La spirométrie est l'examen fonctionnel respiratoire le plus simple, récemment devenu accessible de réalisation à tout médecin par le développement d'appareils économiques et performants. Cependant, la spirométrie nécessite une bonne connaissance de ses indications, de sa réalisation et de son interprétation. Le développement de recommandations d'experts régulièrement mises à jour par les sociétés américaine et européenne de pneumologie permettent de préciser dans quelles conditions cet examen doit être effectué pour fournir les informations qui seront finalement utiles au médecin pour la prise en charge de son patient.
La mesure des volumes et débits pulmonaires mobilisables à la bouche par une spirométrie de base est le test fonctionnel respiratoire le plus communément utilisé des fonctions respiratoires. Bien que la mesure des volumes pulmonaires ait été développée en 1846 déjà par un chirurgien nommé John Hutchinson,1 qu'elle ait été perfectionnée par la suite par de nombreux chercheurs et médecins, ce n'est que le développement relativement récent de spiromètres simples et à prix abordables qui a permis de rendre cet examen accessible à bon nombre de cabinets de médecine générale également. Cependant, la spirométrie nécessite non seulement un équipement de bonne qualité, mais également une bonne collaboration du patient qui ne peut être obtenue que par les informations données par un personnel qualifié, et finalement une connaissance adéquate par le médecin des indications et de l'interprétation de cet examen.
La spirométrie est un examen simple, rapide et peu cher, qui permet la mesure de la capacité vitale lente (CV), du volume maximal expiré en une seconde (VEMS) et de la capacité vitale forcée (CVF). La faisabilité de la spirométrie dans un cabinet de premier recours a été démontrée par une étude italienne réalisée dans 570 cabinets de médecins praticiens, dont les diagnostics de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) basés sur l'anamnèse, l'examen clinique et la spirométrie étaient comparés à ceux posés en double-insu par des médecins pneumologues, et qui montrait près de 80% de diagnostics concordants.2 Cependant, la réalisation de la manœuvre nécessite un matériel de qualité et une collaboration importante du patient avec un personnel qualifié. Pour cette raison, les sociétés américaine et européenne de pneumologie ont récemment édicté des recommandations communes très précises permettant de standardiser la technique de spirométrie.3
La majorité des appareils spirométriques mis aujourd'hui sur le marché répondent aux critères de qualité exigés par l'American Thoracic Society et la European Respiratory Society, dont les points essentiels sont résumés dans le tableau 1.
L'examen s'effectue en position assise, l'embout buccal légèrement surélevé de façon à placer le cou en extension. L'exploration doit se faire à distance des repas, de la dernière bouffée de bronchodilatateur, ou d'une cigarette. En cas de répétition de l'examen, il est préférable qu'il soit effectué au même moment du nycthémère. La coopération du patient est indispensable, et le rôle de l'opérateur est donc capital. Il doit mettre le patient en confiance, le détendre, lui expliquer le but de l'opération et les manœuvres attendues, puis le stimuler de la voix et du geste pour obtenir les meilleures valeurs possibles. La pièce buccale doit être tenue franchement en bouche, si possible derrière l'arcade dentaire, en serrant fermement la pièce buccale avec les lèvres afin d'éviter toute fuite d'air responsable d'erreur. Il faut laisser le patient s'adapter avant de connecter le circuit, puis on lui demande de vider lentement et complètement ses poumons. L'exécution de la spirométrie se fait ensuite en trois temps :
Le rôle de l'opérateur dans le contrôle de la qualité des épreuves réalisées est crucial : une spirométrie mal faite n'a non seulement aucune valeur mais peut avoir des conséquences graves pour le sujet testé. Il doit donc s'assurer de la qualité de la manœuvre obtenue. Une durée d'expiration d'au moins six secondes (trois secondes pour les enfants) doit être obtenue. Les artefacts (départ hésitant, effort expiratoire insuffisant, toux pendant la manœuvre, arrêt prématuré de l'effort) doivent également être repérés. Au minimum, on obtiendra trois manœuvres acceptables d'expiration forcée. En cas de difficulté, la manœuvre doit être répétée plusieurs fois avant d'admettre que la spirométrie n'a aucune valeur en raison de la mauvaise collaboration. La manœuvre d'expiration forcée doit également être répétée si les critères de reproductibilité ne sont pas remplis, à savoir une différence de m 150 ml entre le plus grand et le deuxième plus grand VEMS et une différence de m 150 ml entre la plus grande et la deuxième plus grande CVF.
