Sur la base d’une analyse de leur pratique, les membres d’une équipe mobile intra-hospitalière de soins palliatifs proposent de définir le concept de la consultance. En décrivant trois modèles d’interaction entre un praticien et un consultant, ils invitent à prendre conscience de la complexité des enjeux relationnels existant entre les intervenants et espèrent ainsi favoriser leur collaboration au bénéfice du patient.
Un médecin travaillant dans un hôpital universitaire fait appel à l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) pour une demande d’aide dans la gestion de symptômes. Le patient en question souffre d’un cancer colique métastatique. Il se plaint de douleurs abdominales et de vomissements. Après l’avoir examiné, le consultant de l’EMSP fait quelques propositions (introduction et gestion de médicaments). Le lendemain, le consultant passe pour prendre des nouvelles du patient et s’étonne que seulement la moitié de ses propositions aient été suivies. Le patient reste inconfortable. Le consultant rediscute avec le médecin qui exécute les modifications de traitement proposées. Il est alors convenu que le médecin peut appeler le consultant en cas de besoin. N’ayant pas reçu de nouvelles, le consultant revient quelques jours après. Il constate que le patient a toujours des douleurs et des vomissements. Le consultant corrige point par point le traitement du médecin et propose de repasser le lendemain pour un meilleur suivi. Le médecin répond à cette proposition qu’il n’est pas nécessaire de revenir avant une semaine...
A la différence des unités de soins palliatifs qui s’occupent directement des patients et de leur entourage, les EMSP ont pour mission d’améliorer la qualité des soins des malades en situation palliative par l’assistance aux professionnels (médecins et paramédicaux) dits de première ligne. Un but identique, mais une pratique différente. Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), l’EMSP intra-hospitalière (1996) et extra-hospitalière (2003) travaille le plus souvent en binôme médico-infirmier et cherche à concilier dans ses interventions, la réponse à la question des professionnels et les principes de prise en charge prônés par les soins palliatifs.
Bien que les EMSP aient une mission clinique et pédagogique claire, la réalité du terrain pour y répondre est souvent parsemée d’embûches ! C’est en comprenant mieux le concept de la consultance que nous pouvons espérer identifier les obstacles et apprendre à les dépasser.
A notre connaissance, il n’existe pas de définition communément admise par tous du néologisme «consultance» issu de la pratique du consultant. L’origine de cette terminologie se trouve dans la traduction de l’anglais «consulting» couramment utilisé dans le monde managérial.
Son étymologie vient vraisemblablement du latin «consultare», discuter, et implique par là une notion de communication entre un demandeur-client et un répondeur-consultant.
Nous pouvons comprendre la consultance comme un mode d’intervention par lequel un professionnel, généralement reconnu comme expert dans son domaine, donne un avis, un conseil qui apporte à un autre professionnel des éléments lui permettant une réorientation de ses actions. «Le consultant se distingue de l’expert-conseil par le fait qu’il aide ses interlocuteurs à utiliser leurs propres ressources. Ses compétences lui permettent moins de répondre à la question quoi faire mais davantage à la question comment procéder pour trouver des réponses ou des solutions» (R. Lescarbeau, 1990).1
Pour atteindre l’objectif visé, le consultant doit évidemment être compétent dans son domaine. Mais cela ne suffit pas. Il doit également pouvoir comprendre ce qui se situe derrière la demande pour y répondre de manière adéquate (sentiment de mise en échec par la famille ou d’autres professionnels, épuisement, incertitude, etc.). Comme à notre connaissance il n’existe aucune formation de base dans ce domaine, il semble que l’apprentissage de la consultance se fasse sur le terrain par essai/erreur entraînant une grande variabilité de compétences chez les consultants.
