L'intestin court est défini par une résection intestinale étendue laissant au maximum 100 cm d'intestin grêle sain au-delà de l'angle de Treitz avec ou sans préservation du côlon. La prise en charge nutritionnelle doit se faire le plus rapidement possible afin de favoriser au mieux l'adaptation de l'intestin restant et d'éviter ainsi une insuffisance intestinale. Un support nutritionnel lourd de type entéral ou parentéral est parfois indispensable au long cours. La nutrition entérale à domicile est relativement aisée. A l'inverse, la nutrition parentérale à domicile est complexe et nécessite la création d'un solide réseau de soins.
Cet article est destiné aux praticiens non nutritionnistes confrontés directement aux problèmes liés à l'intestin court à l'hôpital (phase à court et moyen terme) et au domicile (phase à moyen et long terme).
L'intestin court est défini par une résection intestinale étendue laissant au maximum 100 cm d'intestin grêle sain au-delà de l'angle de Treitz avec ou sans préservation du côlon. Une telle résection peut conduire à une insuffisance intestinale par diminution de la masse intestinale fonctionnelle au-dessous de la masse minimale permettant d'assurer une digestion et une absorption suffisantes. Le maintien per os d'un bon état d'hydratation et de nutrition devient alors difficile, voire impossible.
Le syndrome de l'intestin court est l'ensemble des symptômes et signes liés à une maldigestion et à une malabsorption de l'eau, des électrolytes et des nutriments, tels que les protéines, lipides, hydrates de carbone, électrolytes, vitamines et oligoéléments. Il s'agit dans les faits d'un tableau clinique de déshydratation ou de dénutrition ou des deux à la fois.
En clinique, en fonction des moyens devant être mis en uvre pour assurer à long terme (au-delà de six mois postrésection) un bon état d'hydratation et de nutrition, il est possible de distinguer trois formes :1
* Légère : une alimentation orale adaptée, supplémentée au besoin par des compléments nutritifs liquides et éventuellement par une solution adaptée d'eau et d'électrolytes (solution de réhydratation), est suffisante.
* Moyenne : la voie orale n'est pas suffisante dans une telle forme. Il est nécessaire de recourir à une assistance nutritionnelle sous la forme d'une nutrition entérale (NE) par sonde.
* Sévère : la voie digestive n'est plus suffisante pour assurer la survie. Une nutrition parentérale (NP) seule ou en complément d'une NE est indispensable.
La classification ci-dessus ne devrait être faite que six mois après la résection. Un patient avec une forme moyenne, par exemple, nécessite presque toujours une NP en phase postopératoire immédiate. Si un patient a toujours besoin d'une NE ou d'une NP après six mois, un sevrage de la NE ou de la NP sera à coup sûr difficile, voire impossible. Ne jamais oublier que les pronostics faits dans les jours qui suivent la résection sont toujours faux, sauf rares exceptions !
Les causes d'une résection étendue de l'intestin grêle sont multiples (tableau 1).
Ici ne sont rappelées que les notions qui sont indispensables à la prise en charge nutritionnelle d'un patient adulte avec intestin court.
L'intestin restant va s'adapter principalement par une hyperplasie des cellules villositaires et une augmentation de la profondeur des cryptes, qui sont le siège d'une intense régénération entérocytaire.2 Il y a aussi, dans une moindre mesure, une adaptation par l'augmentation des capacités d'absorption des entérocytes eux-mêmes. Avec le temps, il y a de plus une adaptation par augmentation du diamètre et par élongation de l'intestin grêle restant. Cette adaptation intestinale débute dès les premiers jours suivant la résection. Elle est fortement stimulée par les nutriments ingérés par la bouche ou apportés par voie entérale. Ce phénomène est lié à la sécrétion de diverses hormones intestinales et du jus bilio-pancréatique. En conséquence, il est essentiel de donner dans les tous premiers jours postopératoires des nutriments par voie digestive, en visant un apport protéino-calorique minimum de l'ordre de 15 à 20% des besoins estimés. Les possibilités d'adaptation s'amenuisent avec le temps et sont quasi nulles après deux ans.
Une autre forme d'adaptation, non intestinale, est l'hyperphagie compensatrice. Pour compenser les pertes liées au syndrome de malabsorption, le patient augmente en conséquence ses ingesta.