Après avoir examiné toutes les manœuvres d'expiration forcée, le médecin peut analyser les données chiffrées fournies par l'appareil afin de définir et quantifier le trouble ventilatoire. Les spiromètres usuels fournissent en général et au minimum les variables énumérées dans le tableau 2.
L'apport principal de la spirométrie réalisée au cabinet réside dans la mesure des débits ventilatoires, permettant de reconnaître et quantifier un syndrome obstructif. Celui-ci est défini par l'abaissement du rapport VEMS/CV (rapport de Tiffeneau) ou du rapport VEMS/CVF. Un syndrome obstructif est retenu lorsque le rapport VEMS/CV est inférieur au cinquième percentile de la valeur prédite. Si on utilise les valeurs de référence européennes habituelles,4 le seuil du syndrome obstructif est situé à 11% en dessous du VEMS/ CV prédit chez la femme, et à 12% en dessous du VEMS/CV prédit chez l'homme. Il a également été proposé d'utiliser un seuil unique (VEMS/CVF l 70%), mais cette pratique expose à surdiagnostiquer des syndromes obstructifs chez les sujets âgés de plus de 50 ans. Le VEMS connaît une baisse progressive avec l'âge de l'ordre de 20 à 30 ml/an chez le sujet adulte non fumeur en bonne santé. En cas d'obstruction chronique, la baisse est en moyenne de 60 ml/an. La spirométrie permet également d'évaluer la réversibilité du syndrome obstructif, qui est définie comme significative si l'on objective, 10-15 minutes après un traitement de bronchodilatateur b-agoniste de courte durée d'action, un gain sur le VEMS ou la CVF de 200 ml et M 12% par rapport à la valeur de base.
La spirométrie ne permet que la mesure du volume mobilisable, la capacité vitale. Le syndrome restrictif est défini par une diminution de la capacité pulmonaire totale (CPT), dont la mesure nécessite un appareillage plus complexe (pléthysmographe ou système de dilution de gaz). La spirométrie ne permet donc que de suspecter un syndrome restrictif sur la base d'un abaissement de la capacité vitale et du VEMS. Une diminution de la capacité vitale seule ne suffit en effet pas à poser le diagnostic d'un syndrome restrictif puisqu'elle est également abaissée en présence d'un syndrome obstructif associé à une augmentation du volume résiduel (piégeage gazeux). En revanche, les mesures de la capacité vitale et du VEMS peuvent être utiles pour suivre l'évolution d'une maladie restrictive déjà diagnostiquée et documentée de façon complète auparavant.
La spirométrie utilisée en cabinet de façon isolée permet de mesurer les volumes pulmonaires mobilisables ainsi que les débits ventilatoires, c'est-à-dire la vitesse de mobilisation des volumes pulmonaires. Ces données permettent en premier lieu le diagnostic (et suivi, que nous ne traiterons pas dans cet article) des affections respiratoires obstructives, soit la BPCO et l'asthme. Dans le cas des pathologies obstructives, il convient de distinguer la réalisation d'une spirométrie dans le cadre de la survenue de symptômes respiratoires suggestifs, de celle d'un examen de dépistage dans une population à risque de développer une BPCO. Dans un article publié en 2000, un comité d'experts (National Lung Health Education Program, NLHEP) propose un consensus afin de clarifier les indications à la réalisation d'une spirométrie.5
a) Sujet symptomatique : toux ou expectorations chroniques, sibilances ou dyspnée d'effort : une spirométrie devrait être réalisée chez ces patients afin de détecter ceux qui sont atteints d'une BPCO ou d'un asthme.
