Critique du dépistage de l’infection génitale à Chlamydia, évaluation du risque de cancer lié à la contraception orale, indication et efficacité du vaccin contre le Papillomavirus, outils diagnostiques de la maladie cœliaque chez l’adulte, voilà une sélection de thèmes de médecine ambulatoire traités en 2007, faite par des internes et des chefs de clinique du Service de médecine de premier recours de Genève. Résumés, commentés, et à destination de tous nos collègues, ils sont leur contribution à la base de données de littérature initiée en 2005 par les chefs de clinique de Lausanne.
Suite à l’initiative de nos collègues de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne de mettre à disposition des collègues installés une base de données d’articles colligés à l’origine à l’attention des médecins internes, les chefs de clinique du Service de médecine de premier recours de Genève proposent à leur tour de contribuer à cette démarche stimulante par la mise en commun de leurs lectures. De plus, afin de développer les compétences en lecture critique des plus jeunes, chaque sujet a été abordé en binôme par un médecin interne associé à un chef de clinique. Critique du dépistage de l’infection à Chlamydia, évaluation du risque de cancer lié à la contraception orale, indication et efficacité du vaccin contre le Papillomavirus, la revue de Genève fait la part belle aux femmes. Le dernier article permet d’apporter de nouveaux outils pour un meilleur dépistage de la maladie cœliaque chez l’adulte, un diagnostic encore trop souvent manqué.
Le Chlamydia trachomatis est l’infection sexuellement transmissible la plus répandue dans les pays1-3 industrialisés. Sa détection aisée à coût modeste, la simplicité de son traitement et l’importance des complications2,3 qui lui sont attribuées en cas d’absence de traitement semblent en faire un candidat idéal pour un programme de dépistage systématique. Plusieurs pays ont implanté un programme de dépistage national de l’infection chlamydiale ou sont en voie de le faire,4 se basant sur les recommandations de L’US preventive services task force (USPSTF).2 Les bases scientifiques sur lesquelles se reposent ces décisions sont-elles cependant suffisamment solides à l’heure actuelle ?
Selon N. Low,4 les preuves sur lesquelles les instances sanitaires se reposent pour introduire un programme de dépistage ne sont pas suffisamment solides. Les Suédois estiment que le dépistage est efficace en raison du recul du nombre d’infections à Chlamydia depuis son introduction, mais sans tenir compte de l’augmentation de leur nombre depuis 1995, probablement en raison d’une modification des comportements sexuels. Aux Etats-Unis, les résultats sont également médiocres. Or, le risque qu’une personne acquière une infection dépend de sa prévalence dans la population. Low définit le « programme » de dépistage comme « un service sanitaire public continu qui s’assure qu’un dépistage est dispensé à un intervalle suffisamment régulier à une proportion suffisante de la population cible pour obtenir un bénéfice défini au niveau populationnel, tout en minimisant les dommages ». Un programme national devrait contrôler la transmission du Chlamydia au moyen d’un dépistage régulier et d’une information au(x) partenaire(s) des personnes atteintes pour réduire la morbidité. Actuellement, il n’existe aucun programme national de dépistage du Chlamydia en Suède qui réponde à ces critères. Or, c’est pourtant sur l’expérience de ce pays que se base la littérature en faveur de tels programmes, et donc les conclusions de l’USPSTF.
L’histoire naturelle de l’infection à Chlamydia trachomatis est en cours de réévaluation, ainsi que l’illustre une étude5 remettant en question l’importance statistique des complications d’une infection asymptomatique. Ceci soulève la question de la gravité de la maladie, et donc de l’objectif principal d’un programme de dépistage : la diminution de la morbidité. Le tableau 1 résume les points de recherche à obtenir pour définir les bénéfices et dommages d’un programme de dépistage du Chlamydia (inspiré de N. Low).
En conclusion, nous ne bénéficions pas de preuves suffisantes pour introduire un programme national de dépistage de l’infection chlamydiale, car l’efficacité d’un tel programme n’est à l’heure actuelle pas affirmable.
La question est d’importance, puisque plusieurs centaines de millions de femmes ont pratiqué la contraception orale (CO) depuis le début des années soixante et que son usage ne cesse de s’accroître. Les études conduites jusqu’alors tendaient plutôt à démontrer une augmentation du risque de cancers, notamment en ce qui concernait le col utérin, le sein et le foie, augmentation compensée par une diminution du risque des cancers colorectaux, de l’endomètre, des ovaires. Les résultats récemment publiés d’une vaste étude britannique de cohorte du Royal college of general practitioner’s6 montrent au contraire que la CO a plutôt un effet bénéfique de ce point de vue.