Connaître le site et l'étendue de la résection permet d'anticiper les déficits nutritionnels et hydro-électrolytiques. Le jéjunum joue un rôle essentiel dans la digestion et l'absorption des nutriments. Sa vitesse de transit est rapide et ses capacités d'adaptation sont faibles. L'iléon a un rôle essentiel dans l'absorption de l'eau et des électrolytes. Sa vitesse de transit est lente (frein iléal) et ses capacités d'adaptation sont bonnes. L'iléon distal est de plus le site d'absorption des sels biliaires et de la vitamine B12. La valve iléo-cæcale permet le ralentissement du transit en renforçant le frein iléal d'une part, et protège l'intestin de la pullulation bactérienne à rétro du côlon d'autre part.
Le côlon a un rôle important dans l'absorption de l'eau (cinq litres/jour) et des électrolytes. En cas d'intestin court, pour autant qu'il ait pu être préservé, le côlon joue un rôle vital non seulement dans l'absorption de l'eau et des électrolytes, mais aussi dans la balance énergétique. En effet, il permet une récupération énergétique des sucres complexes non digérés dans le grêle restant en les métabolisant en acides gras à chaîne courte.3
Les facteurs de pronostic peuvent aisément être tirés des notions essentielles ci-dessus. Une résection jéjunale avec préservation de l'iléon terminal (minimum 60 cm), de la valve iléo-cæcale et du côlon est de bon pronostic, pour autant que l'intestin grêle restant soit sain. A l'inverse, une résection de l'iléon, de la valve iléo-cæcale et du côlon est de mauvais pronostic.4
Avant toute prise en charge, les données suivantes devraient absolument être connues :
1. la maladie de base et la raison pour laquelle la résection intestinale a eu lieu (tableau 1) ;
2. la date de l'opération ;
3. avoir le protocole opératoire et au besoin se renseigner auprès de l'opérateur pour connaître la portion intestinale restante (il est beaucoup plus important de savoir ce qui reste que de savoir ce qui a été réséqué). Quelle longueur en cm (mesurée ou estimée) et quelles portions de l'intestin grêle (jéjunum, iléon) ont pu être conservées ? Quel est l'état macroscopique peropératoire de l'intestin grêle restant ? Il est important de réaliser à ce stade que l'intestin grêle restant peut ne pas être sain (maladie de Crohn, entérite radique). La valve iléo-cæcale est-elle présente ? Que reste-t-il du côlon ? Dans quel état est le côlon restant ? Combien d'anastomoses et où ? Combien d'entérostomies et quels types ?
4. les problèmes et les complications rencontrées (sepsis, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, diabète) en période postopératoire immédiate ;
5. connaître le poids de forme, le poids avant l'opération et le poids actuel ;
6. savoir quel apport nutritionnel (quoi ? combien ? comment ?) a été fait depuis le premier jour postopératoire.
Il est important de relever ici que le grêle restant est souvent plus long que ce qui a été mesuré en salle d'opération.
La prise en charge nutritionnelle est différente en fonction du temps écoulé par rapport à la résection. Les problèmes et les complications rencontrés à court, à moyen et à long terme ne sont pas les mêmes.
Dans cette première phase, le risque majeur est la déshydratation avec les troubles hydro-électrolytiques associés usuels. Dans la plupart des cas, la déshydratation est due à une mauvaise estimation des pertes et par conséquent à une compensation insuffisante. L'approche clinique du patient doit donc être centrée sur la déshydratation.
Si le patient est bien orienté, le meilleur symptôme de déshydratation est la soif et, par conséquent, il ne faut jamais oublier de lui demander s'il a soif ou non. Il peut aussi vous renseigner s'il urine suffisamment et si son urine est claire ou foncée. Rechercher des symptômes (crampes musculaires, paresthésies) en relation avec des troubles électrolytiques.
Les mesures de la fréquence cardiaque et de la TA doivent être à disposition au moment de l'examen clinique. Une baisse de la tension artérielle et une augmentation de la fréquence cardiaque sont observées lors de déplétion volémique.
