C'était il y a cinq ans. A Lyon, une équipe médico-chirurgicale internationale dirigée par le Pr Jean- Michel Dubernard tentait, le jeudi 13 janvier, une greffe bilatérale de mains. Cette première mondiale était effectuée après le prélèvement de deux greffons chez un même donneur décédé. Elle faisait suite à une tentative préalable, contestée dans certains milieux chirurgicaux français, également pratiquée à Lyon deux ans auparavant sous l'autorité du Pr Dubernard, à partir d'un seul greffon de ce type.«Un homme de trente-trois ans, dont les mains avaient été amputées en 1996 à la suite de l'explosion d'une fusée artisanale, a été soumis, le 13 janvier, à une transplantation des deux mains à partir d'un donneur multiorganes anonyme. Cette transplantation a été effectuée dans un service de l'hôpital Edouard-Herriot de Lyon par l'équipe qui avait réalisé, le 23 septembre 1998, la première allogreffe des mains, précisait-on alors auprès de la direction des hospices civils de Lyon. Cette équipe comportait 50 personnes : anesthésistes, infirmières, aides-soignants et 18 chirurgiens en chirurgie de transplantation, en orthopédie et en micro-chirurgie. Le prélèvement des greffons a été effectué dans la nuit du 12 au 13 janvier. L'intervention chez le receveur a commencé à six heures du matin et s'est terminée à vingt-trois heures. Les mains et la partie inférieure des avant-bras du donneur ont été simultanément greffés en suturant les artères, veines, nerfs, tendons, muscles et la peau après fixation des deux os de l'avant-bras.»Cinq ans plus tard, le Pr Dubernard vient, en présence de son patient, de tirer les principales leçons médicales de cette première. Il a tout d'abord rappelé que le donneur multiorganes était ABO compatible avec 5 incompatibilités HLA-DR et cross match T et B négatif. «Sa famille, informée, avait donné l'autorisation de prélever les membres supérieurs, a-t-il tenu à préciser. L'amputation a été faite de chaque côté à 3 cm au-dessus du coude. Une canule introduite dans les artères humérales a permis de perfuser les greffons avec du liquide UW à 4°C. Les greffons placés dans la glace ont été transportés vers la salle d'opération du service de chirurgie de la transplantation de l'Hôpital Edouard Herriot de Lyon. Les moignons du donneur ont été reconstitués soigneusement et des prothèses esthétiques mises en place pour donner au corps du donneur un aspect normal et pour respecter sa dignité.»Il y eut ensuite la préparation des deux moignons effectuée par deux équipes travaillant simultanément. Elle a été faite sous anesthésie générale et bloc axillaire bilatéral pour limiter les douleurs et entraîner une vasodilatation postopératoire, des tourniquets ont été installés pour arrêter la circulation. Une incision cutanée en Z à la partie antérieure et postérieure des moignons a précédé la dissection de toutes les structures anatomiques (nerfs, artères, veines, tendons) et la préparation des faces antérieures des os radius et cubitus.Deux équipes travaillaient d'autre part simultanément à la préparation des greffons : identification et dissection des artères, veines, nerfs, tendons, muscles extenseurs et fléchisseurs en conservant des longueurs suffisantes pour faciliter les sutures ultérieures.La transplantation proprement dite a été faite par deux équipes travaillant, elles aussi, simultanément. Après estimation des longueurs nécessaires, on a procédé à la section des os du receveur et du greffon à un niveau adapté, à des sutures microchirurgicales des artères radiales et cubitales des greffons et des moignons puis aux sutures veineuses. L'ablation des tourniquets a été faite après 9 h 20 min d'ischémie du côté droit et 8 h 40 du côté gauche. On a alors observé une revascularisation immédiate des deux mains dont l'aspect redevenait normal. Il y eut ensuite la suture épipérineurale des nerfs médians et cubitaux, les sutures tendineuses individuelles ou par groupes fonctionnels en fonction des conditions anatomiques puis la fermeture cutanée.La durée totale de l'intervention a été de 17 h. Le protocole d'induction de l'immunosuppression a associé thymoglobulines (ALG), tacrolimus, mycophénolate mofétil et prednisone. Les doses ont été progressivement réduites sauf au moment des épisodes de rejet. Le traitement de maintenance, cinq ans après la transplantation, comporte 2,5 mg/jour de tacrolimus, 1,5 g/jour de MMF et 5 mg/jour de prednisone. Ce protocole, précise le Pr Dubernard est comparable à ceux utilisés chez les receveurs de greffe de rein ou de foie sans complication à cinq ans.La rééducation a été basée sur la physiothérapie, l'électrostimulation et l'ergothérapie. Plus précisément, la physiothérapie passive a commencé 12 h après l'intervention et la mobilisation active des muscles fléchisseurs et extenseurs 15 jours après. A deux mois, électrostimulation et ergothérapie étaient introduites selon le protocole mis au point par les kinésithérapeutes de l'Hopital Edouard Herriot et l'équipe du Centre de rééducation du Val Rosay. Les tests de sensibilité et de motricité ont été réalisés tous les mois la première année, puis tous les six mois.«Aucune complication chirurgicale n'a été observée, résume le Pr Dubernard. Nous avons observé une cicatrisation normale de la peau et des autres éléments de la greffe composite ainsi qu'une consolidation osseuse normale. Au 8e jour, une réaction aux thymoglobulines a conduit à les remplacer par un anticorps monoclonal (anti-CD25). Pendant la même période, un épisode d'hyperglycémie est survenu avec retour à la normale de la glycémie au 35e jour. Il n'y a pas eu d'autre complication métabolique ou infectieuse. Les poils et les ongles poussent normalement. La transpiration est réapparue au 12e mois. Deux épisodes de rejet cutané se sont manifestés au 53e et 82e jour sous la forme d'éléments maculo-papuleux localisés. Les prélèvements pour biopsie ont confirmé le rejet. Le traitement associant une augmentation modérée des doses de prednisone ( de 20 à 40 mg) et l'application de crème aux corticoïdes (clobétasol) a été efficace entraînant la disparition des lésions en 13 et 8 jours.»Nous traiterons la semaine prochaine de ce qu'il en fut de la sensibilité, de la motricité et de la qualité de vie du patient.(A suivre)