Deux récentes publications, l'une dans The Lancet,1 l'autre dans The British Medical Journal,2 viennent mettre en garde les prescripteurs contre l'efficacité toute relative et les effets secondaires des médicaments généralement qualifiés, dans la presse d'information générale, d'«anti-obésité».C'est tout d'abord et principalement le rimonabant (ou Acomplia de Sanofi-Aventis) qui est visé dans The Lancet daté du 17 novembre. L'Agence France-Presse précise que cette publication intervient quelques jours seulement après le dépôt par un cabinet d'avocats américains d'un recours collectif (class action) contre Sanofi-Aventis à qui il serait reproché d'avoir diffusé, auprès des investisseurs, des informations «trompeuses» sur cette molécule également commercialisée sous le nom de Zimulti.Cette publication est signée d'une équipe danoise dirigée par le Pr Arne Astrup (département de nutrition humaine, faculté des sciences du vivant, Université de Copenhague). Elle se présente comme une méta-analyse de toutes les études randomisées en double aveugle contre placebo publiées jusqu'en juillet 2007. Elle vise à situer l'efficacité et la sécurité d'emploi du rimonabant (20 mg par jour). Au total, ces études ont été menées auprès de 4105 personnes.En moyenne, les patients sous rimonabant ont, après un an, perdu 4,7 kg (95%, IC 4,1 5,3 ; p l 0,0001) de plus que ceux sous placebo. Mais l'équipe du Pr Astrup s'est plus particulièrement intéressée aux effets secondaires du médicament. Elle observe en substance que les personnes du groupe rimonabant avaient 2,5 fois plus tendance que ceux du groupe placebo à interrompre leur traitement (ou à le prendre de manière discontinue) à cause de l'apparition de troubles dépressifs. Le même phénomène est observé (avec un facteur 3) du fait de l'apparition de manifestations anxieuses.«Nos travaux suggèrent que la prise quotidienne de 20 mg de rimonabant accroît le risque d'effets psychiatriques, troubles de l'humeur et anxiété», estiment les chercheurs. Ils prennent soin de souligner que les personnes présentant des antécédents de dépression ou de maladies psychiatriques n'avaient pas été incluses dans les essais analysés. Le commentaire du Lancet, signé Philip B. Mitchell et Margaret J. Morris (University of New South Wales, Sydney) précise qu'un récent rapport de la Food and Drug Administration consacré à ces essais conclut à des taux plus élevés de manifestations psychiatriques (26% contre 14%). On sait que le rimonabant agit sur certains des récepteurs endocannabinoïdes et que cette catégorie de molécules a été mise au point après des observations de stimulation de l'appétit chez les consommateurs de cannabis. Selon les auteurs du commentaire du Lancet, de récents résultats menés chez l'animal pourraient éclairer les liens entre le système endocannabinoïde et l'émergence de manifestations de nature psychiatrique.Après quelques hésitations, le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis a réagi estimant que cette publication «n'apportait aucun élément objectif nouveau par rapport aux données déjà disponibles sur le rimonabant» en ajoutant : «l'extrapolation de certaines données nous paraît être le résultat de l'opinion des seuls auteurs.» «Les précautions soulevées par les auteurs sont en ligne avec les efforts du laboratoire pour assurer que le rimonabant bénéficie aux patients souffrant d'obésité et des facteurs de risques cardiovasculaires associés, en veillant à ne pas proposer le rimonabant aux patients avec une dépression majeure ou sous traitement antidépresseur, ajoutait-on auprès de Sanofi-Aventis. Après la revue extensive des études cliniques disponibles à fin juin 2007 et les conclusions de la pharmacovigilance organisées dans plusieurs pays après un an de commercialisation, l'Agence européenne du médicament a confirmé le bénéfice-risque favorable du rimonabant dès lors que les contre-indications étaient respectées.» La firme confie aussi que la publication du Lancet n'était pas dénuée de biais méthodologiques, ses auteurs confondant notamment, selon elle, idées suicidaires et risque de suicide.Tout n'est pas ici qu'une affaire de méthodologie. Le rimonabant avait été présenté il y a quelques années dans plusieurs titres de la presse d'information générale comme un véritable «médicament miracle» doublé d'un futur blockbuster. Il est aujourd'hui approuvé dans 52 pays et commercialisé dans 21 d'entre eux, à l'exception notable des Etats-Unis. Pourquoi ? Mi-juin des experts américains s'étaient prononcés contre la commercialisation du médicament, officiellement sur la base du risque d'une augmentation des pensées suicidaires. Fin juin, le fabricant annonçait qu'il retirait son dossier de demande de commercialisation auprès de la Food and Drug Administration alors même que l'Agence européenne du médicament choisissait de laisser le produit sur le marché.C'est dans ce contexte que le British Medical Journal (BMJ) vient de publier en ligne une autre étude évaluant l'efficacité à long terme du rimonabant, de l'orlistat et de la sibutramine. L'équipe du Pr Raj Padwal (Université d'Alberta, Edmonton, Canada) conclut que ces médicaments ne permettent d'obtenir que des pertes de poids relativement modestes (inférieures à 5 kg), de nombreux consommateurs continuant à souffrir d'obésité ou de surcharges pondérales. Selon les chercheurs, l'orlistat permet une perte de poids moyenne de 2,9 kg, la sibutramine de 4,2 kg et le rimonabant de 4,7 kg. Pour sa part, le Pr Gareth Williams (Université de Bristol) met en garde, toujours dans le BMJ, contre les dangers potentiels qu'il y aurait à autoriser l'accès libre aux médicaments anti-obésité. «Commercialiser ces médicaments sans prescription médicale perpétuerait le mythe selon lequel l'obésité peut s'arranger simplement en avalant une pilule et pourrait en outre saper les efforts pour promouvoir une vie saine, seule échappatoire à l'obésité sur le long terme.»On estime, selon l'OMS, à environ un milliard le nombre de personnes souffrant dans le monde d'une surcharge pondérale et à 300 millions celui des obèses. De quoi faire rêver tous ceux qui sont en quête de blockbusters médicamenteux.Bibliographie 1 Efficacy and safety of the weight-loss drug rimonabant : A meta-analysis of randomised trials. Lancet 2007;370:1706-13.2 Long term pharmacotherapy for obesity and overweight : Updated meta-analysis. BMJ, nov 2007; doi:10.1136/bmj.39385.413113.2528.11.2007