Chez le sujet fumeur ou ancien fumeur, il est clairement démontré que la survenue de symptômes de toux, expectorations chroniques, sibilances ou dyspnée d'effort, est liée à un risque plus élevé de syndrome obstructif (BPCO ou asthme) (25,6 et 14,1% respectivement pour le sujet fumeur ou ancien fumeur) en comparaison au sujet ne présentant pas de symptômes respiratoires (11 et 9,2% respectivement).6 Dès lors, la probabilité prétest (risque) de trouver une obstruction bronchique à la spirométrie augmente de façon importante lorsque le sujet fumeur ou ancien fumeur présente des symptômes respiratoires, posant de façon évidente son indication.
Chez le sujet non fumeur, la survenue de symptômes de sibilances, dyspnée d'effort ou toux inexpliquée doit faire poser de façon évidente l'indication à une spirométrie comme aide au diagnostic potentiel d'asthme,7 surtout si l'on se rappelle que la moitié environ des asthmatiques ne développent leur maladie qu'à l'âge adulte,8 et que dans une population adulte environ un tiers des cas d'asthme ne sont pas diagnostiqués et donc pas traités.9
b) Sujet asymptomatique : dépistage de la BPCO : une spirométrie devrait être réalisée chez les patients fumeurs (ou rapportant un tabagisme actif stoppé dans l'année précédente) de plus de 45 ans, afin de dépister ceux qui développent une BPCO.
Cette recommandation très large, par la suite plusieurs fois remise en question dans son fondement, est basée sur les deux arguments suivants, répondant aux critères habituellement appliqués aux tests de dépistage chez des sujets asymptomatiques :
* La BPCO est une maladie fréquente, survenant chez plus de 15% des fumeurs, source d'une morbidité et mortalité importante, pour laquelle un traitement est disponible (arrêt du tabagisme), plus efficace lors des stades précoces de la maladie, et pour laquelle un test simple et réalisable par le médecin de premier recours permet le diagnostic et le suivi de la maladie.
En effet, la BPCO est une maladie fréquente, troisième cause de mortalité dans les pays développés après les maladies cardiovasculaires et le cancer,10 seule pathologie de ce «peloton de tête» dont la mortalité ne cesse d'augmenter. Les coûts directs et indirects qu'elle génère sont évalués à plus de 13 milliards de dollars par an pour les seuls Etats-Unis. La mise en évidence d'un syndrome obstructif par la spirométrie est la pierre angulaire de la détection d'une BPCO débutante, comme le montre de façon claire une étude réalisée aux Etats-Unis chez plus de 16 000 sujets adultes (étude National Health and Nutrition Examination Survey, NHANES III). Celle-ci montrait que la présence d'un syndrome obstructif à la spirométrie était de trois à cinq fois plus fréquente (variations selon la classe d'âge) chez les sujets fumeurs actifs en comparaison aux sujets non fumeurs,11 et qu'elle était un puissant facteur prédictif d'un déclin futur de la fonction pulmonaire et d'une mortalité et morbidité plus élevée due à la BPCO. Par ailleurs, les premiers symptômes de la maladie, toux et expectorations chroniques, sont longtemps négligés par le patient fumeur, qui ne sera trop souvent amené à consulter que bien plus tard en raison d'une dyspnée d'effort altérant sa qualité de vie. Dans ce contexte, la question est donc de savoir si un arrêt précoce du tabagisme lors du développement d'une BPCO permet de ralentir son évolution. Les recommandations de la NHLEP se basent principalement sur les résultats d'une grande étude multicentrique datant de 1994, et connue sous le nom de Lung Health Study. Cette étude randomisée incluait près de 6000 sujets fumeurs adultes qui présentaient à la spirométrie des signes d'une obstruction légère à modérée témoignant d'une BPCO débutante. Elle montrait que le groupe de patients instruits et suivis dans un programme d'arrêt du tabagisme présentait un taux d'arrêt du tabagisme plus élevé qu'un groupe contrôle (22% vs 5% après cinq ans). De plus, les patients qui arrivaient à interrompre leur tabagisme présentaient durant la première année un léger gain de VEMS en comparaison à la perte de débit de ceux qui continuaient de fumer, puis durant les quatre années suivantes un déclin moins élevé que le groupe de fumeurs (34 ml/an vs 63 ml/an), déclin qui redevenait alors très similaire à celui des adultes sains non fumeurs (34 ml/an vs 28 ml/an).12 En conséquence, dans ce sous-groupe de fumeurs avec une BPCO débutante détectée précocement, la détection fiable d'un syndrome obstructif débutant par la spirométrie permettait par un traitement simple (programme d'arrêt du tabac) de modifier favorablement l'évolution de leur maladie.