Une température élevée n'est pas un bon signe de déshydratation. Cette information est cependant utile, car les besoins en eau sont augmentés en cas de fièvre (+ 10% par degré de fièvre).
Les signes cliniques clés de la déshydratation doivent être recherchés. Ce sont le signe du pli cutané (à faire sur le thorax), la sécheresse des muqueuses buccales (langue rôtie) et les troubles de l'état de conscience (désorientation, coma).
1. Poids
Le meilleur signe paraclinique de déshydratation est la perte de poids. Dans la mesure du possible, le patient devrait être pesé chaque jour dans les mêmes conditions. Etre très prudent dans l'interprétation des variations de poids si le patient a des dèmes ou de l'ascite.
2. Bilan liquidien
Dans cette phase, il est très important de demander un bilan journalier des entrées (boissons, perfusions) et des sorties (liquide d'aspiration gastrique, urines, selles, pertes dans les poches de stomie). S'assurer qu'il est équilibré, tout en comptant 400 à 500 ml/m2 pour les pertes insensibles.
3. Laboratoire
Les examens de laboratoire sont ceux classiquement faits dans une déshydratation, soit dans le sang : hématocrite, Na, K, Cl, Ca, Mg, phosphate, urée, créatinine, osmolarité plasmatique, bicarbonates. Il peut aussi être utile de mesurer les gaz sanguins à la recherche d'une acidose métabolique due à la perte de bicarbonate par les selles ou par les liquides de stomie.
1. Apports intraveineux
Pour éviter une déshydratation, il est nécessaire d'apporter au patient ses besoins usuels en eau et en électrolytes et en plus de compenser les pertes. Il est important de connaître le type de pertes dans les différents liquides. En pratique clinique, dans un premier temps, il est usuel de remplacer les pertes gastriques (aspiration), les pertes intestinales (liquides dans les poches de stomie et selles) par du NaCl isotonique 0,9% (155 meq/l de Na) ou mieux par du Ringer lactate par voie i.v. A ce stade, ne pas oublier d'ajouter du K dans les perfusions dès que le patient urine. Dans un deuxième temps le liquide de remplacement sera adapté en fonction des résultats de laboratoire. Il faut se méfier en particulier d'une hyponatrémie et d'une acidose métabolique (perte de bicarbonate) si les pertes par les stomies sont importantes et aussi d'une alcalose métabolique hypochlorémique si les pertes par aspiration gastrique sont abondantes (perte d'HCl).
En cas de déshydratation avérée, le degré de déshydratation (5 ou 10%) doit être estimé sur la base de la perte de poids ou, si cette information n'est pas disponible, sur la base de l'examen clinique. Il existe de nombreux schémas de réhydratation par voie intraveineuse tous plus subtils les uns que les autres. Cependant, en pratique quotidienne, le meilleur liquide de réhydratation est le Ringer lactate si le patient urine ou alors le NaCl isotonique à 0,9%. A relever qu'un apport de Na relativement élevé par le Ringer lactate ou le NaCl isotonique est aussi bien indiqué dans une déshydratation hyper- qu'hyponatrémique. Dès que le patient urine, ajouter du K dans les perfusions.5
Dans cette première phase, il ne faut pas hésiter à commencer un soutien nutritionnel par voie entérale (NE, nutrition entérale) ou par voie parentérale (NP, nutrition parentérale). Ceci sera abordé en détail plus loin.
2. Apports per os
Très vite, au plus tard à la fin de la première semaine postopératoire, il faut réfléchir aux diverses possibilités de prévention et de traitement de la déshydratation par voie orale. Ceci implique que l'aspiration gastrique a pu être arrêtée et qu'il n'y a pas de complications interdisant l'emploi de la voie digestive.
Les pertes digestives (liquides des poches de stomie + selles) sont alors compensées par une solution adaptée d'eau et d'électrolytes, appelée communément solution de réhydratation. Ces solutions contiennent un sucre (indispensable pour activer le transport actif du Na et ainsi faire pénétrer de l'eau dans l'organisme), du Na, du K, du bicarbonate ou du citrate. Les solutions employées en Suisse sont le GES 45®, le Normolytoral® ou l'Elotrans®. Il est conseillé de les servir froides et de les consommer lentement. Quelques gouttes de citron peuvent être ajoutées pour diminuer le goût salé et augmenter ainsi la tolérance. La quantité à consommer par jour est égale plus ou moins au volume estimé des pertes. Le rapport urinaire Na sur K supérieur à deux est un bon paramètre d'hydratation adéquate, parlant contre un hyper-aldostéronisme secondaire. Cet examen est plus sensible que le dosage du Na et K sanguin.
