Cet article résume la prise en charge de différentes pathologies de la thyroïde. Le traitement des cancers différenciés au stade métastatique est abordé, comme l’utilisation de la TSH recombinante pour le traitement des cancers à faible risque de récidive ou la stimulation de la thyroglobuline. Concernant les dysthyroïdies subcliniques, un traitement de l’hyperthyroïdie est conseillé en cas de TSH 10 mU/l. Au cours de la grossesse, toute forme d’hypothyroïdie mérite d’être substituée pour limiter les complications maternelles et fœtales alors que seule l’hyperthyroïdie franche devrait être traitée prudemment par le propylthiouracile.
Le traitement classique des carcinomes différenciés (papillaires et folliculaires) de la thyroïde repose sur une prise en charge chirurgicale suivie d’un traitement d’iode radioactif (I131) dans les cas où le risque de maladie résiduelle ou de récidive est significatif. Ce traitement initial permet d’obtenir une rémission complète dans plus de 85% des cas. Toutefois, 10-15% des sujets présentent une persistance ou récurrence de la maladie, généralement localisée au niveau des ganglions cervicaux ou, plus rarement, sous forme de métastases à distance (poumons, os...).
Dans tous les cas, la prise en charge débute par un traitement de lévothyroxine qui a pour but de supprimer la TSH (<0,1 mU/l) afin de limiter la croissance tumorale TSH-dépendante. Pour les récidives cervicales, l’association chirurgie-iode radioactif (et parfois radiothérapie) entraîne une rémission dans près de deux tiers des cas. En cas de métastases pulmonaires, l’administration répétée d’iode radioactif permet, près d’une fois sur deux, d’obtenir une rémission, celle-ci étant beaucoup plus fréquente si les lésions sont de petites tailles et captent bien le radio-iode.1 Les chances de succès du traitement des métastases hors des poumons sont beaucoup plus rares. Finalement, un tiers des carcinomes thyroïdiens différenciés avec métastases à distance pourra entrer en rémission. Dans le cas contraire, si la chirurgie n’est plus possible et qu’il n’y a plus de réponse au traitement d’iode radioactif, les alternatives thérapeutiques sont rares. Peu d’études ont évalué l’effet des chimiothérapies compte tenu de leur toxicité et du manque d’évidence d’un bénéfice. La plus étudiée est la doxorubicine avec une réponse tumorale retrouvée dans 0-22% des cas, généralement partielle, de courte durée et au prix d’une toxicité significative. D’autres se sont montrées inefficaces (cisplatine, étoposide, fluorouracil) ou n’ont pas été étudiées dans les cancers thyroïdiens (taxanes, gemcitabine). De nouvelles approches thérapeutiques sont en cours de développement,2,3 et font l’objet d’études multicentriques auxquelles différents centres d’endocrinologie suisses participent. Par exemple, on sait que les cancers thyroïdiens, surtout papillaires, sont fréquemment associés à des mutations de gènes (RET/PTC, RAS, BRAF, etc.) codant pour des molécules de signalisation impliqués dans la prolifération cellulaire. Des inhibiteurs de différentes kinases qui participent à ces voies de signalisation sont à l’étude, de même que des inhibiteurs de l’angiogenèse (par exemple contre le VEGF), les cancers de la thyroïde étant des tumeurs hypervascularisées. D’autre part, on sait que l’absence de réponse au iode radioactif s’explique probablement par une dédifférenciation de la tumeur. Celle-ci perd sa capacité à capter l’iode par diminution de l’expression du symporteur (NIS) permettant l’entrée d’iode dans les cellules. L’un des axes de recherche consiste à augmenter l’expression du NIS afin de rendre la tumeur à nouveau sensible à l’iode.
Comme la TSH endogène, la rhTSH, produite par génie génétique, permet d’augmenter la captation de l’iode radioactif par les cellules thyroïdiennes normales ou tumorales (traitement dit ablatif) et de stimuler la sécrétion de thyroglobuline dans le but de dépister une persistance ou récidive de la maladie lors du suivi. De ce fait, sans devoir recourir au sevrage des hormones thyroïdiennes, la rhTSH garantit une élévation de la TSH suffisante tout en évitant l’hypothyroïdie clinique, souvent mal tolérée. Le protocole d’administration consiste en deux injections intramusculaires de rhTSH (Thyrogen) 0,9 mg à 24 heures d’intervalle. Les effets secondaires sont peu fréquents et généralement limités à une fatigue, des nausées ou céphalées transitoires. Depuis le printemps 2007, la rhTSH est approuvée par Swissmedic et prise en charge par les assurances maladie dans les indications suivantes :
1.Traitement ablatif par l’iode radioactif (I131) après chirurgie thyroïdienne dans le cadre de carcinomes thyroïdiens différenciés à faible risque de maladie persistante ou récidivante
Dans ce cas, la rhTSH est injectée durant le week-end avant que les patients soient hospitalisés le lundi pour recevoir le traitement d’iode radioactif. Des études récentes ont montré que le taux de succès du traitement ablatif sous rhTSH est identique à celui obtenu après sevrage des hormones thyroïdiennes, y compris en cas d’atteinte des ganglions cervicaux.5 Toutefois, pour les carcinomes à haut risque de récidive et de métastases, la mise en hypothyroïdie reste la procédure de choix.
