Achevons ici l'analyse des questions éthiques essentielles soulevées par l'avancée des techniques dans le champ de la réanimation néonatale telle qu'elle est exposée dans un rapport1 voté, fin mai, à l'unanimité par les membres de l'Académie nationale française de médecine (Revue Médicale Suisse du 12 juillet). Face à l'extrême prématurité et à la somme de ses possibles conséquences, les questions éthiques se structurent notamment autour d'un questionnement technique : existe-t-il on non des arguments cliniques ou biologiques qui permettent de pronostiquer ces conséquences, voire de prédire leur évolution dans le temps ?«L'imagerie cérébrale (ETF ou IRM cérébrale) sur laquelle on fondait de grands espoirs reste décevante, écrivent les auteurs du rapport. Dans une cohorte récente, des enfants de moins de 27 semaines présentant des séquelles alors que l'échographie transfontanellaire était normale. A l'inverse, des enfants présentant des hémorragies intraventriculaires de stades avancés (III et IV) étaient totalement indemnes de séquelles lors du suivi à terme.» Ils ajoutent que certains spécialistes estiment aujourd'hui que les lésions de la substance blanche cérébrale peuvent être beaucoup plus fréquentes qu'on ne le pensait, non pas des lésions importantes de leucomalacie périventriculaire mais des microlésions, parfois cellulaires, perturbant l'organogenèse cérébrale. Ceci pourrait expliquer la fréquence des anomalies de la substance blanche observée à l'IRM durant l'enfance. Les techniques modernes comme l'IRM de diffusion mettent d'autre part en évidence des lésions de la substance blanche jusqu'alors inconnues et dont on ne mesure pas l'exacte signification.A ce constat, il importe d'ajouter que l'on observe en France une grande hétérogénéité des comportements des équipes spécialisées en réanimation néonatale. Ni l'âge gestationnel ni le degré de retard de croissance intra-utérin ne sont des critères absolus. «Il est difficile de trancher entre prendre en charge activement à tout prix (même en dehors de la motivation discutable d'améliorer les performances du service d'obstétrique et de néonatologie en termes de survie) ou se contenter de soins palliatifs laissant quelques chances aux plus robustes, peut-on lire dans le rapport de l'Académie nationale française de médecine. En revanche, on ne doit pas démissionner, au prétexte de troubles moteurs, sensoriels ou cognitifs qui peuvent survenir, pour abandonner ces enfants.» Comment mieux dire les dilemmes nés des avancées techniques et de notre foi collective dans cette branche si particulière de la médecine ?En pratique, le dilemme peut s'exprimer de manière plus précise. Peut-on arrêter une technique de survie telle que la ventilation artificielle chez un enfant présentant des complications cérébrales importantes (hémorragies intraventriculaires sévères ou intraparenchymateuses, leucomalacie périventriculaire étendue témoignant d'une ischémie cérébrale) dont on sait le pronostic redoutable chez l'enfant ? Doit-on s'acharner à maintenir en vie un prématuré quelles qu'en soient les conséquences pour le futur enfant ? Si ce prématuré n'est pas en assistance respiratoire, c'est-à-dire autonome, et présente des lésions cérébrales irréversibles qui entraîneront des handicaps sévères, doit-on mettre un terme à sa vie ?On ne connaît que trop bien les bornes de ce questionnement. Comment ne pas mesurer les risques majeurs inhérents à la banalisation d'une attitude consistant à mettre un terme à la vie pour des raisons médicales ? Faudrait-il encore rappeler que l'«arrêt médicalisé» de la vie humaine est une transgression majeure de la loi ? Et faudrait-il pourtant, sans jamais l'approuver, ne jamais le comprendre ? L'Académie nationale française de médecine : «L'information et l'accompagnement des parents tout au long de la discussion sont essentiels ; il ne faut pas imposer la réanimation en salle de naissance ; si les parents acceptent une réanimation, il ne faut pas non plus leur imposer l'arrêt de la réanimation, ce qui sous-tend l'acceptation de la mort. Ils doivent adhérer à la décision médicale sans éprouver le sentiment de culpabilité. Il n'est pas acceptable non plus que l'enfant subisse une agonie prolongée ; il est légitime de ne pas le laisser souffrir, qu'il soit ou non sous assistance respiratoire.»Rappelons enfin qu'en 2006 il n'y a pas de consensus en France et en Europe, pour, en salle de naissance, maintenir ou non en vie des prématurés nés avant 25 semaines d'aménorrhée (moins de 700 grammes). En d'autres termes, la décision d'une réanimation d'attente individuelle, fondée pour l'essentiel sur l'expérience de l'équipe obstétricale et néonatale. «Ultérieurement, peut-on lire dans le rapport, durant l'hospitalisation dès lors que la réanimation aura été efficace, l'équipe doit tenir compte des complications qui peuvent handicaper de façon sévère le futur enfant et adapter sa conduite à tenir en fonction de celles-ci.»Les belles âmes qui, depuis quelques années déjà, prennent un malin plaisir à discourir en place publique sur le nouveau droit que chacun devrait avoir celui du «suicide médicalisé» peuvent-elles mesurer l'ampleur et la gravité des situations auxquelles sont ici confrontés les membres des équipes médicales spécialisées ? Parviennent-elles seulement à comprendre la souffrance irrémédiablement inscrite dans chaque prise de décision définitive dès lors que le médecin, le soignant, a le courage de ne pas vouloir être réduit au rang de prestataire de services ?(Fin)1 Ce rapport a été rédigé par un groupe de travail présidé par Claude Sureau et composé de MM. Bernard Salle et Paul Vert (membres de l'Académie nationale de médecine) ainsi que de Mmes Huguette Le Foyer de Costil et Carmen Rauch et de MM. Michel Dehan, Olivier Claris, François Goffinet, Loïc Marpeau et Damine Subtil.