Le patient qui se déshydrate a par définition soif. Il aura alors tendance à consommer spontanément de l'eau ou des boissons sucrées (sodas). Ces liquides très pauvres en sodium ne feront qu'augmenter les pertes digestives par lavage intestinal. C'est ainsi que s'installe un cercle vicieux par lequel le patient boit et se déshydrate de plus en plus. C'est au médecin d'avertir son patient de ce risque et au besoin d'arrêter ce cercle vicieux !
Dès que les apports per os d'eau et d'électrolytes ont pu être débutés, il faut alors commencer les apports per os d'aliments. Ceci sera abordé en détail plus loin.
Si le risque de déshydratation prédomine dans cette première phase, il ne faut pas négliger celui d'une surhydratation par compensation excessive des pertes. Les symptômes et signes d'une telle complication sont ceux d'une surcharge volémique. Le signe le plus fin est une augmentation de la fréquence respiratoire, puis l'apparition de râles bulleux à l'auscultation des bases pulmonaires. Une prise de poids excessive (de quelques kilos en quelques jours) est aussi un très bon signal d'alerte.
Dans cette seconde phase, il est bien évident que les risques de déshydratation ou de surhydratation sont toujours bien présents, du moins dans les premières semaines. Ils devraient toujours être gardés à l'esprit. Cependant, les deux grands problèmes qui prédominent dans cette phase sont la diarrhée chronique et la dénutrition. L'approche clinique du patient devrait donc être centrée sur eux.
1. Diarrhée chronique
Une anamnèse de selles volumineuses, grasses, huileuses et nauséabondes évoque un syndrome de malabsorption.6,7 Il peut être dû à plusieurs causes, tels qu'une insuffisance intestinale (intestin court), un transit trop rapide, une insuffisance pancréatique fonctionnelle (les sécrétions pancréatiques arrivent trop tard dans l'intestin grêle, alors que le bol alimentaire a déjà passé).
Une anamnèse de selles liquides avec irritation de l'anus évoque une diarrhée cholerrhéique due à une colite biliaire (par malabsorption des acides biliaires). Des selles liquides abondantes peuvent aussi être dues à une pullulation bactérienne dans l'intestin grêle restant ou à une hypersécrétion gastrique, complication classique de l'intestin court (tableau 2).
Il est important de mesurer les pertes par les selles et dans les poches de stomie. Si le patient est à domicile, lui demander de les estimer.
2. Dénutrition
L'anamnèse est centrée sur les effets de la dénutrition elle-même d'une part, et les apports alimentaires d'autre part.8
La dénutrition entraîne une perte de poids, une fatigue excessive, une perte de force musculaire et par conséquent une perte des capacités fonctionnelles, un état dépressif. Des questions appropriées doivent être posées à la recherche de ces effets négatifs.
Dès que possible, le patient est autorisé à manger par la bouche. Par mesure de sécurité, il est classique de commencer par une diète constipante pauvre en lactose et en fibres. Une telle diète devrait être élargie rapidement selon la tolérance. L'anamnèse alimentaire est dirigée sur l'appétit, le nombre de repas, la quantité (par une question aussi simple que : «mangez-vous 1/3, 2/3 ou 3/3 de votre ration habituelle ?») et le type d'aliments consommés (s'assurer que le patient a une alimentation variée et équilibrée avec viande, volaille, poissons, produits laitiers, céréales, ufs, fruits, légumes). Vérifier si le patient a ou non une diète restrictive prescrite par un médecin ou qu'il s'est imposée de lui-même et pour quelle raison. Un bilan des apports est effectué par une enquête prospective de trois jours (deux jours de semaine et un jour de week-end) au moyen d'un carnet alimentaire en notant la date, l'heure, la quantité et le type d'aliments solides et liquides consommés. Une technique plus simple, mais nettement moins précise, est le rappel de 24 heures. Il consiste à demander au patient tout ce qu'il a consommé dans les 24 heures précédentes.
