L'identification d'une athérosclérose (ATS) chez un patient asymptomatique permet de mieux stratifier son risque cardiovasculaire absolu. Plusieurs marqueurs d'ATS à disposition du praticien reposent souvent sur l'utilisation d'un appareillage complexe et onéreux. Cependant, il en existe d'autres moins spécifiques mais plus simples qui permettent d'identifier une ATS. Parmi ces derniers, l'index de pression systolique (IPS) est à la fois un marqueur de l'ATS et un facteur pronostique important. La vitesse de propagation de l'onde de pouls (VOP), indicateur de la rigidité de la paroi artérielle est elle aussi un excellent marqueur du risque cardiovasculaire lié au remodelage des grandes artères. La VOP est pour l'heure réservée aux études cliniques mais pourrait bientôt faire son apparition au cabinet du praticien.
L'athérosclérose est une maladie de la paroi artérielle qui touche plusieurs territoires et qui progresse ou régresse en fonction de très nombreux éléments. Il s'agit d'un processus dynamique comprenant un remodelage de la paroi artérielle qui demeure très longtemps silencieux avant de se manifester par des complications cardiovasculaires souvent désastreuses. Grâce aux informations recueillies à partir des études de cohorte telle la Framingham Heart Study ainsi qu'à partir de grands essais cliniques, les principaux facteurs de risque cardiovasculaires ont pu être identifiés. Le dépistage et le contrôle des principaux facteurs de risque cardiovasculaire ont permis au cours des dernières décennies d'infléchir l'incidence de ces événements cardiovasculaires. Malheureusement, l'augmentation de l'incidence du diabète de type 2 consécutif aux problèmes d'obésité dans les pays occidentaux 1,2 ainsi que le vieillissement de la population, risquent d'annihiler cette évolution observée récemment.
La tendance actuelle voit l'évaluation du risque cardiovasculaire d'un patient passer à une stratification de son risque en tenant compte de marqueurs plus spécifiques de l'atteinte cardiovasculaire (présence de plaques, rigidité artérielle augmentée, dysfonction endothéliale...). Ceci devrait permettre d'affiner le pronostic et d'améliorer la prise en charge de la maladie cardiovasculaire. Un exemple de ce type d'approche est illustré dans un article récent sur l'évaluation du risque chez des patients hypertendus nouvellement diagnostiqués.3 La prise en compte d'un marqueur d'atteinte d'organe, en l'occurrence un épaississement de la paroi artérielle de la carotide commune dans la stratification du risque individuel, fait basculer un nombre important de patients (25%) dans une catégorie à haut risque d'événements CV, alors que la simple évaluation de ce risque basée sur des valeurs de pression artérielle les plaçait dans une catégorie à risque modéré. Cette modification de l'évaluation du risque CV devra se traduire par une prise en charge thérapeutique appropriée.
L'objet de cet article consiste à décrire deux paramètres assez simples d'usage qui permettent d'identifier la présence d'une athérosclérose à une étape de développement qu'on peut caractériser de précoce parce qu'infraclinique. Certains de ces marqueurs pourraient de plus permettre de suivre les effets des modifications du comportement (tabagisme, sédentarité) ou des traitements pharmacologiques sur la progression de la maladie athéromateuse.
La mesure de l'index de pression systolique correspond au rapport de la pression du membre inférieur/membre supérieur. Les pressions sont mesurées à la cheville pour le membre inférieur et au bras (artère humérale) pour le membre supérieur. Ceci permet d'évaluer de manière simple et peu coûteuse le degré de perfusion des membres inférieurs. La description de la technique remonte à plus d'un demi-siècle et a fait l'objet de nombreux travaux de validation.4,5 Il existe de nombreuses variantes dans la technique de mesure de l'IPS mais, par souci de simplification, nous retiendrons la technique la plus usitée qui est à la base de la majorité des travaux dans le domaine des artériopathies périphériques, particulièrement les plus récents.6 La réalisation de cet examen est simple et ne nécessite aucun matériel sophistiqué. En effet il suffit de disposer d'un brassard à pression et d'un Doppler (par exemple un Doppler de poche). La mesure s'effectue en position couchée après une période de repos d'une dizaine de minutes. Un brassard est appliqué de manière séquentielle sur les quatre membres ; pour les membres supérieurs on pratique de la même manière que pour mesurer la pression artérielle humérale et sur les jambes on place la manchette en dessus des malléoles. A l'aide d'une sonde Doppler de 8-10 MHz on repère les signaux des artères humérales aux membres supérieurs et tibiaux postérieurs et pédieux aux membres inférieurs. En cas d'absence de signal sur les artères tibiales postérieures et pédieuses on tentera de détecter un signal sur l'artère péronière qui sert de collatérale pour l'irrigation du pied.