* La réalisation d'une spirométrie augmente probablement le taux d'arrêt du tabac chez le sujet fumeur. Cet argument est discuté et mis à mal par plusieurs études récentes. En effet, les experts de la NHLEP se basent sur deux études certes randomisées, mais ne répondant que de manière partielle au postulat. Dans la première, réalisée en Italie chez 923 fumeurs,13 la réalisation d'une spirométrie en sus d'un conseil personnalisé d'arrêt du tabac ne permettait d'augmenter que d'un petit pourcentage non significatif l'arrêt du tabagisme à une année (6,5% vs 5,5%), en comparaison aux fumeurs ne recevant qu'un conseil personnalisé d'arrêt du tabac, et en comparaison aux fumeurs ne recevant qu'un bref conseil médical (4,5%). La seconde étude,14 réalisée en Norvège, montrait que dans un groupe de fumeurs avec un syndrome obstructif débutant, ceux qui étaient informés par écrit de ce résultat anormal et du risque augmenté de développer une maladie pulmonaire, par une lettre incluant des conseils d'aide à l'arrêt du tabac, avaient un taux d'arrêt plus élevé que ceux qui n'étaient pas mis au courant du résultat anormal de la spirométrie (5,6 vs 3,5%). Les détracteurs de cette argumentation mettent en avant la faiblesse de ces études, présentant soit des résultats non significatifs,13 soit l'absence d'un groupe contrôle recevant les mêmes conseils d'arrêt au tabac que le groupe informé des résultats anormaux de leur spirométrie.14 De plus, ces études ne montrent pas les résultats de l'impact de la spirométrie chez le sujet fumeur informé d'un résultat normal, qui pourrait se sentir rassuré voire encouragé dans son tabagisme.15 Dès lors, en l'absence actuelle d'une grande étude randomisée incluant tous les sous-groupes de fumeurs, il est difficile d'affirmer de façon certaine que la spirométrie augmente le taux d'arrêt du tabac. Si la réalisation d'une spirométrie est recommandée chez le sujet fumeur asymptomatique de plus de 45 ans, il est donc important de garder à l'esprit que celle-ci ne remplace pas l'entretien personnalisé de conseil à l'arrêt du tabac dont doit bénéficier tout fumeur. Par ailleurs, l'annonce d'un résultat normal doit impérativement être accompagnée d'un entretien informant le fumeur que ce résultat ne permet pas d'exclure que le fumeur développe dans le futur une BPCO, et qu'il ne doit pas occulter les multiples autres risques importants (cardiovasculaires, oncologiques ou autres) liés à la fumée de tabac.
c) Une spirométrie pourrait être réalisée chez le patient désirant une évaluation globale de son état de santé (check-up).
Bien que pouvant paraître a priori futile, cette indication mérite cependant toute notre attention. Plusieurs études ont démontré que des fonctions pulmonaires anormales sont liées à une mortalité et morbidité plus importante de quelque étiologie qu'elle soit.16 En effet, elles sont par exemple associées à un risque augmenté de cancer du poumon, de cardiopathie ischémique ou d'accident vasculaire cérébral pour n'en citer que quelques exemples. En conclusion, bien qu'un résultat anormal ne permette pas de prédire l'avenir d'un patient particulier, il peut cependant être l'occasion d'une discussion l'avertissant des facteurs de risque pulmonaires, cardiovasculaires ou oncologiques, partie intégrante des mesures de prévention d'une consultation de contrôle de santé.
La spirométrie est un examen fonctionnel respiratoire simple et accessible de réalisation à tout médecin, mais nécessitant une bonne connaissance de ses indications, de sa réalisation et de son interprétation. Les recommandations des sociétés américaine et européenne de pneumologie permettent de préciser dans quelles conditions cet examen doit être effectué, afin de fournir au médecin des informations fiables, qui seront finalement utiles pour la prise en charge de son patient.