La médecine interne a la réputation répandue bien que largement imméritée d'être une spécialité aux contours flous et à la spécificité incertaine, particulièrement à l'hôpital. Alors comment cerner la médecine interne ? Est-ce par la sélection des maladies prises en charge par l'interniste ? Bien entendu non ! Il prend en charge indifféremment le patient insuffisant cardiaque (l'insuffisance cardiaque est la nouvelle maladie du siècle), le sujet hypertendu, diabétique ou obstructif chronique. Certes, ces pathologies (ou d'autres) sont souvent présentes simultanément chez le même patient dont il faudra en outre tenir compte du contexte psychosocial et gérer la trajectoire de soins, mais ces maladies sont également du ressort du cardiologue, du diabétologue et/ou du pneumologue. Est-ce par la taille de l'hôpital, universitaire ou régional ? Triste vision que celle d'une médecine interne qui n'existerait que dans les structures trop petites pour s'offrir toutes les spécialités, réduisant l'interniste au rang de «bouche-trou». Lorsque je discute avec des collègues français, dont l'image de la médecine interne est celle de petits services de gériatrie ou dédiés à la prise en charge de maladies de système complexes qui ressortiraient en Suisse de l'immunologie, je dis volontiers que je suis un «généraliste hospitalier». Cela ne me vaut que rarement des interjections appréciatives, mais cela a au moins le mérite de renvoyer à une image plus juste.
Alors que fait le généraliste à l'hôpital ? Il prend en charge des patients présentant des pathologies fréquentes, associées le plus souvent à des comorbidités. Dans beaucoup de cas, il peut le faire intégralement sans recourir à ses collègues des spécialités. Ce sera le cas, par exemple, d'un patient diabétique et insuffisant rénal chronique non dialysé, hospitalisé pour une pneumonie acquise à domicile. Si ce patient se présente également avec une insuffisance cardiaque nouvelle décompensée, il sera nécessaire de recourir au cardiologue pour effectuer une échocardiographie, qui fait partie des critères de qualité de prise en charge de cette pathologie. Mais une consultation lege artis ne sera pas justifiée dans tous les cas. S'il s'agit d'une insuffisance cardiaque connue de mauvaise évolution malgré un traitement médicamenteux maximal, il se posera la question d'un pacemaker biventriculaire de resynchronisation avec ou sans défibrillateur. Cette décision plus compliquée et délicate nécessitera une discussion approfondie entre le cardiologue, expert de la prise en charge sur le plan cardiovasculaire et l'interniste, expert du poids des différentes comorbidités et rompu au difficile exercice de dialoguer avec le patient pour l'amener à exprimer sa préférence sur la base d'une information hélas ! nécessairement complexe. Alors que le même patient sans comorbidités sera parfaitement soigné dans le service de cardiologie, et là, pas besoin d'interniste. Le lecteur remarquera que je n'ai à aucun moment mentionné l'âge, et c'est évidemment tout à fait intentionnel. En effet, les pathologies intriquées ne sont pas l'apanage de la gériatrie, et il est des sujets âgés qui ne souffrent que d'une pathologie unique.
Si ce patient doit être intubé et admis aux soins intensifs, sa prise en charge dépendra en partie de la taille de l'hôpital : dans un hôpital universitaire ou cantonal, il sera constamment sous la supervision d'un ou plusieurs réanimateurs spécialisés. Dans la plupart des hôpitaux de plus petite taille, ce ne sera probablement pas le cas. Bien que les unités de soins intensifs doivent être placées sous la responsabilité d'un médecin possesseur du FMH de médecine intensive, les pas de l'interniste hospitalier croiseront néanmoins ceux de ce patient intubé lors de gardes de nuit ou de week-end. Si ce malade doit être dialysé, ce traitement se fera certainement sous la houlette du néphrologue, mais, là encore, l'interniste sera souvent appelé à entrer en scène dès lors qu'il s'agira d'un centre de petite taille. Enfin, si ce patient chute de son lit et se fracture le col du fémur, l'interniste aura à cœur de suivre ce sujet fragile dans la période toujours délicate du postopératoire. D'ailleurs, dans le cas d'une intervention élective pour un remplacement prothétique de la hanche chez un tel patient, l'interniste est tout à fait à même de pratiquer le bilan préopératoire et d'ordonner les mesures de nature à minimiser les risques de l'intervention. Enfin, il restera l'étape essentielle, au bout de ce périple plus ou moins difficile, de la planification de la sortie du patient en tenant compte de sa mobilité et de son environnement. Par ailleurs, dans chacune de ces situations, l'interniste aura été accompagné par un collègue en formation, un étudiant, ou les deux, tant il est vrai que la place de la médecine interne dans la formation est grande. On retrouve ainsi, à certains égards, des similitudes entre cette activité et celle de l'interniste ou du généraliste installé : le tri et l'évaluation, la décision de référer ou non, la gestion de réseaux, la prise en compte de la fonctionnalité du patient et de son environnement. On pourrait ainsi prétendre que l'interniste hospitalier est aussi un médecin de premier recours.
Aux Etats-Unis, les médecins qui pratiquent ce métier ont un nom : on les appelle les «hospitalistes» !1 Certes, tout dans le modèle américain n'est pas transposable à notre système de santé. Et si les données concernant la sacro-sainte efficience des soins dispensés par les hospitalistes en comparaison avec les spécialistes (entendez par là une qualité équivalente à moindre coût) sont contradictoires,2-4 leur rôle est non seulement reconnu, mais il s'étend, en particulier au pré- et postopératoire.5 Qu'en est-il en Suisse ? Il a été une fois un très beau projet, dont la maturation fut longue mais dont il sortit grandi : la création d'une formation approfondie d'interniste hospitalier reconnue par la FMH. Je renvoie le lecteur intéressé à un éditorial rédigé en 2002 déjà par le Pr Antoine de Torrenté qui annonçait que ce projet était en discussion auprès des instances de la FMH.6 Depuis, rien Ce silence signifie-t-il que nous n'avons plus besoin d'internistes hospitaliers ? Je jurerais du contraire, tout en assumant pleinement mon absence complète d'impartialité : d'ici dix ans, je gage que le fait d'avoir un service de médecine interne fort, engagé dans la formation7, 8 et la recherche, au centre d'un réseau de soins impliquant tous les acteurs dans et à l'extérieur de l'hôpital, y compris les spécialistes, sera un critère de qualité, et pourquoi pas, d'accréditation d'un hôpital. Ne serait-il pas souhaitable que ces services soient dirigés par des médecins dont une formation structurée les aura préparés à cette fonction ?