Il est bien évident qu'il faut aussi relever les apports caloriques et nutritionnels que le patient reçoit éventuellement au travers d'une NE ou d'une NP.
En milieu hospitalier, le poids est relevé chaque jour dans des conditions identiques (idéalement le matin au réveil, en sous-vêtements, vessie vide, à jeun et sur la même balance). Si le patient est à domicile, il vaut la peine d'essayer d'avoir un poids hebdomadaire. Une perte de poids entre 10 et 20% par rapport au poids de forme (le poids lorsque le patient était en bonne santé ou le poids six mois avant la résection intestinale) correspond à une dénutrition modérée et une perte de poids supérieure à 20% à une dénutrition sévère.
L'examen clinique doit être ciblé sur les signes de la dénutrition liée à un apport protéino-calorique insuffisant. Pour ce faire, il suffit de regarder et d'estimer par palpation la masse musculaire au niveau du quadriceps et la masse grasse au niveau du triceps et du thorax. En pratique, il n'est pas nécessaire de rechercher des signes cliniques de déficit en fer, zinc, acides gras essentiels et vitamines (à laisser à des nutritionnistes bien entraînés !). De tels déficits sont toujours présents de manière infraclinique en présence d'une malnutrition protéino-calorique et seront traités de routine (voir ci-dessous).
Dans la grande majorité des cas de dénutrition présente chez les malades avec résection intestinale, le type de malnutrition protéino-calorique observé est un marasme. Il se caractérise par une fonte de la masse musculaire et de la masse grasse. A la palpation et à la percussion, le foie est de petite taille en raison de la fonte de la masse grasse viscérale. Les cas de kwashiorkor sont rares. Ils se caractérisent principalement par la présence d'dèmes et la fonte de la masse musculaire. Cette dernière est cependant difficile à observer en raison des dèmes et aussi parce que la masse grasse est plus ou moins conservée. Le foie est de taille normale, voire augmentée à la palpation et à la percussion.
La recherche d'dème au niveau des membres inférieurs et du sacrum est à faire systématiquement, non pas tellement pour éliminer un kwashiorkor, mais pour s'assurer, dans le cadre d'une renutrition, qu'une augmentation du poids est bien une «bonne» prise de poids et non pas une simple prise d'eau. Des variations de poids de plus de 300 g par jour en phase de renutrition indiquent des mouvements d'eau et doit faire suspecter dans le diagnostic différentiel un syndrome de renutrition inappropriée.9
1. Mesure de la composition corporelle et calorimétrie
Il peut être utile, dans le cadre d'une renutrition, d'évaluer la composition corporelle, plus précisément la masse grasse et la masse maigre. La masse grasse peut être estimée par la mesure du pli cutané tricipital (PCT) au moyen d'un caliper. La masse maigre peut être estimée par la mesure de la circonférence musculaire du bras (calculée au moyen d'une formule basée sur la mesure de la circonférence du bras et du PCT). Au besoin, ces mesures anthropométriques peuvent être complétées par des mesures de bioimpédancemétrie (mesure de la résistance d'un courant électrique traversant le corps) ou d'absorptiométrie biphotonique (DEXA, dual X-ray absorptiometry).
Dans des cas complexes, il est parfois nécessaire d'avoir une mesure des dépenses caloriques par calorimétrie indirecte.
2. Laboratoire
Les marqueurs biologiques nutritionnels usuels sont l'albumine et la préalbumine sériques. L'albuminémie, qui a une demi-vie de 21 jours, est un bon marqueur de dénutrition lorsqu'elle est abaissée, en dehors d'un état inflammatoire, d'une perte digestive ou rénale et d'une insuffisance hépatique. La préalbumine, qui a une demi-vie de deux jours, est un marqueur rapide d'anabolisme lorsqu'elle augmente.
Le dosage sérique de vitamines liposolubles ou hydrosolubles est très rarement justifié en pratique, car face à une dénutrition modérée ou sévère une substitution polyvitaminique de routine est justifiée.
