Il y a encore une vingtaine d’années, la médecine légale était perçue dans l’imagerie populaire comme une discipline un peu surannée et pratiquée par des médecins légistes œuvrant à l’écart du monde hospitalier dans des salles d’autopsie plus ou moins lugubres, selon des méthodes et avec des moyens quelque peu désuets. Deux décennies plus tard, cette discipline se trouve, au même titre que la Police technique et scientifique, propulsée sur le devant de la scène publique par un formidable engouement médiatique. C’est qu’en effet cette discipline a subi une évolution assez extraordinaire grâce aux progrès scientifiques et aux innovations technologiques qui en ont découlé. Cette évolution a démarré en effet à la fin des années 80 avec, d’une part, l’exploitation du polymorphisme génétique comme moyen d’identification des individus sur l’impulsion des travaux de Sir Alec Jeffreys et, d’autre part, l’amélioration des techniques analytiques de séparation chromatographique et de détection par spectrométrie de masse en toxicologie forensique. Ainsi, l’identification quasi certaine de l’auteur d’un crime ou d’une agression au moyen de ses traces biologiques caractérisées sur la victime ou sur les lieux de l’infraction, et cela même en quantités infimes, a pu devenir réalité. Il en a été de même pour la caractérisation d’une intoxication aiguë ou chronique grâce à l’utilisation de matrices alternatives au sang et à l’urine et à l’abaissement significatif des limites de détection des xénobiotiques. Cette progression, en termes de performance diagnostique, s’est ensuite poursuivie avec l’introduction des techniques d’imagerie par CT-scan et IRM comme moyens d’investigations particulièrement performants et complémentaires à l’autopsie médico-légale, cette dernière restant pour le moment encore incontournable. Il convient encore d’ajouter le développement de la pathologie moléculaire pour le diagnostic d’affections génétiquement déterminées, mais sans substrats macroscopiques et histologiques, notamment dans le domaine des arythmies cardiaques ; pathologies à l’origine de mort subite de l’adulte jeune et jusqu’à présent indécelable par les techniques de la pathologie conventionnelle.
Forte de ces progrès, la médecine légale est désormais connue de tous. Elle occupe une place privilégiée parmi les séries audiovisuelles à succès. Elle occupe également une place de choix dans la littérature policière dont une partie, depuis les romans à succès de Patricia Cornwell, est centrée sur le travail du médecin légiste. Cet état de fait n’est évidemment pas sans conséquences. D’une part, il pèse sur la médecine légale une obligation de moyens de plus en plus pressante de la part d’un public plus ou moins conditionné et qui ne comprend pas que la réalité n’est pas toujours aussi simple qu’il n’y paraît dans les médias. A cet égard, la médecine légale nécessite, pour accomplir ses missions, des moyens de plus en plus sophistiqués et donc onéreux, qui grèvent les budgets des instituts de médecine légale d’autant que la discipline n’échappe pas plus que les autres spécialités médicales aux contraintes modernes que sont la compliance aux standards internationaux et l’adhésion à des programmes d’assurance-qualité. Ne serait-ce que de ce point de vue, la création du Centre universitaire romand de médecine légale, résultant de la fusion des instituts universitaires de médecine légale de Lausanne et de Genève, constitue une décision politique marquée du sceau du bon sens. D’autre part, il convient de ne pas occulter des domaines de la médecine légale certes moins médiatisés mais tout aussi fondamentaux que sont la psychiatrie légale, le droit médical et l’implication des médecins légistes dans des missions à vocation humanitaire pour le compte d’institutions internationales ou d’organisations non gouvernementales.
Reste à prévoir ce que pourrait être la médecine légale de demain. Nul n’est prophète en la matière. Il n’est cependant pas exclu, au vu des développements spectaculaires des techniques d’imagerie post mortem, que celle-ci puisse un jour supplanter l’autopsie conventionnelle, au moins dans un certain nombre de cas. Il n’est pas non plus irréaliste de prévoir l’essor des procédés d’investigations biométriques comme futurs moyens, automatisés ou non, d’identification des individus sur la base de spécificités morphologiques. Quoi qu’il en soit, la médecine légale est et restera certainement une discipline particulière fondée sur une autre manière de penser et d’exercer la médecine. Née du besoin de substituer la notion de preuve à celle de l’aveu, à l’époque du siècle des lumières, la médecine légale contribue, au moins dans le domaine qui est le sien, au respect du droit en général et du droit de la défense en particulier. A cet égard, est-il besoin de souligner combien les enquêtes judiciaires et policières ont gagné en efficacité et en célérité avec la modernisation des techniques médico-légales. La médecine légale est de ce fait un facteur de progrès au plan sociétal et mérite donc d’être soutenue et défendue et pas seulement considérée d’un œil amusé et distrait à travers le prisme d’un show télévisuel si plaisant soit-il.