Qui dira toute la subtilité du couple que forment l'interdiction et la dérogation, ce tour de passe-passe auquel les démocraties ne craignent pas d'avoir publiquement recours quand il s'agit de concilier l'inconciliable. Nous évoquions ainsi il y a peu dans ces colonnes, ce délicieux paradoxe français on serait peut-être enclin, en Suisse, à parler d'hypocrisie qui fait que depuis quelques jours les biologistes de l'Hexagone sont autorisés à mener des recherches sur des embryons humains ; recherches qui sont officiellement et solennellement
interdites par la loi française (Revue Médicale Suisse du 15 février 2006).L'affaire n'est pas mince et ne peut manquer de susciter l'intérêt pour peu que l'on estime que l'embryon humain, fût-il encore au stade de blastocyste, ne peut se réduire à un simple amas cellulaire. «Il existe environ 120 000 embryons humains conservés par congélation dans les centres français d'assistance médicale à la procréation, a expliqué au Monde Carine Camby, directrice générale de l'Agence française de la biomédecine. Nous estimons à 40% la proportion de ces embryons qui ne s'inscrivent plus aujourd'hui dans le cadre d'un projet parental. Notre mission sera d'assurer aux autorités, comme à tout citoyen, que les recherches sur l'embryon humain et sur les cellules qui en dérivent seront effectuées avec toutes les garanties d'éthique, de sécurité, de qualité et de transparence requises, dans le strict respect de la loi de bioéthique.»Le propos est ambitieux. Comment sera-t-il mis en uvre ? C'est là que l'on retrouve la totalité des réflexes de la grande machinerie administrative française.Tout dossier de demande d'autorisation pour un protocole de recherche sur l'embryon humain devra être adressé à la directrice générale de l'Agence de la biomédecine avant d'être examiné par des experts scientifiques. Leur rapport sera ensuite transmis au «conseil d'orientation» de l'Agence qui délivrera un avis. C'est alors à la directrice générale de prendre une décision. Cette décision, accompagnée de l'avis du conseil d'orientation, est communiquée aux ministres en charge de la Santé et de la Recherche. «En cas de décision négative, les ministres de la Santé et de la Recherche peuvent éventuellement demander un nouvel examen du protocole par l'Agence, précise-t-on auprès de celle-ci. En cas de décision positive, les ministres peuvent interdire ou suspendre la réalisation de ce protocole lorsque sa pertinence scientifique n'est pas établie ou lorsque le respect des principes éthiques n'est pas assuré.»L'affaire n'est pas close : une fois le protocole autorisé, la personne responsable de la recherche adresse à l'Agence un rapport annuel sur l'avancement des travaux, puis un rapport final au terme de l'autorisation. Si le protocole fait l'objet de modifications en cours de recherche, l'équipe de recherche doit les soumettre à l'Agence de la biomédecine. Elle les examine alors selon le même processus que la demande initiale.On ajoutera que l'Agence française de la biomédecine a également une mission de contrôle et peut diligenter des inspections. Si le cadre de l'autorisation n'est pas respecté ou s'il y a violation de principes législatifs ou réglementaires, la recherche peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois par la directrice générale de l'Agence, qui en informe le «conseil d'orientation».On sait que pour mener à bien une activité de recherche dans ce domaine, il est nécessaire d'avoir accès aux embryons humains dont on dérivera les lignées de cellules souches embryonnaires adéquates et de pouvoir les conserver in situ. Toutes ces activités seront également placées, en France, sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine, qui assure donc à la fois l'encadrement des recherches sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires et des activités subordonnées à ces travaux. L'Agence délivrera également des autorisations d'exportation de ces tissus et cellules. Elle tiendra, enfin, un «registre national des embryons et des cellules embryonnaires humaines».C'est donc en ces termes que la France s'intègre dans le paysage mondial où l'on peut définir trois catégories. La première est celle des pays autorisant les recherches sur des lignées de cellules souches humaines créées à partir d'embryons surnuméraires issus de la fécondation in vitro ou d'embryons obtenus par clonage : les Etats-Unis (dès lors que les fonds ne sont pas d'origine fédérale), la Chine, l'Inde, Israël, Singapour, la Corée du Sud, la Belgique, la Suède et le Royaume-Uni. La deuxième est celle des pays n'autorisant que les recherches sur des lignées de cellules souches humaines créées à partir d'embryons surnuméraires issus de la fécondation in vitro : Australie, Brésil, Canada, France (à titre dérogatoire), Japon, Suisse et Taïwan. La troisième est celle des pays où ces recherches sont limitées : les Etats-Unis (lorsque des fonds fédéraux sont utilisés) et l'Allemagne, qui n'autorise, à titre dérogatoire, que les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines importées.Combien de temps faudra-t-il avant que les pays du deuxième groupe rejoignent ceux du premier ?(Fin)