Cet après-midi, plusieurs histoires de patients, autant d'interactions ; hier un peu moins ; demain combien ? Certaines vierges de narrations antérieures, d'autres reprises là où nous les avions interrompues à la fin de la dernière consultation, suite du feuilleton
Les unes dont j'ai la primeur, d'autres déjà racontées à divers collègues ou confidents.D'abord l'animal en cage, sapé comme un tigre, qui vient me confier ses boyaux à contrôler, au portable duquel je fais concurrence lorsque je vais le chercher à la salle d'attente, et qui, en jetant un rapide coup d'il à sa montre, me fait remarquer les deux minutes de retard (ouf, il est le premier de l'après-midi, le pire a été évité). Réaction immédiate : agacement ? rejet ? Prendre du recul, lire au second degré
Puis la madone éplorée, caricature de la souffrance jetée à la figure, directement sortie d'une icône de mauvais goût. Réaction : mon Dieu, pourquoi m'a-t-elle choisi comme soignant définitivement impuissant ? Tout un roman !Suit ce «boat-people» à l'allure de vieux sage asiatique qui vient trivialement me confier son prurit anal ! Petit symptôme envahissant inscrit dans une immense histoire qu'il a même le toupet d'occulter !Après le téléphone d'un collègue et ami désireux de partager les lourdeurs d'une autre histoire de patient, au tour de cette jeune fille que je connais depuis quelques mois et qui jusqu'à ce jour n'était pas prête à reconnaître la source de ses douleurs abdominales, de me livrer ce que je subodorais sans avoir pu éviter quelques examens «objectivement inutiles» : le drame des conflits de générations générés par l'immigration au sein de familles projetées sans préparation dans un univers culturel si différent du leur ! Le roman de l'incompréhension et souvent sans solutions «prêtes-à-fournir» (sauf pour certains démagogues populistes !).Défilent alors en vrac les récits où se succèdent les portraits vivants du cynisme, de la fraîcheur d'esprit, de la laideur fascinante, de l'intelligence brillante, de la médiocrité portée à un paroxysme quasi artistique, de l'humour comme art de vivre ou de se défendre, bref de la vie humaine dans l'infinie variété de ses acteurs, mais chaque fois unique. Or nous, soignants, en sommes les témoins quotidiens, éventuellement les dépositaires, tantôt attentifs, tantôt indifférents par lassitude ou manque de disponibilité. Si nous avons le loisir d'y consacrer l'écoute nécessaire, nous aurons aussi le privilège d'entendre des romans de vie uniques dans leur couleur et leur crudité, parfois savoureux, parfois sordides ou encore neutres jusqu'à l'absurde. Mais si nous prenons la peine de les interpréter, ces héros anonymes n'auront rien à envier à ceux des plus grands romanciers qui se sont souvent inspirés de tels personnages pour en amplifier avec art leur misère ou leur grandeur.La vie comme un roman. Autant de vies, autant de romans. Vision idéaliste peut-être, mais qui serait tellement riche pour la relation thérapeutique
et notre propre vie !Au fond, ça fait combien de tranches de cinq minutes à 17,76 points l'histoire du vieux «boat-people» ?