L'affaire est certes connue mais demeure mal perçue, encore moins acceptée et a fortiori analysée : les sociétés occidentales «post-industrialisées» osons pour une fois le jargon contemporain souffrent dangereusement d'une perte croissante de repères fondamentaux. Privées de cette colonne vertébrale constituée des interdits séculaires et structurants, elles sont également, mécaniquement pourrait-on écrire, en quête contagieuse de nouveaux équilibres, de nouveaux droits. A commencer par celui, émergent, qui tend à ce que chacun puisse sa vie durant et en toutes circonstances avoir accès à la réalité de ses origines génétiques.L'édifice ne cesse de trembler. La génétique est venue ici fournir de puissants outils à l'antique quête généalogique tandis que l'assistance médicale à la procréation est venue brouiller les termes d'une équation que l'on tenait pour ancestrale dès lors que l'on acceptait de faire l'économie des gestations adultérines. L'Académie nationale de médecine vient sur ce thème, dans deux remarquables avis, de bousculer la pensée dominante, généralement émanant des milieux dits « bourgeois bohêmes » ; une pensée aujourd'hui curieusement défendue par le parti majoritaire ; un parti de droite très lointain héritier d'une haute conception, gaullienne, de la nation française.Examinons la pour l'essentiel. Dans les deux avis rendus publics à Paris vendredi 24 novembre l'Académie nationale de médecine se déclare clairement opposée à deux propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale le 28 juin par Valérie Pécresse (Union pour la majorité présidentielle, département des Yvelines) et 92 députés de la majorité. La première tend «à instaurer un accouchement dans la discrétion». Nous y reviendrons sous peu. Mais intéressons-nous pour l'heure à celle qui vise «à lever l'anonymat des donneurs de gamètes».Il faut ici rappeler qu'aujourd'hui en France non seulement l'accès aux informations sur les donneurs de gamètes n'est pas organisé mais l'identité des donneurs doit demeurer absolument secrète. Plusieurs dispositions législatives garantissent ce secret. A commencer par l'article 16-8 du code civil, qui résulte de la loi 94-653 et qui énonce à l'alinéa premier : «Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur.»C'est ici la première clef de voûte de «l'éthique à la française», la seconde étant, corollaire, l'absence de toute transaction financière. Précisons que le code français de la santé publique, à l'article L 665-14, rappelle mot pour mot cette disposition, par ailleurs reprise à l'article 152-5 du même code pour ce qui concerne le don d'embryon. Ces interdictions sont assorties de sanctions pénales : la divulgation de renseignements permettant d'identifier à la fois le(s) donneur(s) de gamètes ou d'embryons et le couple receveur est punie de deux ans d'emprisonnement et d'environ 30 000 euros d'amende. Une seule exception : l'article L 673-6 du code de la santé publique qui dispose : «Les organismes et établissements autorisés (...) fournissent aux autorités sanitaires les informations utiles relatives aux donneurs. Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu par une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.» A Paris, la prise de position de l'Académie nationale de médecine est signée du Pr Georges David, fondateur historique de la pratique thérapeutique de l'insémination artificielle avec sperme de donneur. «Depuis quelque temps on assiste à un regain d'activité des partisans d'une révision de la législation actuelle concernant le don de gamètes allant dans le sens d'un abandon plus ou moins complet de l'anonymat des donneurs, peut-on lire dans l'académique communiqué. La proposition de loi n°3225 déposée à l'Assemblée nationale le 28 Juin 2006 par Mme Valérie Pécresse et 92 parlementaires va en ce sens.»Cette proposition, en résumé, tend à conserver l'anonymat du don de gamètes mais ajoute : «Le donneur peut, au moment du don, autoriser que l'anonymat soit levé. Le couple receveur est informé qu'il peut recourir soit à un don dont la levée de l'anonymat a été autorisée, soit à un don dont l'anonymat ne peut pas être levé. Seul l'enfant né du don peut demander à connaître l'identité du donneur. S'il est mineur, il doit être capable de discernement et avoir l'accord de ses représentants légaux. Toutefois, s'il est décédé, ses descendants en ligne directe majeurs peuvent demander à connaître l'identité du donneur, et, s'il est majeur et placé sous tutelle, la demande peut être faite par son tuteur. Lorsque l'enfant né du don est mineur ou décédé avant sa majorité, la communication de l'identité du donneur est subordonnée à l'accord du couple receveur. Lorsqu'il est majeur ou décédé après sa majorité la communication est de droit.»Les spécialistes parlent ici, au choix, de «double circuit», de «double régime» ou encore de «double guichet». Elle offre, à première vue, l'avantage de concilier les partisans de l'anonymat du don de gamètes et de ses opposants. Elle laisse en outre le choix à la discrétion des trois parties concernées : les couples receveurs, les donneurs et les enfants issus du don. «La proposition d'un tel double circuit a été appliquée dans certains pays sans que l'on en connaisse exactement le bilan, souligne le Pr George David, Mais il est vrai qu'elle paraît propre à apaiser les inquiétudes qu'ont toujours soulevées chez les praticiens de l'insémination artificielle avec donneur et chez les couples demandeurs les perspectives de revenir sur la règle de l'anonymat. Nous reviendrons ultérieurement sur les conséquences pratiques de l'adoption d'une telle solution.»(A suivre)