L’étude a débuté dans les années 1968-69, avec le recrutement de deux groupes, comprenant respectivement 23 000 utilisatrices et 23 000 non-utilisatrices de CO. Les femmes ont été suivies par leur généraliste, qui a notamment enregistré le comportement contraceptif, la parité, une thérapie hormonale, ainsi que l’éventuelle survenue d’une pathologie tumorale. A partir de 1966, les cohortes ont été suivies sur la base du fichier général de santé national et cela jusqu’en 2004. Il a été ainsi possible d’étudier le risque à partir de 339 000 années/observation chez les non-utilisatrices et 744 000 années/observation chez les utilisatrices. A la fin de l’étude, la majorité des femmes avaient plus de 50 ans, ce qui permettait d’enregistrer les cas de cancers au moment où le risque pourrait être le plus élevé. Le risque relatif (RR), défini par le rapport entre l’incidence des différents types des (premiers) cancers chez les utilisatrices, rapporté à l’incidence chez les non-utilisatrices, a été ajusté selon l’âge, la parité, la classe sociale, ainsi qu’une éventuelle thérapie. Les calculs montrent que le risque tous cancers réunis est réduit de 12% chez les utilisatrices (RR = 0,88 (IC : 0,83-0,95)). Cette diminution est plus marquée pour les cancers colorectaux, ceux du corps utérin et des ovaires. En revanche, les résultats permettent d’observer une légère, mais significative augmentation du risque chez les femmes ayant recourus à la CO durant plus de huit ans.
Cette étude devrait soulager les femmes qui ont atteint maintenant l’âge de la ménopause et qui pourraient s’inquiéter d’avoir utilisé des contraceptifs plus fortement dosés qu’actuellement. Plusieurs problèmes demeurent néanmoins. Premièrement, si la diminution du risque est attribuable à la dose, les femmes qui ont adopté initialement une formule moins dosée n’en bénéficieraient peut-être pas. Deuxièmement, une durée prolongée d’utilisation pourrait avoir des conséquences non négligeables puisque cette pratique est toujours plus fréquente. D’après les résultats de l’étude, ce sont donc les femmes actuellement ménopausées et ayant bénéficié d’une CO durant moins de huit ans qui pourraient se sentir les plus rassurées.
Pour conclure, il faut rappeler que les études de cohortes dénombrant des cas de cancers incidents doivent pouvoir disposer de données très précises et surtout non biaisées entre les groupes comparés. Or, en l’occurrence, les données nationales anglaises n’apparaissent pas d’une validité exemplaire7 d’après leurs publications détaillées par l’Association internationale des registres des tumeurs (IARC). On ne peut notamment exclure que le dénombrement des cas de cancers soit plus complet chez les femmes qui ont recouru durant une plus longue période à la CO, d’où une augmentation apparente d’un risque chez celles-ci. De plus, il faut garder en mémoire que les risques encourus, s’ils sont véritables, sont à mettre en perspective avec les immenses bénéfices psychosociaux et économiques apportés par cette pratique.
Les Papillomavirus humains (HPV), surtout les types 16 et 18, causent la plupart des cancers du col utérin, le deuxième cancer féminin le plus fréquent dans les pays en développement. Cette étude8 vise à démontrer l’efficacité du vaccin tétravalent (HPV-6/11/16/18) sur l’incidence de lésions précancéreuses de grade 2 ou 3, d’adénocarcinomes in situ ou de cancer du col utérin causés par HPV 16 et 18.
Cet essai clinique, randomisé, en double aveugle, multicentrique et sponsorisé par Merck a enrôlé 12 167 femmes. Les critères d’inclusion étaient l’absence de grossesse, un frottis du col normal et un maximum de quatre partenaires sexuels. Une puissance de 90% et une erreur α (alpha) de 0,02 nécessitait 11 500 sujets qui ont reçu aléatoirement le vaccin tétravalent (Gardasil, Merck) ou un placebo à J1 puis aux deuxième et sixième mois. Le suivi standardisé avec test de Papanicolaou et frottis ano-génitaux était en moyenne de trois ans.
L’analyse des femmes négatives pour HPV 16/18 montre que le vaccin diminue de 95% les lésions néoplasiques, correspondant à un nombre de personnes à traiter (NPT) de 99. Dans l’analyse en intention de traiter toutes les femmes randomisées, le vaccin réduit de 44% les lésions dues à HPV 16/18 (NPT = 93) et de 17% les lésions dues à tous les types de HPV (NPT = 128). L’étude a montré une réponse immunitaire persistant à 24 mois, une bonne tolérance au vaccin et aucun impact sur les grossesses ultérieures.
Selon les recommandations CONSORT, cette étude satisfait 21 des 22 critères de qualité, notamment l’analyse en intention de traiter, la puissance et la précision statistique. Il manque un diagramme de répartition des patientes, les données sur la concordance entre évaluateurs et l’expression des résultats en NPT qui doivent être calculés à partir des risques relatifs.
Le vaccin anti-HPV est efficace pour prévenir les lésions néoplasiques du col utérin chez les femmes négatives pour HPV 16/18. Une étude en cours sur quinze ans évaluera l’efficacité du vaccin sur les cancers invasifs, qui n’a pu être démontrée dans cette étude trop courte mais qui est très probable vu l’impact sur les précancéroses apparues dans les deux ans après l’infection.