Les articles revus (1980-février 2008) par le biais de Medline, Psychinfo et Cinhal ne fournissent que peu de renseignements sur cette pratique de consultant. Le premier auteur à s’être penché sur le sujet est le Dr L. Goldman qui écrivit en 1983 quelques recommandations minimales à l’encontre de ses homologues internistes.2 Il cite, par exemple l’importance de clarifier la question de départ du médecin demandeur. Cela permet, selon l’auteur, d’éviter les dérives tant au niveau des questions inadéquates qu’au niveau des réponses «à côté». En 2007, reprenant ces recommandations, le Dr Salerno met en évidence dans son enquête effectuée auprès de 323 médecins (internistes, généralistes, chirurgiens, chirurgiens-orthopédistes et gynécologues-obstétriciens) des différences importantes au niveau des attentes du fonctionnement des consultants.3 En effet, les chirurgiens orthopédistes, par exemple, souhaitent une prise en charge «globale» de la part des consultants alors que leurs collègues non chirurgiens ne souhaitent rien d’autre qu’une réponse spécifique à une question précise. Dans une étude prospective où sont analysés les facteurs influençant la compliance des médecins demandeurs aux recommandations des consultants, il est constaté que les situations cliniques critiques ainsi que la rapidité de réponse à la demande et le nombre de recommandations (<5) sont des facteurs importants de compliance.4
Dans notre réalité professionnelle, la consultance implique directement un praticien de première ligne et un consultant expert en soins palliatifs (SP) au bénéfice du patient. A partir de l’analyse de notre pratique, nous exposons trois modèles d’interaction : la «consultation», la «suppléance» et le «partenariat».
Nous proposons de développer de manière succincte chaque modèle en soulignant leurs avantages et leurs inconvénients.
Intervention ciblée d’un consultant sur une demande précise d’un praticien. La prise en charge reste totalement sous le contrôle du praticien (figure 1).
Exemples : «Comment faire une rotation d’opioïdes ? Faut-il introduire un antibiotique pour une surinfection pulmonaire ? etc.».
Le patient voit la possibilité d’un soulagement en lien avec la plainte identifiée par le soignant. Il ne reçoit possiblement pas l’aide optimale, d’autres besoins n’ayant peut-être pas été identifiés.
Dans ce type d’interaction, le praticien obtient généralement la réponse souhaitée sans devoir remettre en question sa vision de la prise en charge du patient. Il peut rester centré sur une problématique précise et garder le contrôle de la situation (pas ou peu d’intrusion dans sa relation avec le patient). S’il a peu de temps à disposition, ce type d’intervention lui permet d’en gagner par une «question fermée». Vu l’échange limité, il y a par contre peu d’ouverture à l’élargissement de son champ de vision, et les opportunités d’apprentissage et d’enrichissement par les échanges avec ses pairs d’autres disciplines sont limitées.
Le consultant est reconnu comme un expert et bénéficie de ce fait d’une place hautea dans la relation. La consultation lui prend peu de temps : son rôle est limité à la demande du soignant. En général, à la demande du praticien, l’intervention auprès du patient est ponctuelle. Le consultant n’a pas la possibilité d’évaluer l’impact des propositions ou de l’intervention. Il ne développe pas de lien sur la durée avec le patient et n’a aucun contrôle de la situation.
Mode d’intervention où un soignant de deuxième ligne remplace un soignant de première ligne dans la prise en charge palliative du patient. Une partie ou l’entier de cette prise en charge passe sous le contrôle de la deuxième ligne (figure 2).
Exemples : prise en charge totale de la gestion des symptômes, organisation de rencontre de famille sans la présence du praticien de première ligne, etc.
Le patient bénéficie des soins du spécialiste. Une relation privilégiée s’installe entre eux dont le patient peut profiter à chaque passage. Comme la relation est polarisée vers le spécialiste, le patient risque de se détourner des soignants de première ligne et ne pas investir ce lien. Il peut alors en retour sentir le désinvestissement du praticien de première ligne et se sentir seul (cercle vicieux). Une triangulation de la relation peut en découler, laissant le patient dans une situation difficile où il ne sait plus vers qui se tourner.