Le brassard est gonflé jusqu'à 20 mmHg au-dessus du seuil d'audition des signaux Doppler, puis dégonflé à la même vitesse que lors d'une mesure de la pression humérale ; à savoir 2 mmHg par seconde. La valeur retenue correspond à la pression mesurée au moment de la réapparition du signal sonore, ce qui équivaut à la valeur de pression systolique.
Pour la mesure de l'IPS, on retiendra les valeurs de pression systolique maximale de la cheville droite respectivement celle de la cheville gauche. Ces valeurs sont divisées par la valeur de la pression systolique humérale la plus élevée (tableau 1). En effet chez les patients présentant une artériopathie des membres inférieurs, il n'est pas rare de trouver des différences de pression humérale, en général à la défaveur du côté gauche, en raison d'une sténose athéromateuse au départ de l'artère sous-clavière ipsilatérale. Ceci justifie l'utilité de la mesure bilatérale des pressions humérales.
En prenant comme référence une sténose de 50% à l'artériographie, on obtient pour un IPS 7 Cependant une communication récente présentée à la dernière conférence de l'American Heart Association en 2003 a démontré qu'il était possible d'augmenter le seuil de détection de l'athérosclérose chez des sujets qui au repos ne présentaient pas de chute de l'IPS.8 Après un test d'effort, environ un quart des patients a vu chuter son IPS en-dessous du seuil de normalité (fixé à 0,85 dans le cas présent). Ces patients ont présenté une augmentation de mortalité de 40% par rapport aux patients demeurés en-dessus du seuil de détection d'athérosclérose.
Un index de pression 15% est significative du point de vue clinique. Bien que simple, la mesure de cet index nécessite un minimum d'expérience et devrait être pratiquée de manière régulière afin de diminuer au maximum sa variabilité.9
Une valeur d'IPS est obtenue pour chaque membre inférieur, ceci est important pour la quantification du handicap local et sert de valeur de référence pour le suivi de la maladie. Cependant, c'est la valeur d'IPS la plus faible qui sera déterminante pour l'évaluation du risque cardiovasculaire.
On estime qu'il existe un nombre équivalent de sujets symptomatiques ou non avec un IPS abaissé. Cette estimation vient d'être confirmée dans une enquête auprès de médecins généralistes et internistes en Suisse. Ces praticiens, après avoir suivi un séminaire de formation pratique sur la mesure de l'IPS, ont participé à une semaine d'enregistrement de cet index chez des patients consécutifs à risque cardiovasculaire élevé (âge > 55 ans avec un minimum de deux facteurs de risque cardiovasculaire ou présentant un diabète de type 2). La mesure de l'IPS a permis de quantifier la dimension du problème des patients présentant une athérosclérose asymptomatique dans une consultation générale. Quarante deux pour-cent des patients avec IPS 6
Un IPS abaissé indique la présence de lésions athéromateuses dans d'autres localisations que les membres inférieurs. En effet, plusieurs études ont permis d'objectiver la coexistence de lésions athéromateuses des coronaires et/ou cérébrovasculaires chez des sujets présentant un IPS diminué symptomatique ou non. Chez des patients avec artériopathie clinique, on estime à plus de 50% la prévalence d'une maladie coronarienne et 25% la présence d'antécédent d'AVC.10-12 Une augmentation de la prévalence de maladie coronarienne ou cérébrovasculaire est de même objectivée chez les sujets asymptomatiques avec IPS abaissé.13 Après ajustement pour les facteurs de risque cardiovasculaire de même que pour les antécédents cardiovasculaires, l'IPS demeure un facteur de risque CV indépendant. Il est intéressant de noter que la valeur pronostique d'un IPS abaissé semble être équivalente au fait d'avoir des antécédents de maladie cardiovasculaire, comme le suggère l'étude Cardiovascular Health Study (CHS).14 Ceci signifie que l'on est en droit de viser des objectifs thérapeutiques de prévention secondaire pour des patients asymptomatiques avec un abaissement de l'IPS. Dans ce domaine, des études de prévention secondaires font malheureusement défaut pour confirmer cette attitude.
