C'est sans doute aucun l'une des questions centrales sous-tendant la pratique médicale de notre époque que vient d'aborder le Comité consultatif national français d'éthique (CCNE) au travers de son dernier avis en date, numéroté 87 et intitulé «Refus de traitement et autonomie de la personne».1 Y a-t-il une actualité, une spécificité française, à cette question essentielle dont se pourlèchent moralistes et philosophes, éthiciens et juristes ? Sans aucun doute et le travail mené par le CCNE s'inscrit tout naturellement trois ans après la promulgation de la loi du 4 mars 2002 qui confère aux personnes malades une plus grande autonomie de décision. Il fait suite d'autre part aux initiatives législatives visant à modifier en France certaines des pratiques médicales lors de la fin de vie de certains malades.Pour autant, il est clair que le mouvement dépasse de beaucoup les frontières de l'Hexagone, mouvement qui fait que le consentement du malade est de moins en moins implicite mais doit être de plus en plus fréquemment clairement explicité. Et comment ne pas prendre aussitôt la mesure de la principale conséquence logique de cette évolution, à savoir la possibilité pour un patient de refuser tel ou tel geste à visée diagnostique ou thérapeutique ?«Ce refus, jugé à l'aune d'une efficacité médicale réputée croissante, apparaît toujours vu du côté de la médecine comme une sorte de contrainte, une transgression du principe de bienfaisance, observe-t-on auprès du CCNE. Un tel manquement au devoir d'optimiser les chances de guérison du patient (ou parfois de protéger la société) soulève un questionnement éthique d'autant plus aigu que le refus de la thérapeutique proposée peut sembler attaché à un défaut de discernement chez un malade en situation de souffrance, dans un état de vulnérabilité particulière, diminué par la conscience de sa propre faiblesse, parfois à l'approche de la mort. Mais ce refus peut aussi être perçu comme une mise en cause même du concept de bienfaisance selon un point de vue unilatéral strictement médical.» Beaux dilemmes éthiques en perspective.On connaît quelques-uns des exemples traditionnels de refus de soins par les malades en situation d'urgence ou d'extrême urgence. C'est notamment le cas des refus de transfusion sanguine qui s'inscrit au cur des convictions de certaines communautés spirituelles, refus qui peut devenir l'expression même du lien identitaire existant entre le malade et sa communauté au moment même où l'urgence hémorragique est devenue vitale. Transfuser sous la contrainte ou laisser mourir contrairement à ce qu'impose la responsabilité professionnelle et la morale personnelle ? Comment dépasser un cas de conscience que le CCNE qualifie d'«insoluble» ? Comment ne pas rappeler, ici, à la suite des «sages» du comité, que des gynécologues-obstétriciens font observer que l'hémorragie lors de l'accouchement est la première cause de mortalité maternelle en France et que, selon une étude américaine publiée en 2001, le taux de mortalité des femmes Témoins de Jéhovah qui accouchent est quarante fois plus élevé que celui des femmes n'appartenant pas à cette communauté ? La situation est quelque peu différente lorsque le patient devant être transfusé est mineur, le refus de transfusion étant alors soumis par le corps médical à la puissance publique.Un autre dilemme est le refus de la pratique de la césarienne en situation d'urgence dès lors que l'indication de césarienne ne souffre d'aucune discussion. Pourquoi refuser une césarienne ? Le CCNE s'est posé la question. Ce peut être pour des raisons anthropo-ethnologiques, sociales ou pratiques, à commencer par le risque de rupture utérine lors d'un accouchement ultérieur dans le pays d'origine. Certaines cultures estiment d'autre part qu'une grossesse qui s'achève par une césarienne correspond à une forme de mutilation du corps de la femme et au non-respect des rituels qui doivent s'attacher à l'accouchement. «Certaines femmes ou le plus souvent leur conjoint, au moment du travail, refusent la pratique de la césarienne, souligne-t-on auprès du CCNE. Cette situation, dramatique en urgence, peut avoir pour conséquence évidente, plus que la mort de la mère, la mort de l'enfant.»Que faut-il penser de l'argument avancé par certains obstétriciens qui estiment qu'au moment du travail, la femme qui refuse une césarienne n'est plus en situation de donner un consentement ou un refus éclairé ? Et que penser de cet autre argument qui veut qu'un refus menaçant l'enfant à naître ne doit pas être considéré comme l'expression d'une totale liberté ou plus précisément d'une liberté qui n'est plus à respecter au motif, notamment, que la société doit en l'occurrence protéger le plus faible et la vie à venir ? «Il paraît de toute façon essentiel que ce type de situation soit toujours envisagé dans la mesure du possible largement avant la naissance plutôt qu'au dernier moment, en reconnaissant que l'attitude que l'on peut avoir devant une situation «théorique» et donc «générale» peut différer de celle que l'on aura devant la même situation devenue effective pour la personne, observent sagement les membres du CCNE. Ici encore, il n'y a pas de bonne solution en tout point.»Les deux situations qui viennent d'être évoquées, celle du refus de la transfusion et celle du refus d'une césarienne témoignent des oppositions pouvant exister entre croyance affirmée et volonté médicale d'agir au plus vite pour écarter un risque vital. Nous verrons qu'il est d'autres situations de refus de traitement qui, moins dramatiques et moins perçues comme provocantes, peuvent générer d'intéressantes réflexions.(A suivre)Bibliographie 1 Le texte de cet avis est consultable sur le site du CCNE : http://www.ccne-ethique.fr/