualité des contrôles sanitaires effectués chez les bovins et les systèmes de traçabilité concernant ces derniers. Ce classement ne plut guère à Washington où l'on tenait pour acquis le fait que non seulement le pays était vierge de toute trace de vache folle mais que selon toute évidence il le resterait.Il faut aussi compter ici avec un joli sophisme aux antipodes du dicton concernant l'homme qui, souhaitant la mort de son chien, ne craint pas de faire référence à l'infection rabique. Estimant ne pas être concernées par le risque sanitaire de l'ESB, les autorités américaines n'ont nullement cherché à mettre en uvre une politique de dépistage systématique. Pourquoi chercher des cas de contamination alors même que l'on postule que ces cas n'existent pas ? Pour ne pas être accusé de caricaturer la situation, on précisera que quelques investigations furent menées chez des animaux pouvant être considérés comme étant le plus à risque. C'est précisément sur l'un d'entre eux, une vache dite «couchée», qu'un résultat positif fut trouvé.Quelques heures seulement après la révélation de ce premier cas, la plupart des principaux pays importateurs de viandes bovines américaines prenaient des mesures d'embargo. C'est notamment le cas du Japon, de la Malaisie, de Taïwan, de Singapour et de la Corée du Sud qui ont importé 186 000 tonnes de viande des Etats-Unis en 2002, soit les deux tiers de leur consommation. Hongkong a fait de même et au lendemain de Noël, 23 pays avaient, au titre du principe de précaution, fermé leurs frontières tandis que le laboratoire britannique de Waybridge confirmait que l'animal de l'Etat de Washington était bien atteint de l'encéphalopathie spongiforme bovine.(A suivre)