L'excès de décès chez ces patients est lié à la surmortalité cardiovasculaire par infarctus du myocarde et par AVC dans des proportions assez semblables comme l'a démontré entre autre l'étude CAPRIE.15 Il existe en effet une très nette corrélation inversement proportionnelle entre l'IPS et le risque de morbidité/mortalité cardiovasculaire (figure 1) ce qui rend cette mesure très intéressante aux yeux de plusieurs autorités médicales.16-18
Qu'en est-il de la mesure de l'IPS chez les patients avec antécédents d'événements cardiovasculaires ? Il apparaît à première vue peu intéressant de mesurer cet index chez des patients présentant déjà une maladie cardiovasculaire dans un autre territoire. Cependant, sur la base de plusieurs études, il ressort que la présence d'un abaissement de l'IPS est un facteur de fort mauvais pronostic.19,20 Dans ce cas de figure, il convient alors d'adapter la prise en charge thérapeutique de manière la plus agressive possible, en visant des objectifs très stricts.
Une des mesures pouvant facilement concurrencer l'IPS en terme de rapidité et de facilité d'exécution est le calcul de la pression pulsée (pression systolique-pression diastolique). De nombreuses études ont démontré la validité et l'utilité de cette mesure dans l'évaluation du risque cardiovasculaire.21,22 L'augmentation de la pression pulsée résulte d'une augmentation de la rigidité de la paroi artérielle en-dehors d'une insuffisance aortique ou d'une hyperthyréose. Une aorte rigide est caractérisée par une perte des forces élastiques de rappel de la paroi qui se traduit par une baisse des valeurs de pression diastolique et augmentation de la pression systolique. Il est facilement compréhensible qu'une augmentation de la post-charge «fatiguera» le myocarde plus rapidement et entraînera une hypertrophie ventriculaire. De plus, une diminution de la pression diastolique aura un effet délétère sur la perfusion coronarienne en présence de sténoses significatives. Ceci est confirmé par plusieurs travaux qui démontre l'existence d'une bonne corrélation entre la pression pulsée et respectivement la présence ainsi que l'étendue des lésions coronaires indépendamment de l'existence d'une hypertension artérielle.23,24
Cependant, une augmentation de la pression pulsée représente une manifestation tardive des altérations de la paroi des gros vaisseaux, tels que l'aorte et ses branches principales. L'augmentation de la vitesse de propagation de l'onde de pouls (VOP) entre les artères carotide et fémorale ou carotide et radiale est un marqueur bien plus précoce de la rigidité de l'arbre artériel central et est de plus un facteur pronostique de mortalité cardiovasculaire indépendant de l'âge, de la pression artérielle et de l'hypertrophie ventriculaire.25,26 Bien que toujours limité à la recherche et aux grands essais cliniques, ce paramètre facile à mesurer pourrait trouver une place dans la pratique clinique, pour autant que les études en cours confirment le bénéfice additionnel que procure cette mesure dans la stratification du risque cardiovasculaire. Il existe actuellement plusieurs types d'appareils capables de livrer de manière simple et fiable la valeur de VOP. Cette dernière augmente en fonction de l'âge et du niveau de pression artérielle. Une augmentation de VOP, corrigée pour les facteurs précités, est un marqueur de l'augmentation de la rigidité des grands vaisseaux qui signale une altération vasculaire fonctionnelle précédant le développement d'une hypertrophie ventriculaire ou un remodelage athéroscléreux de la paroi elle-même. La VOP est un facteur pronostique d'événements cardiovasculaires indépendant des autres caractéristiques hémodynamiques, comme ceci a été démontré dans une population de sujets âgés (Figure 2).27 Actuellement de nombreux essais cliniques sont en cours visant à déterminer l'influence des traitements antihypertenseurs sur la fonction artérielle indépendamment de la baisse de pression artérielle. On imagine pouvoir retarder le vieillissement artériel au-delà de l'effet presseur.
Existe-t-il une bonne corrélation entre le degré d'augmentation de la VOP et la charge d'athérosclérose ? De manière indirecte la réponse est affirmative puisqu'il existe un grand nombre d'études transversales mettant en évidence une corrélation entre augmentation de la VOP et le risque d'événements cardiovasculaires. Tout récemment un essai clinique a permis de démontrer une très nette corrélation entre l'augmentation de la VOP et le volume de la plaque coronarienne mesuré par ultrasonographie intravasculaire.28 Cependant, par rapport à l'IPS qui permet de mettre en évidence une atteinte de type athéromateuse, il n'est pas certain que toute augmentation de la VOP soit la conséquence d'une athérosclérose. Cette dernière est une maladie multifocale et seule une atteinte très extensive se traduira par une augmentation de la VOP ; par contre une accélération de la VOP, par augmentation de la rigidité pariétale, favorisera en des sites préférentiels le développement de la plaque d'athérosclérose. Un traitement, visant à normaliser ou à réduire la VOP, aura un effet bénéfique sur l'athréosclérose, de même que sur le ventricule gauche.
Le sujet de cet article a été proposé par : le groupe de praticiens du Nord vaudois.