Peut-être est-ce l'une des plus époustouflantes affaires de fraude scientifique dans l'histoire de la biologie. A l'heure où nous écrivons ces lignes, la messe semble tristement dite : Hwang Woo-suk n'est plus professeur à l'université nationale de Corée du sud. Ce vétérinaire de formation qui, au vu de ses récentes publications sur le clonage humain, était, il y a quelques semaines encore, présenté comme une gloire sud-coréenne rayonnante et un prochain prix Nobel de médecine et de physiologie n'apparaît plus que comme un maître-fraudeur. Et avec la découverte de cette fraude reculent les espoirs que l'on pouvait légitimement nourrir quant à l'usage thérapeutique qui pourrait être fait des cellules souches embryonnaires humaines. Dans le même temps, tout laisse aujourd'hui penser que cette spectaculaire affaire aura de multiples conséquences, ne serait-ce que parce qu'elle met au grand jour les graves lacunes du système aujourd'hui en vigueur de vérification du bien-fondé des travaux soumis pour publication à des revues scientifiques de réputation internationale. De ce point de vue, on aimerait être en mesure d'entendre ce qui peut depuis quelque temps s'échanger dans les bureaux capitonnés des responsables de Science et de Nature, pour ne pas parler du New England Journal of Medicine.Il y a peu (Revue Médicale Suisse du 7 décembre 2005), nous formulions quelques interrogations sur la validité des travaux du Pr Hwang. Aucune prescience ici : le Pr Gerald Schatten (Université de Pittsburgh), longtemps proche du héros de Séoul, venait alors de faire savoir qu'après vingt mois d'échanges fructueux, il renonçait à toute forme de collaboration avec son collègue sud-coréen. Il accusait publiquement Hwang Woo-suk de ne pas avoir respecté les règles de l'éthique. Il expliquait, pour faire court, avoir eu connaissance de faits graves concernant notamment les conditions dans lesquelles, durant l'année 2004, le chercheur se serait procuré des ovocytes humains pour la création d'embryons par clonage et l'obtention de lignées de cellules souches. Qu'importe, pensèrent alors bien fort quelques esprits plus proches du positivisme que de l'universalisme des principes éthiques qui doivent régir la recherche sur le vivant en général, l'humain en particulier. Pourquoi ne pas autoriser des collaboratrices proches d'un biologiste sud-coréen à offrir leurs ovocytes sur l'autel de la science et de la médecine ? Pourquoi faire tant de chichis quand tant de choses essentielles sont en jeu ?Sans doute, l'affaire Hwang nous offrira-t-elle l'occasion de revenir sur ces interrogations essentielles. Début décembre, nous pensions aussi que ni le Pr Hwang Woo-suk ni les autorités de Séoul n'échapperaient à l'enquête approfondie qu'ils avaient jusqu'alors toujours refusée. «Une enquête, écrivions-nous, qui pourrait nous éclairer sur le caractère universel ou relatif des règles éthiques touchant au don et au bénévolat, au consentement et conflit d'intérêt, à la "rémunération" et à la "compensation".» Moins d'un mois plus tard, l'enquête a été menée par neuf spécialistes nommés par l'université nationale de Corée du sud. Et Hwang Woo-suk va commencer à payer le prix fort de ses agissements, les cosignataires de ses publications comme les autorités de Séoul semblant pour l'heure épargnés.Les neuf enquêteurs ont dans un premier temps établi que le Pr Hwang avait non seulement manipulé certains clichés photographiques mais aussi truqué des résultats chiffrés dans le but évident de faire croire à ses pairs qu'il avait bien obtenu onze lignées de cellules souches embryonnaires humaines à partir d'embryons créés par clonage. Le chercheur avait pour sa part avoué ne pas avoir informé Science du fait qu'il avait perdu, par contamination, six des onze lignées cellulaires. Un doute, toutefois, demeurait. C'est alors que les enquêteurs sud-coréens ont établi qu'il n'y avait que deux et non pas cinq lignées cellulaires conservées par congélation. «Les conclusions de trois laboratoires montrent que les lignées de cellules nos 2 et 3 qui avaient besoin d'une confirmation par rapport à l'article de mai 2005 ne correspondent pas à des cellules de patients mais sont des cellules d'ovules fécondés provenant de l'hôpital MizMedi, a précisé Roh Jung-hye, la porte-parole de la commission d'enquête. Les tests ADN ont démontré qu'il n'existait pas de cellules souches spécifiques à chaque personne.»Comment comprendre ? Et comment ne pas voir que ces conclusions accablantes annoncent de nouvelles enquêtes sur la somme des travaux du chercheur sud-coréen qui, avec de nombreux collaborateurs, fut à l'origine d'une publication retentissante, début 2004, sur le clonage humain mais aussi de nombreuses publications concernant la création de mammifères par clonage. C'est ainsi qu'en août 2005, il avait annoncé le premier avoir réussi le premier clonage canin : un lévrier afghan baptisé «Snuppy» (pour Séoul National University Puppy). «Il nous faut conduire une enquête approfondie pour déterminer si Snuppy a bien été cloné», a souligné la porte-parole de la commission. Et que se passera-t-il si Snuppy est un lévrier issu d'une relation entre deux lévriers de sexe opposés ? Vêtus de noir à Séoul comme partout ailleurs les procureurs, déjà, s'agitent : Hwang Woo-suk, d'ores et déjà au ban de sa communauté, risque fort d'être, demain, l'objet d'une enquête criminelle pour détournement de fonds publics. La messe, à n'en pas douter sera, un jour, totalement dite. Quand ?(A suivre)