«Le meilleur médecin me paraît être celui qui sait connaître d'avance. Pénétrant et exposant, au préalable, près des malades, le présent, le passé et l'avenir de leurs maladies, expliquant ce qu'ils omettent, il gagnera leur confiance
Rendre la santé à tous les malades est impossible, bien que cela valût mieux que de prédire la marche successive des symptômes. Mais puisque les hommes meurent
il importe de reconnaître la nature d'affections semblables
» Hippocrate, PronosticL'homme au blazer PKZ, cravaté à midi juste, arriva un jour avec la jambe droite à la traîne : un nouveau problème s'ajoutait à son cholestérol, dont il cherchait le résultat. A l'âge où l'avant-centre devenait entraîneur et s'inscrivait au parti radical, le regard fixé sur son avancement, il n'était pas invraisemblable que le ménisque eût encore frappé, suite à d'excessives sollicitations d'un corps ramolli. Il s'assit, la ventrière au-dessus de la ceinture et se massa le genou, comptant, sans le savoir, sur l'inhibition de son neurone médullaire, par des trains de stimuli extéroceptifs, qui n'avaient point échappé à mon attention. Je viens pour le genou
, déclara-t-il. Le genou
droit
, ajoutai-je. Mais comment avez-vous deviné ? dit-il, bouche bée. Vous êtes en train de vous le palper
, fis-je, l'épaule de biais comme Colombo. Excellent, docteur, bien vu
J'ai mal depuis quinze jours et je suis allé chez un bonhomme du village où l'on va dans ces cas là. Il m'avait annoncé qu'après son traitement, ça serait fini dans une semaine, mais c'est de pire en pire. C'est curieux, il m'avait dit des choses justes sur mon passé et j'avais confiance en lui. Il s'est trompé et je me suis dit que j'allais vous consulter pour ce genou. Mais vous savez que je ne suis pas devin, je suis tout au plus observateur. L'examen clinique révéla une simple tendinite : avec un peu de glace et d'anti-inflammatoire, l'homme devait se porter vite mieux.Quant au cholestérol, il était hors norme. Notre patient, cadre chez EXTRA, avait déjà interprété ses résultats, par les lumières de son actuaire. Un rapide calcul du risque lui donnait un NNT de 25 et un taux d'accident circulatoire multiplié par 5, s'il ne se traitait pas. Il fut davantage impressionné par le 5 que par le 25, et commanda son médicament avant même de me consulter. C'était un homme prévoyant, mais anxieux, car sa crainte passagère du caillot artériel l'avait obligé à prendre des benzodiazépines jusqu'à ce que le LDL soit retombé en dessous de 2,5. Tout cela n'avait pas échappé à la vigilante attention statistique de sa propre assurance.A quelques temps de là, il voulut faire un emprunt pour sa villa et se vit refuser la couverture incapacité de gain, en raison de son cholestérol et d'un trouble anxieux surajouté, car l'on sait que les troubles anxieux, même passagers, sont des comorbidités, présageant des pires affres psychiques et des invalidités les plus rebelles. La banque ne lui accorda pas l'emprunt. Il est donc toujours locataire, ce qui ne l'empêche pas de promouvoir le managed-care, car il persiste à penser que la prévoyance est la mère des vertus. Un peu comme Hippocrate se plaignait d'en être réduit au pronostic par son impuissance à empêcher la mort, notre footballeur lipidique déplore d'avoir recours au managed-care devant son incapacité à juguler les coûts. Pour cela, il est prêt à renoncer à sa villa à moins que des amitiés influentes ne l'aident.Chez les sorciers, les assureurs et dans Hippocrate, partout il faut prédire.19.12.2007