En ce qui concerne la diarrhée chronique, il peut être utile de mesurer les électrolytes sériques et les gaz sanguins (voir ci-dessus). Un dosage des graisses dans une récolte de selles de trois jours est un excellent examen paraclinique pour la mise en évidence d'un syndrome de malabsorption des graisses.
Toute renutrition est difficile en présence d'un syndrome inflammatoire sévère. Raison pour laquelle un suivi de la vitesse de sédimentation et de la protéine C-réactive (CRP) est souvent demandé.
1. Diarrhée chronique
Plusieurs ralentisseurs du transit intestinal sont à disposition.6,10 Le lopéramide (Imodium®) est souvent employé. Il est prescrit en doses croissantes sur plusieurs jours jusqu'à l'obtention d'une diminution du nombre de selles pour un dosage maximal de l'ordre de 20 mg par jour. En cas de flatulences et de ballonnements, on utilise de préférence l'Imodium plus® contenant de la siméthicone. La codéine (Knoll codéine®), opiacé avec un effet constipant marqué, est prescrit à des doses de 25 à 50 mg 3 x par jour. Elle est efficace dans les résections iléo-coliques. L'octréotide (Sandostatine®) est réservée aux jéjunostomies à haut débit entraînant des déséquilibres hydro-électrolytiques sévères. Son dosage est de l'ordre de 3 x 100 mg par jour en injections sous-cutanées.11
En cas de diarrhée chronique due à une colite biliaire (voir ci-dessus), la prescription de 4 à 16 g par jour de cholestyramine (Ipocol® ou Quantalan®) per os est indiquée. Si la diarrhée chronique est due à une hypersécrétion gastrique, la prescription d'oméprazole (Antra®) ou d'ésoméprazole (Nexium®), 20 à 40 mg 1 à 3 x par jour per os ou i.v., est justifiée. En cas de pullulation bactérienne, une cure de métronidazole (Flagyl®) 2 x 500 mg par jour ou de ciprofloxacine (Ciproxine®) 2 x 500 mg par jour est préconisée pour une durée de sept jours et répétée au besoin toutes les deux ou trois semaines. Si une insuffisance pancréatique fonctionnelle est suspectée, un traitement de substitution par des enzymes pancréatiques de type Créon forte® aux doses d'une à trois gélules par repas peut être essayé. Si le patient a des selles très liquides avec la présence de souillures, la prescription de fibres hydrosolubles (Metamucil® ou Metamucil N Miet®, Laxiplant Soft®, Colosan mite®) permet d'améliorer la consistance des selles et ainsi la continence (tableau 3).
En présence d'une stéatorrhée sévère, la prescription d'au moins 1000 mg par jour de calcium per os est indiquée pour favoriser la chélation des oxalates au niveau colique et éviter ainsi la formation d'oxalates de sodium dans le but de prévenir une lithiase urinaire.2
2. Dénutrition
Un patient avec intestin court devrait être nourri dès que possible par la bouche (voir ci-dessus). La prescription de compléments nutritifs liquides est à considérer.
Si les apports per os sont insuffisants en raison d'une diarrhée chronique avec syndrome de malabsorption ou si le patient est sévèrement dénutri, une assistance nutritionnelle doit être mise en place.12 Il faut alors privilégier autant que possible la nutrition entérale par sonde et à la pompe, afin de favoriser au mieux l'adaptation intestinale. Les apports à atteindre sont de l'ordre de 25-35 kcal/kg/j pour les calories, de 1 à 1,5 g/kg/j pour les protéines et de 1 à 1,5 g/kg/j pour les lipides. Un produit liquide polymérique avec ou sans fibres sera choisi en première intention. L'emploi d'un liquide nutritif prédigéré, contenant des triglycérides à chaînes moyennes (MCT, medium chain triglycerides) ou de la glutamine13 ou tout autre nutriment spécifique devra être discuté avec un nutritionniste expérimenté. La prescription d'un complément polyvitaminé sans ou avec oligoéléments (Protovit® 2 x 12 gouttes ou Supradyn® 2 x 1 cap./j) est à prescrire de routine.