2.Stimulation de la thyroglobuline dans le cadre du suivi des carcinomes différenciés de la thyroïde
Six à douze mois après le traitement initial de chirurgie et curiethérapie, lorsque la thyroglobuline est indétectable sous traitement de lévothyroxine à visée suppressive (TSH < 0,1 mU/l), un premier bilan est effectué. Celui-ci consiste à administrer les deux injections de rhTSH puis de mesurer le taux plasmatique de thyroglobuline un et trois jours après la deuxième injection. Le pic de thyroglobuline est généralement moins élevé après rhTSH qu’après sevrage des hormones thyroïdiennes. Néanmoins, des études ont montré que toutes les métastases loco-régionales ou à distance mises en évidence après sevrage l’étaient également après rhTSH.6 Les seuls faux négatifs de la thyroglobuline stimulée (hormis si présence d’anticorps antithyroglobuline) se retrouvent en cas de petites métastases ganglionnaires cervicales. C’est pourquoi une échographie cervicale est effectuée parallèlement à cette stimulation afin de mettre en évidence ces adénopathies suspectes qui peuvent être ponctionnées. A noter qu’en cas de thyroglobuline indétectable après stimulation par la rhTSH et d’échographie cervicale normale, le patient est considéré en rémission complète. Le risque de récidive est alors très faible. La figure 1 résume les recommandations pour le suivi des carcinomes différenciés de la thyroïde.7
Pour rappel, le diagnostic de dysthyroïdie subclinique repose sur une définition biologique : T4 libre dans les limites de la norme avec TSH au-dessous (hyperthyroïdie) ou au-dessus (hypothyroïdie) de la norme.
• Hypothyroïdie subclinique (prévalence : 4-9% de la population générale, jusqu’à 20% des femmes > 60 ans).
Bien que quelques études concluent à une diminution de la contractilité cardiaque en cas d’hypothyroïdie subclinique, un impact clinique significatif n’a pas été démontré. Par ailleurs, l’élévation du risque de maladie coronarienne, mise en évidence dans plusieurs études transversales, n’a pas été confirmée dans les suivis prospectifs de cohorte. Une discrète élévation du cholestérol total et du cholestérol-LDL est parfois retrouvée, mais le bénéfice d’une substitution par lévothyroxine sur les paramètres lipidiques est controversé. Enfin, il n’y a pas d’étude qui montre une association entre l’hypothyroïdie subclinique et l’augmentation de la mortalité, ni de bénéfice démontré du traitement sur celle-ci.9 Par conséquent, l’instauration d’une substitution hormonale n’est généralement pas recommandée pour les hypothyroïdies subcliniques avec une TSH comprise entre 4 et 10 mU/l. La présence de symptômes d’hypothyroïdie peut toutefois justifier un essai de traitement. En cas de TSH > 10 mU/l, l’introduction d’une substitution est proposée compte tenu du risque élevé de progression vers une hypothyroïdie franche et symptomatique.
• Hyperthyroïdie subclinique (prévalence : 1-2% de la population générale).
Les complications principales de l’hyperthyroïdie franche sont la survenue d’une fibrillation auriculaire (FA) et l’augmentation du risque d’ostéoporose. Concernant l’hyperthyroïdie subclinique, on sait que si la TSH est freinée (< 0,1 mU/l), le risque de développer une FA augmente, principalement chez les sujets de plus de 60 ans où ce risque est multiplié par trois.10 Dans les cas où la TSH est discrètement abaissée (0,1-0,4 mU/l), l’augmentation du risque est plus débattue (environ une fois et demie selon certaines études). Concernant l’atteinte osseuse, il a été montré qu’en cas d’hyperthyroïdie subclinique, la perte osseuse n’est augmentée que chez les femmes ménopausées, sans certitude quant à l’effet sur la survenue des fractures. Finalement, l’impact de l’hyperthyroïdie subclinique sur la mortalité a peu été étudié, mais celle-ci ne semble pas augmentée de façon significative.9 En conclusion, peu d’arguments parlent en faveur d’un traitement systématique de l’hyperthyroïdie subclinique si celle-ci est asymptomatique ou lorsque la TSH est comprise entre 0,1 et 0,4 mU/l. Par contre, un traitement est généralement recommandé dans les cas où il y a des symptômes ou lorsque la TSH est < 0,1 mU/l, principalement chez les sujets de plus de 60 ans compte tenu du risque de complications cardiaques et osseuses.
