Et si nous n’écoutions pas toujours les discours papaux comme il conviendrait de le faire ? Péché bien véniel à dire vrai puisque sur les sujets essentiels les papes savent, fort heureusement, trouver les moyens de se faire entendre. Ainsi Benoît XVI. Au lendemain de la Fête des morts 2008, il vient de prendre la parole sur l’un des sujets les plus passionnants pour tous ceux qui aujourd’hui s’intéressent aux chocs récurrents de ces deux plaques tectoniques que sont – schématisons – les convictions religieuses personnelles et les acquis scientifiques reproductibles.
Depuis la Cité du Vatican, Benoît XVI vient de redire, urbi et orbi, que l’Eglise catholique adhérait à la pratique des transplantations d’organes dans l’espèce humaine. Il a notamment qualifié le don d’organes comme «un acte de générosité et d’altruisme» du donneur ou de ses proches. Avant toutefois de préciser qu’il appelait de ses vœux «un consensus de toute la communauté scientifique» sur la question de la détermination précise de la mort ; un consensus qui devra tenir compte «des récents progrès» de la science. Le pape s’exprimait dans le cadre de la réception d’une délégation de scientifiques et de médecins catholiques. Benoît XVI a aussi précisé sa position pour ce qui est des trafics d’organes. Sans surprise, il condamne ces pratiques, les qualifie d’«abominables» et souhaite que la communauté scientifique les «rejette». Et dans une logique qui est celle de la religion catholique, il étend sa condamnation à «la création et la destruction d’embryons humains à des fins thérapeutiques».
Le pape estime que «la science, ces dernières années, a accompli de nouveaux progrès dans la détermination de la mort d’un patient». «Il est donc bien que ces résultats obtiennent le consensus de toute la communauté scientifique afin de favoriser la recherche de solutions donnant à tous une certitude, a-t-il souligné. Dans un domaine comme celui-ci, il ne peut y avoir le moindre soupçon d’arbitraire, et là où il n’y a pas encore de certitude le principe de précaution doit prévaloir.»
Bien lire : «Dans un domaine comme celui-ci, il ne peut y avoir le moindre soupçon d’arbitraire, et là où il n’y a pas encore de certitude le principe de précaution doit prévaloir» dit le pape en l’an 2008. Un riche thème de réflexion et un beau sujet pour les lycéens confrontés aux futures épreuves de philosophie. Imaginons.
Quelles raisons poussent le pape à préciser «Dans un domaine comme celui-ci»? Quels autres domaines pourrait-il évoquer ?
Quelles différences peut-on établir ici entre la «certitude» et l’«arbitraire»?
Quelles conséquences pratiques pourraient avoir dans ce domaine l’acceptation officielle du concept du principe de précaution ?
L’intervention du pape, on s’en souvient peut-être, intervient deux mois après la publication par L’Osservatore Romano d’un article remettant en question la mort cérébrale comme critère de la fin de la vie (Revue médicale suisse du 17 septembre). Cet article était signé de Lucetta Scaraffia qui cumule les fonctions de théologienne, de journaliste et de professeur d’histoire contemporaine à l’Université romaine de La Sapienza. Elle est aussi régulièrement invitée à s’exprimer dans les colonnes du quotidien du Vatican. Mme Scaraffia citait notamment alors le cas de femmes enceintes situées dans un coma irréversible ayant été maintenues en vie pour permettre la naissance de l’enfant. «L’idée que la personne humaine cesse d’exister quand le cerveau ne fonctionne plus (…) entre en contradiction avec le concept de la personne de la doctrine catholique», affirmait-elle alors.
Elle observait que depuis quarante ans la définition de la mort est fondée non plus sur l’arrêt cardiaque mais bien sur des caractéristiques encéphalographiques. «Aujourd’hui, de nouvelles recherches (…) mettent justement en doute le fait que la mort du cerveau provoque la désintégration du corps, affirmait encore Mme Scaraffia. Ces considérations ouvrent bien sûr de nouveaux problèmes pour l’Eglise catholique, dont l’acceptation du prélèvement des organes de patients morts cérébralement, dans le cadre d’une défense de la vie humaine intégrale et absolue, tient seulement sur la certitude scientifique présumée que ceux-ci sont effectivement des cadavres».
Porte-parole du Vatican, Federico Lombardi, avait alors aussitôt tenu à prendre ses distances. Le contenu d’un tel article, assurait-il alors, était bien «une contribution intéressante et de poids» mais ne pouvait être «considéré comme une position du Magistère de l’Eglise».
A ce stade, on aimerait bien évidemment disposer de la liberté d’interroger Benoît XVI. On lui demanderait de quels éléments bibliographiques il dispose pour évoquer «de nouveaux progrès dans la détermination de la mort.» On oserait peut-être l’interroger sur la manière dont on pourrait élaborer, sur un tel thème, une conférence de consensus. Peut-être le questionnerait-on aussi sur les possibles ou impossibles congruences entre foi et raison, religion et médecine ?
Nous lui demanderions enfin pourquoi il semble ne pas partager les propos tenus par Jean-Paul II le 29 août 2000, devant les participants à un congrès de la Société internationale des transplantations.
«En ce qui concerne les paramètres utilisés aujourd’hui pour déclarer avec certitude la mort – que ce soient les “signes cérébraux” ou les signes cardiorespiratoires plus traditionnels – l’Eglise ne prend pas de décisions techniques, avait alors déclaré le pape. Elle se limite au devoir évangélique de comparer les données offertes par la science médicale avec une conception chrétienne de l’unité de la personne, en soulignant les similitudes et les conflits possibles capables de mettre en danger le respect pour la dignité humaine.»
Jean-Paul II ajoutait alors que le critère en vigueur – la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale –, dès lors qu’il est rigoureusement appliqué, «ne semble pas en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse». Ainsi, les membres du corps médical ayant la responsabilité professionnelle d’établir le moment de la mort pouvaient, selon lui, utiliser ces critères au cas par cas pour arriver à un degré d’assurance dans le jugement éthique que la doctrine morale qualifie de «certitude morale». A-t-on, au Vatican, commencé à réécrire ce texte ?