Si une nutrition entérale par sonde est impossible ou a échoué, une alimentation parentérale est à mettre en place. Elle doit toujours être trinaire, c'est-à-dire contenant les trois nutriments essentiels (glucose, acides aminés, acides gras), ainsi que des électrolytes (Na, K, Cl, Ca, Mg et phosphate), des vitamines lipo- et hydrosolubles (Cernévit®) et des oligoéléments (Addamel®). Le risque qu'elle soit de longue durée (> 3 semaines) est élevé et des complications infectieuses et métaboliques sont à craindre. Pour cette raison, l'aide d'un nutritionniste expérimenté est à rechercher.14
Si le patient est dépendant d'une assistance nutritionnelle lourde, du type nutrition entérale ou parentérale, il est important de considérer la possibilité de traitement à domicile. Ceci est fort complexe, du moins pour la nutrition parentérale, non seulement sur le plan technique et nutritionnel, mais aussi sur le plan psychologique, familial, social et économique. Seule une équipe multidisciplinaire entraînée à la prise en charge de ce type de patient peut réussir un tel challenge.
Dans cette phase, l'objectif principal est le sevrage de l'assistance nutritionnelle lourde (NE et NP) et le retour à une alimentation orale exclusive. Cet objectif n'est malheureusement pas toujours atteignable et dans certaines situations de résection intestinale majeure, le recours à une NE ou une NP au long cours à domicile peut s'avérer indispensable.
Un suivi précis de la prise alimentaire per os, tant sur le plan quantitatif (hyperphagie de compensation) que sur le plan qualitatif (tolérance digestive de la réintroduction progressive des aliments) est important. Un rappel de 24 heures ou une enquête nutritionnelle prospective de 72 heures (voir plus haut) est faite à la demande. Tant que tous les besoins en nutriments, y compris l'eau et les électrolytes, nécessaires à un maintien de l'état d'hydratation et du poids ou à une reprise pondérale chez les sujets dénutris ne sont pas couverts, la NE ou la NP doivent être poursuivies.
Dans cette phase, le risque de déshydratation est plutôt faible. Par mesure de sécurité, les signes cliniques clés de la déshydratation (voir plus haut) sont malgré tout à rechercher lors des consultations. Quant aux signes classiques de dénutrition (voir plus haut), ils ne doivent pas apparaître ou, s'ils étaient présents, ils devraient progressivement s'estomper.
1. Poids et composition corporelle
Un suivi régulier, hebdomadaire, du poids est essentiel. De plus, il peut être utile de faire occasionnellement une mesure de la composition corporelle (voir plus haut) pour s'assurer que la prise de poids ne se fait pas essentiellement sous forme de masse grasse.
2. Laboratoire
Il peut être judicieux, selon l'évolution, de mesurer occasionnellement les marqueurs biologiques nutritionnels usuels (voir plus haut). Le dosage de la citrulline plasmatique est un bon marqueur de la masse entérocytaire résiduelle.15,16 Une citrullinémie inférieure à 20 micromoles/l deux ans postrésection intestinale signifie que l'intestin restant est très probablement insuffisant et que le patient va être dépendant à très long terme d'une NP.16
Dès six mois ou plus de dépendance à une NE ou NP, le sevrage et donc le retour à une alimentation orale exclusive deviennent peu probables. Néanmoins, il faut garder à l'esprit que l'adaptation intestinale peut dans certains cas prendre jusqu'à deux ans postrésection.
Si l'alimentation orale exclusive ne permet pas de prévenir une déshydratation et une dénutrition ou d'assurer une réhabilitation nutritionnelle, alors une NE ou NP au long cours à domicile sont à considérer.
1. La nutrition entérale
Une NE par sonde naso-gastrique n'est pas tolérable à long terme. La pose d'une gastrostomie endoscopique percutanée (GPE) ou radiologique (GPR) est à considérer. Dans un deuxième temps, la pose d'un bouton d'alimentation est à envisager. Dans certains cas, c'est une jéjunostomie d'alimentation qui sera posée.
2. La nutrition parentérale
La mise en place d'une nutrition parentérale à domicile est complexe.17 Elle demande la création d'un réseau de soins très serré autour du patient. Ce réseau est à placer sous la responsabilité directe d'une équipe entraînée de nutrition clinique. L'enseignement, les procédures et le suivi de la NP doivent être uniformes à tous les partenaires de la santé impliqués dans les soins du patient, afin de diminuer au maximum les risques de complications infectieuses, métaboliques et mécaniques.