En présence d’une TSH basse durant la grossesse, il faut distinguer l’adaptation physiologique (la βHCG, par homologie de structure avec la TSH, peut entraîner une hyperthyroïdie transitoire au cours des trois premiers mois) de l’hyperémèse gravidique et de l’hyperthyroïdie vraie (maladie de Basedow, nodule toxique). L’hyperémèse gravidique, dont l’étiologie est peu claire, se caractérise pardes vomissements, une perte de poids et un taux élevé de βHCG responsable d’une hyperthyroïdie qui ne nécessite généralement pas de traitement antithyroïdien et se corrige le plus souvent avec la diminution du taux de βHCG et des vomissements. Il n’y a généralement pas de goitre et les anticorps antirécepteurs à la TSH (TRAB) sont négatifs, contrairement à la maladie de Basedow.
Concernant l’hyperthyroïdie vraie, il n’y a pas de certitude quant à l’effet du traitement de la forme subclinique pour améliorer l’issue de la grossesse ou le pronostic de l’enfant. Par contre, l’hyperthyroïdie franche doit être prise en charge afin de limiter les risques pour la mère (fausse couche, HTA, prééclampsie) ou l’enfant (prématurité, retard de croissance, goitre, hyperthyroïdie). Le prolpylthiouracile (PTU) est généralement préféré au carbimazole, mais doit être prescrit avec prudence compte tenu de son passage transplacentaire et du risque d’hypothyroïdie fœtale. Le but du traitement est de maintenir la T4 libre vers la limite supérieure de la norme, sans chercher à normaliser la TSH. L’adjonction de bêtabloqueur est efficace pour contrôler les symptômes hyperadrénergiques. En cas d’intolérance ou inefficacité du PTU, la chirurgie, possible au cours du deuxième trimestre, reste une alternative alors que l’iode radioactif est formellement contre-indiqué. Pour les femmes avec une maladie de Basedow et des TRAB détectables, un suivi échographique régulier du fœtus doit être effectué (risque d’hyperthyroïdie avec retard de croissance, hydramnios, goitre).
L’hypothyroïdie maternelle franche est associée à diverses complications chez la mère (fausse couche, HTA, prééclampsie) et l’enfant (retard de croissance, troubles cognitifs), raison pour laquelle elle doit être traitée avec comme objectif une TSH < 2,5 mU/l. Pour les hypothyroïdies connues et déjà substituées, la lévothyroxine doit, dès le début de la grossesse, être augmentée de 25 à 50% compte tenu des besoins physiologiques plus importants. L’hypothyroïdie dans sa forme subclinique est également associée à des complications chez la mère et l’enfant, mais le bénéfice d’une substitution sur le développement psychomoteur de l’enfant n’a pas été démontré. Néanmoins, un traitement est généralement recommandé.
A noter qu’il n’y a pas de consensus pour un dépistage systématique des dysthyroïdies durant la grossesse. Une mesure de la TSH est recommandée chez les femmes à risque : symptômes ou signes cliniques (goitre) évocateurs, antécédent personnel de dysthyroïdie, maladie auto-immune (diabète type 1), radiothérapie cervicale, infertilité, fausse couche ou anamnèse familiale de dysthyroïdie. Toutefois, une récente étude montre que près d’un tiers des hypothyroïdies n’est pas détecté si l’on ne propose un dépistage qu’aux femmes à haut risque de dysthyroïdie.14
> En cas d’hypothyroïdie subclinique (TSH élevée,T4 libre normale), un traitement substitutif est recommandé lorsque la TSH est supérieure à 10 mU/l
> L’hyperthyroïdie subclinique (TSH basse, T4 libre normale) augmente le risque de fibrillation auriculaire lorsque la TSH est inférieure à 0,1 mU/l, principalement chez les sujets de plus de 60 ans
> Chez la femme enceinte, toute forme d’hypothyroïdie doit être substituée avec, pour objectif, une TSH entre 0,4 et 2,5 mU/l
> L’hyperthyroïdie vraie et franche durant la grossesse justifie un traitement par propylthiouracile dans le but de maintenir la T4 libre dans la moitié supérieure de la norme
Cet article résume la prise en charge de différentes pathologies de la thyroïde. Le traitement des cancers différenciés au stade métastatique est abordé, comme l’utilisation de la TSH recombinante pour le traitement des cancers à faible risque de récidive ou la stimulation de la thyroglobuline. Concernant les dysthyroïdies subcliniques, un traitement de l’hyperthyroïdie est conseillé en cas de TSH 10 mU/l. Au cours de la grossesse, toute forme d’hypothyroïdie mérite d’être substituée pour limiter les complications maternelles et fœtales alors que seule l’hyperthyroïdie franche devrait être traitée prudemment par le propylthiouracile.