Au nom – une nouvelle fois – du principe de précaution est-on à la veille de premières mesures européennes restrictives concernant la commercialisation des laits et des produits laitiers ovins et caprins ? La question est ouvertement posée du fait de nouvelles données scientifiques concernant la transmissibilité de l’agent pathogène responsable de la tremblante du mouton. Pour leur part, et sans attendre la décision de la Commission européenne, les autorités sanitaires françaises viennent de prendre les premières mesures en ce sens.
«Tremblante du mouton» ? Cette pathologie neurodégénérative (également connue sous la dénomination de scrapie) a été pour la première fois décrite en France vers 1730. Elle affecte les ovins et les caprins. Sa répartition est mondiale, mais l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont épargnées. La période d’incubation dure entre un et deux ans. Les manifestations cliniques peuvent présenter de nombreuses variations, dues non seulement aux races ovines et caprines mais aussi aux différentes souches de prions pathologiques. Elles se traduisent toutefois toujours par des troubles nerveux, sensitifs et moteurs, dont l’évolution se fait durant un semestre en moyenne.
On observe généralement ici des troubles du comportement (perte de l’instinct grégaire, hyperexcitabilité, anxiété, agressivité) ; un prurit localisé d’abord à la tête, puis au dos, puis au corps entier et qui entraîne des pertes de laine et des lésions cutanées parfois sévères sur les zones de grattage ; des troubles moteurs (tremblement de la tête puis du corps tout entier, défaut de posture, troubles de la miction, incoordination locomotrice, et finalement impossibilité pour l’animal de se lever).
Le caractère transmissible de cette pathologie a été démontré en France dès 1936.1«Le mode de contamination privilégié en conditions naturelles de la tremblante est la voie orale. La contamination du mouton et des chèvres par la consommation de placentas de brebis infectées a été démontrée ainsi que celle par le pâturage en zone herbeuse contaminée par l’agent de la tremblante, explique-ton auprès de l’Institut national français de la recherche agronomique. La transmission de l’infection à la souris a récemment été réussie à partir de broyats d’acariens du foin, ce qui laisse supposer que les fourrages pourraient servir de réservoirs. Un rôle “inoculateur” des parasites gastro-intestinaux des ruminants a été également suspecté. La transmission “verticale” de la tremblante entre la mère et son petit est controversée. La contamination de l’agneau par les annexes fœtales et les sécrétions génitales au moment de l’agnelage (transmission latérale) reste actuellement privilégiée.»
Va-t-il très bientôt compléter ces données ? La question est ouvertement soulevée après la publication par une équipe britannique, le 8 avril dernier, d’un article scientifique indiquant que le prion pathologique responsable de la forme classique de la tremblante pouvait, via le lait, être transmis à des agneaux génétiquement prédisposés.2Gardant en mémoire les douloureux stigmates de la formidable affaire de la vache folle, la Commission européenne n’a pas tardé à réagir.
Elle a ainsi saisi l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en lui demandant de se prononcer sur la nécessité ou non de réviser les évaluations de risques, disponibles actuellement concernant la transmission à l’homme et à l’animal des agents pathogènes d’encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) via le lait de brebis et de chèvre ainsi que les produits alimentaires élaborés à partir de ces laits. Précisons ici que les laits des animaux atteints de tremblante n’étaient pas jusqu’ici interdits à la consommation animale et humaine, aucune donnée scientifique ne permettant de penser que le lait pouvait être vecteur de transmission.
La réponse des experts de l’EFSA apparaîtra peut-être ambiguë. «Notre groupe scientifique sur les risques biologiques (Biohaz) conclut que le lait et les produits laitiers provenant de troupeaux atteints de la tremblante classique et, dans une moindre mesure, le lait provenant des brebis et des chèvres en général pourraient présenter un risque d’exposition aux agents responsables de cette EST pour les animaux et pour l’homme, indique-t-on auprès de l’EFSA. Cependant, étant donné que la tremblante classique est une maladie animale et qu’il n’a pas été démontré qu’elle puisse affecter l’homme, ces conclusions ont des implications pour la santé des animaux plutôt que pour la santé humaine.» Le groupe Biohaz estime notamment – point important – que le lait des brebis en phase d’incubation de la forme habituelle de la tremblante pouvait contenir des agents responsables de cette EST, et ce même si les brebis ne présentaient aucun symptôme de la maladie.
«Dès lors qu’une maladie animale présente un potentiel risque d’exposition pour l’homme, la Commission estime nécessaire de prendre des mesures pour limiter cette exposition autant que possible, a expliqué Nina Papadoulaki, porte-parole de la Commission pour la santé dans les heures qui ont suivi la publication de l’avis des experts de l’EFSA. La Commission prépare en conséquence des propositions pour interdire l’utilisation du lait d’animaux provenant de troupeaux infectés et pour éviter la vente de ces produits sur les marchés des pays de l’UE. Si les Etats membres sont d’accord, ces mesures d’interdiction pourraient être adoptées avant la fin du mois de novembre.»
Les experts européens se sont également intéressés au risque de transmission des prions pathologiques responsables d’une autre forme dite «atypique» de la tremblante et de la maladie de la vache folle. Le groupe Biohaz souligne qu’en ce qui concerne les brebis et les chèvres, aucune information actuellement disponible ne permet de dire si les agents de ces EST sont ou non présents dans le lait des animaux infectés.
Pour sa part, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) vient de recommander d’interdire la consommation de lait et de produits laitiers de brebis et de chèvres issus de troupeaux atteints de la «tremblante du mouton» ou suspects de l’être. L’Afssa précise que «moins de dix troupeaux sur plus de 10 000 troupeaux laitiers ovins et caprins français sont a priori concernés. Pour ce qui est de l’alimentation non pas humaine mais animale, l’Afssa recommande d’interdire l’utilisation de lait des troupeaux suspects ou atteints ainsi que «la limitation des échanges de lait entre troupeaux».