La NP est délivrée au patient via une voie veineuse centrale ou via une aiguille coudée avec un raccord intégré piqué dans une chambre implantable sous-cutanée. La NP au long cours est toujours de type trinaire, c'est-à-dire contenant les trois nutriments essentiels (glucose, acides aminés, acides gras) avec en plus des électrolytes (Na, K, Cl, Ca, Mg et phosphate), des vitamines (Cernévit®) et des oligoéléments (Addamel®). Afin de diminuer au maximum le nombre de manipulations, les poches de NP devraient contenir un mélange prêt à l'emploi de tous les nutriments. Les apports recommandés sont de 0,8 à 1 g/ kg/j pour les acides aminés et de 1 g/kg/j pour les lipides (limite de tolérance hépatique au long cours). Le complément calorique est apporté sous forme de glucose (ne pas dépasser 4 mg/kg/min). Le temps d'écoulement se fait idéalement sur douze heures (NP dite cyclique). Ceci permet une meilleure autonomie des patients et une alternance physiologique état de jeûne état postprandial. Les inconvénients sont une expansion volémique plus rapide et un risque d'hyperglycémie pendant la perfusion et d'hypoglycémie à l'arrêt de la perfusion.
Les complications majeures de la NP au long cours sont un risque infectieux élevé, une cholestase intrahépatique, une ostéoporose et une insuffisance rénale.18
Le risque infectieux est une complication fréquente de la nutrition parentérale. La voie veineuse centrale doit être dédiée exclusivement à la nutrition parentérale («ligne de vie»). Toute manipulation expose le patient à une infection bactérienne ou mycotique. Le taux d'infections est compris entre 0,3 et 1,3 pour 1000 jours de nutrition parentérale à domicile.14 Les cathéters centraux tunnélisés de type Broviac® ou Groshong® avec leurs valves antireflux semblent diminuer le risque d'infection par rapport aux cathéters conventionnels. Le risque infectieux d'une chambre implantable est plus élevé que celui d'un cathéter externe.14
La cholestase intrahépatique chronique est définie par une augmentation de 1,5 fois et plus de la valeur de la gamma GT, de la phosphatase alcaline et de la bilirubine durant plus six mois. Les facteurs de risques sont le repos du tube digestif, l'intestin court, l'interruption du cycle entéro-hépatique des sels biliaires, la stase intestinale, la pullulation bactérienne intraluminale avec translocation, les infections systémiques et les nutriments eux-mêmes. Le maintien d'une alimentation orale ou entérale partielle permet de diminuer la prévalence de cette complication. L'évolution peut se faire vers une insuffisance hépato-cellulaire dans des proportions de plus de 50% à cinq ans selon une étude française18 et conduire à une transplantation hépatique.
L'ostéoporose est également une complication de la NP au long cours.19 Une intoxication à l'aluminium, un surdosage de la vitamine D et une hypercalciurie liée aux nutriments donnés par voie intraveineuse sont suspectés. Une évaluation de la minéralisation osseuse par densitométrie osseuse est à prévoir une fois par an et au besoin un traitement aux biphosphonates devrait être instauré.
L'insuffisance rénale est en fait plus une complication de l'intestin court que de la nutrition parentérale au long cours. Le mécanisme est lié à la malabsorption des graisses dans le côlon qui se lient ainsi préférentiellement au calcium, permettant à l'oxalate de sodium de se solubiliser, d'être absorbé par l'intestin puis filtré par les reins, avec risque de précipitation au contact du calcium et formation de calculs rénaux.20 Le traitement repose sur une substitution calcique, un chélateur biliaire et un régime pauvre en oxalate.
L'intestin court est une situation médico-chirurgicale plutôt rare, mais qui nécessite une prise en charge stricte. Une NE précoce dans les premiers jours permet de stimuler au maximum l'adaptation intestinale. Les complications en début de prise en charge sont la déshydratation, la diarrhée et la dénutrition. Il convient de les anticiper dans la mesure du possible. Si une nutrition parentérale s'impose au long cours, la constitution d'un réseau de santé est primordiale pour le suivi du patient et pour éviter autant que possible les complications infectieuses, hépatiques, osseuses et rénales.