Une équipe internationale dirigée par Christophe Bernard, directeur de recherche de l'unité 29 de l'INSERM (Institut de neurobiologie de la Méditerranée dirigé par Yezekiel Ben Ari), annonce avoir découvert une piste thérapeutique dans l'épilepsie du lobe temporal. Cette équipe est parvenue à décrypter un dysfonctionnement au niveau des membranes entourant les neurones de l'hippocampe ; dysfonctionnement qui rend ces neurones plus excitables. Il met ainsi en évidence une cible spécifique pour le développement d'un médicament contre cette maladie. Ces résultats ont fait l'objet d'une publication dans Science daté du 23 juillet 2004.1On sait que si l'épilepsie concerne entre 1 et 2% de la population mondiale, l'épilepsie du lobe temporal est la forme la plus fréquemment observée chez l'adulte. Dans ce cas, les lésions neuronales siègent pour l'essentiel au niveau de l'hippocampe, région qui joue un rôle clé dans les processus mnésiques. «Les médicaments sont souvent inefficaces contre cette forme d'épilepsie, qui ne peut alors être traitée que par chirurgie et les causes de l'épilepsie ne sont actuellement pas connues, rappelle-t-on auprès de l'INSERM. Il a été démontré dans le cas de l'épilepsie du lobe temporal que, d'une part le phénomène d'excitation des neurones est augmenté, et d'autre part les signaux d'inhibition sont diminués.»Christophe Bernard et son équipe ont pour leur part choisi de tester une hypothèse complémentaire selon laquelle le mode de fonctionnement des neurones de l'hippocampe serait modifié dans le cas de l'épilepsie du lobe temporal, ce qui rendrait les neurones plus excitables. Rappelons ici que les neurotransmetteurs libérés par le potentiel d'action se fixent sur des protéines spécialisées qui vont créer un petit courant au niveau des dendrites et que ces courants peuvent être positifs (de nature excitatrice) ou négatifs (de nature inhibitrice). Rappelons encore que lorsque la somme des courants électriques reçue par un neurone atteint un seuil, le neurone envoie lui-même un signal, il «décharge» ou émet un potentiel d'action. La crise d'épilepsie se traduit par la décharge massive et synchrone de milliers de neurones.Les chercheurs se sont tout particulièrement intéressés aux canaux régulateurs de la propagation du signal intraneuronal. Ces canaux sont en réalité des protéines spécialisées situées au sein des membranes isolantes qui entourent les neurones. Ces protéines ne laissant passer que certains ions, générateurs d'un courant positif ou négatif. Lorsque le neurone émet un potentiel d'action, celui-ci va se propager non seulement dans l'axone (voie de sortie) mais aussi à rebours dans les dendrites (comme un écho). Afin de ne pas saturer les dendrites avec ce signal électrique dont l'amplitude est très grande lorsqu'il est généré, son amplitude diminue au fur et à mesure qu'il s'éloigne du corps cellulaire et qu'il se propage dans les dendrites. Cette atténuation est due à une augmentation progressive de la densité des canaux potassium (protéines qui ne laissent passer que les ions K+) dans les dendrites.«Pour étudier les éventuelles modifications de fonctionnement des neurones dans l'épilepsie, Christophe Bernard a passé deux années aux Etats-Unis dans l'un des deux seuls laboratoires au monde capables de réaliser des mesures de propagation du courant au niveau des dendrites, précise l'INSERM. A partir d'un modèle de rats présentant des crises d'épilepsie de manière chronique, le chercheur a pu étudier les canaux des dendrites. Dans le tissu épileptique, il montre une perte chronique du contrôle du potentiel d'action par les canaux potassium. Cela s'explique par une diminution du nombre de canaux potassium dans les dendrites.»Les chercheurs observent également que les neurones produisent une série de molécules qui vont se fixer sur les canaux restants, les rendant moins performants et entraînant une plus grande excitabilité du tissu épileptique. Le phénomène observé ici démontre pour la première fois que le dysfonctionnement des canaux dans les dendrites peut être acquis au cours de la maladie. Jusqu'à aujourd'hui, ces canalopathies (ou maladies des canaux) étaient connues comme des maladies génétiques rares liées à des mutations des canaux. Ces dysfonctionnements étaient uniquement considérés comme innés. Christophe Bernard apporte la preuve que les canalopathies peuvent être acquises.De plus, lorsque les neurones sont traités avec le U0126 (une drogue à large spectre qui empêche ces molécules de se fixer sur les canaux potassium) leur fonctionnement se rétablit : la propagation du signal et l'excitabilité des neurones redeviennent presque normales. Ces résultats ouvrent donc une voie thérapeutique dans l'épilepsie du lobe temporal. En effet, il est envisageable de développer un médicament qui aurait la même cible finale que le U0126, mais qui pourrait agir de manière spécifique sur les canaux K+ des neurones.On peut espérer que ces travaux ouvrent à l'avenir de nouvelles voies de recherche. En effet, les canalopathies acquises pourraient aussi participer aux dysfonctionnements observés dans d'autres maladies du système nerveux au premier rang desquelles les maladies d'Alzheimer et de Parkinson.