Les autorités sanitaires suisses recommandent cette vaccination aux adolescentes de 11-14 ans avant le début de l’activité sexuelle, avec un rattrapage durant cinq ans pour les jeunes filles de 15-19 ans. Le coût élevé du vaccin anti-HPV (CHF 710.55 pour trois doses) pourrait favoriser une nouvelle inégalité d’accès aux soins ; cependant ce risque s’amoindrit puisque ce vaccin sera remboursé par l’assurance maladie dans le cadre d’un programme cantonal, comme par exemple à Genève. Les groupes d’experts devront déterminer si la vaccination anti-HPV est une priorité dans les pays en développement mais elle ne permettra pas de surseoir au dépistage par frottis du col, lui aussi coûteux.
Malgré une prévalence de 0,5-1% dans la population, la maladie cœliaque reste un diagnostic difficile. Seul 1/7cas est diagnostiqué et le délai du diagnostic est souvent long (4,9-11 ans).9
La maladie cœliaque peut se présenter sous plusieurs formes symptomatiques. La forme typique inclut des diarrhées, une perte pondérale, et/ou une anémie. Elle peut également se manifester par des symptômes atypiques tels que des douleurs abdominales aspécifiques, un pyrosis, une constipation ou un ballonnement qui amènent souvent le clinicien à poser un diagnostic erroné de colon irritable.10,11
Finalement, une maladie cœliaque peut être à l’origine d’une ostéopénie, d’une élévation des transaminases, d’un diabète insulino-requérant, de symptômes neurologiques, etc.11
La mise en évidence histologique d’une atrophie villeuse du duodénum reste la méthode de choix pour poser le diagnostic de maladie cœliaque.12 La sensibilité de l’endoscopie sans biopsie pour détecter la maladie est de 50-75%. Les tests sérologiques se révèlent être une méthode de dépistage bon marché et non invasive pour détecter la maladie en soins de santé primaire et secondaire.12 Les anticorps antigliadines présentant un sensibilité et une spécificité trop basses, il est communément recommandé de doser les Ac transglutaminase en premier lieu puis de rechercher les Ac antiendomysiaux en cas de Ac transglutaminase positifs (sensibilité > 90%).12 La recherche des allèles HLA DQ2 ou DQ8, présents dans 100% des cas de cœliaquie mais également présents dans 30 à 40% de la population normale, ne se justifie que dans quelques rares situations : dépistage de la maladie chez des parents de premier degré, exclusion de la maladie chez des patients déjà sous régime pauvre en gluten ou patients avec un diagnostic peu clair.10,13
Une étude récente menée dans un centre de gastroentérologie évalue l’utilisation d’un outil d’aide au diagnostic qui combine la sérologie préendoscopique et l’évaluation des symptômes pour poser l’indication à une biopsie duodénale.9 Elle montre les résultats suivants (figure 1 ) : le dosage des Ac transglutaminase s’avère utile pour les patients présentant des symptômes atypiques. En cas de positivité, une biopsie duodénale est indiquée. En cas de négativité, la biopsie duodénale n’est pas indiquée. Pour les patients présentant des symptômes typiques (diarrhée, perte de poids ou anémie), la biopsie duodénale est indiquée, indépendamment de la présence d’anticorps transglutaminase.
Même si la validité d’un tel outil d’aide au diagnostic doit être évaluée dans des centres de médecine de premier recours, cette approche présente des perspectives intéressantes pour cette dernière. En effet, des kits de dépistage de la maladie cœliaque par anticorps transglutaminase au cabinet semblent montrer une sensibilité et une spécificité comparables à des tests sérologiques standards.14 Par ailleurs, l’utilisation plus large des tests sérologiques sur la base de symptômes de ballonnement, de côlon irritable, de maladie thyroïdienne, de fatigue chronique ou de constipation en médecine de premier recours a permis d’améliorer le taux de détection de cette maladie de 43 fois.14
> Un programme national de dépistage de l’infection chlamydiale n’est pas recommandable actuellement en raison du manque de preuves de l’efficacité d’un tel programme
> La contraception orale ne serait pas associée à un risque global d’augmentation des cancers
> Le vaccin anti-HPV (Papillomavirus humains) est efficace pour prévenir les lésions néoplasiques du col utérin chez les femmes négatives pour HPV 16/18. Les autorités sanitaires suisses recommandent cette vaccination aux adolescentes
> Le dosage des Ac transglutaminase s’avère utile pour identifier les patients présentant des symptômes atypiques de maladie cœliaque. En cas de positivité, une biopsie duodénale est indiquée
Screening procedures for genital Chlamydia infection, cancer risks linked to oral contraceptives, indications and efficacy of HPV vaccination, and diagnostic tools for celiac disease in adults ; these are just a few of the general practice themes that were reviewed and analysed in 2007 by residents and chief residents at the Community medicine and primary care Service of the Geneva University Hospitals. These commented summaries, intended for all our colleagues, constitute Geneva’s contribution to the literature data base initiated in 2005 by chief residents in Lausanne.