Résumé
Quelle est la pathologie de la FMH ? Une dépression collective ? Une étrange maladie auto-immune ? Une inhibition fonctionnelle ? Ou une simple arthrose (une douleur ankylosante aux différentes articulations du corps institutionnel) ? Comment se fait-il que tant de gens bien arrivent à se faire pareillement avoir par l'organisation ? Car c'est bien cela : l'organisation-FMH phagocyte les idées des meilleurs, étouffe les élans, brise les velléités d'initiatives. En fait, la principale pathologie de la FMH tient à son attitude vitale : trop tournée vers l'intérieur. Frileusement engoncée en elle-même. C'est avant tout une phobie sociale....La première tâche du nouveau président qui sera élu cette semaine ? Précisément : s'en prendre aux faux-fuyants dont la FMH se sert comme caches-pathologies. Prenez le procès verbal de la dernière séance de la Chambre médicale, publié par le dernier BMS. On y apprend que la contribution spéciale de 100 FS «pour les relations publiques» sera de nouveau ajoutée à la cotisation annuelle. Très bien. La communication : rien qui ne soit plus à la mode. Mais à quoi servira cet argent ? A communiquer quel message ? Les thèses de la FMH au sujet de la 3e révision de la LAMal ? Mais ces thèses sont non seulement inadaptées à toute communication, elles sont en plus intellectuellement minables. Car voilà bien le problème : la FMH se montre incapable d'élaborer un contenu à communiquer.Dès lors, brandir la communication comme un grigri, lui allouer contribution spéciale sur contribution spéciale ne sert à rien....Avant de redonner de la visibilité à l'organisation, le nouveau président de la FMH devra donc définir des visions, un programme, des propositions fermes.Pour cela, on verrait bien un grand forum, cet automne. Quelque chose de vaste, où toutes les sensibilités pourraient s'exprimer. Mot d'ordre : sortir la FMH de sa pathologie mélancolique et phobique. Il faudrait inviter des représentants des patients et des autres professions médicales : ce sont nos partenaires naturels. Mais de grâce, pas les assureurs ni les politiciens (nous invitent-ils, eux, lors de leurs réunions décisives ?). Cessons de faire semblant de ne pas voir le jeu de pouvoir auquel ces groupes se livrent sur notre dos. Pour la FMH, le temps est venu de parler avec autorité. C'est le jeu démocratique lui-même qui demande qu'un groupe aussi important que celui des médecins exprime clairement sa vision du monde. Il est temps que la FMH commence à tenir un discours autonome et à manifester autre chose qu'une personnalité maladive....Aucune communication vers l'extérieur ne peut fonctionner sans une relation intra-institution vivante. Quelle pauvreté, actuellement, sur ce plan ! Les praticiens ont l'impression peut-être n'est-ce qu'une impression, mais elle est là, imposante que ceux qui les dirigent s'intéressent de moins en moins à leur point de vue. Sans cesse, ils investissent de l'intelligence dans leur métier, réfléchissent à ses problèmes, aux changements, aux façons d'y faire face. Et que se passe-t-il ? Aussi bien les instances extérieures que leurs propres responsables manifestent une tendance croissante à les prendre pour des imbéciles. Ou au moins pour de doux rêveurs. Seule est prise au sérieux la vision entrepreneuriale.Rien de plus important que de réagir. D'où ce rôle pour une FMH réformée : exiger que l'intelligence des praticiens (et des patients) serve de fondation à la construction théorique, de contrainte à toute rhétorique économique ou politique....Petit exemple du phénomène lors d'un débat organisé la semaine dernière par le Collège de médecine de premier recours. Devant une centaine de praticiens, Marc Diserens, responsable de la santé publique vaudoise, se lance dans une affirmation pleine de paternalisme administratif : « Le temps est venu pour les médecins de premier recours de travailler en réseaux» explique-t-il. Brouhaha. La salle s'insurge, gronde. Un médecin se lève. «Nous fonctionnons en réseaux depuis longtemps, cher Monsieur. Nos réseaux sont complexes, basés sur l'affinité et la compétence». Tout est dit. Le problème de la théorie qui veut s'imposer aux praticiens sans même avoir pris la peine de comprendre comment ils fonctionnent. La distance entre arrogance du pouvoir et réalité pratique.Ou encore, lors de la même réunion, Yves Seydoux, l'omniprésent porte-parole de santésuisse, évoque le tarif Tarmed «qui a enfin permis de revaloriser vos prestations intellectuelles». Nouveau brouhaha dans la salle. La revalorisation de la prestation intellectuelle par Tarmed, question prétexte politique, c'est un peu (toutes proportions gardées) le coup des armes irakiennes de destruction massive. Ce genre de petit mensonge descendant des chefs vers les pauvres bougres ne fait que renforcer le ressentiment de ceux que l'on prend pour des bougres. Surtout quand il est resservi après coup, sourire aux lèvres....Cela dit, attention à l'autre extrême. Voir partout de l'arrogance du pouvoir peut aussi signifier un refus de la réalité.Mais justement : ce n'est pas le cas. La plupart des médecins ont moins peur de la réalité que de ses travestissements. De la FMH, ils attendent qu'elle montre la réalité à tout le monde, à ses membres mais aussi et surtout aux politiciens et assureurs. Il s'agit que finisse le spectacle actuel, qui tourne autour des conférences de presse-spectacles quasi mensuelles de santésuisse. Il s'agit de démonter les fausses solutions, les pseudo-responsabilités et les évidences montées de toutes pièces.Ce qui préoccupe les médecins, c'est que la société moderne soit toujours plus un produit de la fabrique médiatique. C'est dans ce champ-là que la FMH doit apprendre à se mouvoir, tout en marquant sa différence. Autant dire qu'il s'agit de bien davantage que de «communiquer»....Il faut inventer une nouvelle FMH. La place croissante de la médecine aussi bien que sa crise dans la société s'observent partout. Le problème de la pénurie des médecins grandit d'année en année, et il va complètement changer la configuration des discussions (en positif, si les intéressés savent s'organiser autour d'une vision). La nécessité de pratiquer une médecine dans une situation de ressources limitées va contraindre à penser son «développement durable». Il faudra faire face à des arbitrages et des problématiques complexes dans l'organisation du système de santé : maîtrise du développement technique, préservation du tissu de premier recours, équité face aux problèmes vitaux, défense d'une approche humaine de la modernité.Ce qui est sûr, c'est que la place des médecins va se déterminer ces prochaines années. Des tournants se prendront qui décideront de la tonalité du siècle médical et, partant, du futur de l'ensemble de la communauté sociale.Donc : ne pas noyer l'élection du président et le futur de la FMH dans des tactiques politiciennes, dans des promesses à côté des enjeux....Tarmed, la formation continue, le contrôle des spécialités : oui, c'est important. Mais il y a plus, dans le rôle de la FMH. Il y a aussi la réflexion anthropologique. Le débat philosophique. Les raisons de vivre relèvent-elles de la médecine ? Un peu, certainement. Puisque ne reste plus qu'elle et l'amour, et l'art, et deux ou trois choses de ce genre dans les eaux troubles du sens.