Dans ce modèle, le praticien est écarté de la prise en charge palliative du patient, il en perd le contrôle. Cela peut être vécu comme un bénéfice (gain de temps, efficacité), mais aussi parfois comme un inconvénient. Le praticien peut en effet se sentir dépossédé de son rôle ou se sentir incompétent, entraînant une frustration importante. Il n’y a pas de possibilité d’apprentissage ni de cheminement vers l’autonomie dans ce domaine.
Le consultant peut vivre une grande satisfaction et une valorisation par rapport au patient, il a un lien privilégié avec celui-là, il a l’impression de pouvoir répondre aux besoins du patient. Il a un sentiment de contrôle de la situation. L’intervention auprès du patient est régulière et se fait selon l’évaluation et le souhait du consultant. Il peut par contre se sentir par moment mal à l’aise face au soignant auquel il se substitue partiellement et auquel il doit passer le relais lors de ses absences.
Mode d’intervention où un soignant de première ligne et un soignant de deuxième ligne échangent leurs points de vue pour prendre en charge le patient avec un contrôle partagé de cette prise en charge (figure 3).
Exemples: évaluation conjointe du confort du patient, élaboration commune d’un projet palliatif réaliste, partage des entretiens d’accompagnement, etc.
Le patient bénéficie d’une amélioration du soutien du praticien qui est appuyé dans sa prise en charge par l’équipe de deuxième ligne. Il peut ressentir la cohérence de la collaboration centrée sur lui mais peut être incommodé par la présence d’un intervenant supplémentaire dans sa situation.
Dans cette interaction, le praticien reste en lien avec le patient et collabore avec le consultant pour améliorer la prise en charge du patient. Cela lui permet de rester le soignant de référence du patient, de partager son expérience avec le consultant et de poursuivre l’accompagnement du patient tout en étant lui-même accompagné. Il peut également se former par les apports du consultant et former le consultant avec son expertise dans un domaine différent. Cette démarche nécessite du temps pour les échanges avec le consultant et les éventuelles visites communes au patient, ce qui n’est pas toujours aisé. Elle demande également une certaine maturité pour pouvoir nommer ses attentes, ses limites et ses besoins, ainsi qu’une reconnaissance des expertises réciproques (ce qui est également valable pour le consultant).
Son regard étant porté sur les deux acteurs (praticien, patient), le consultant peut répondre à leurs besoins respectifs et ainsi développer son rôle de formateur tout en poursuivant celui de soignant. Il est un appui pour le praticien de première ligne grâce au soutien et à la formation. L’intervention auprès du patient est négociée entre les deux partenaires (collaboration). Le consultant peut bénéficier de nouveaux apprentissages par le soignant. Le consultant peut par moment être frustré de la nécessité d’aller au rythme du soignant non habitué à ce genre de démarche.
Les trois modèles d’interaction entre un praticien et un consultant présentés dans cet article ont leur utilité en fonction des besoins et des situations. Dans cette démarche de travail ensemble, chaque protagoniste est coresponsable de l’interaction.6 La responsabilité du consultant est d’avoir une certaine souplesse en fonction du praticien. Dans une démarche dynamique d’accompagnementb et tout en respectant le rythme du praticien demandeur d’aide, le consultant peut cependant proposer «d’ouvrir de nouvelles portes», pour que les interactions s’enrichissent au fil des expériences.
Quant au praticien, sa responsabilité est de savoir quel type d’interaction il souhaite lorsqu’il fait appel à un consultant.
Ces dernières années ont vu émerger le travail en réseau et le développement du travail en partenariat qui peut sembler être un idéal du travail communautaire. La tendance d’une EMSP serait de tendre vers ce modèle en espérant pouvoir encore améliorer la prise en soins des patients palliatifs, mais au vu de ce qui a été décrit ci-dessus, est-ce vraiment la voie à suivre?
> Les équipes mobiles de soins palliatifs travaillent en tant que consultants en portant assistance aux équipes soignantes dites de première ligne dans la prise en charge du patient
> Les interactions entre un praticien et un consultant peuvent se dérouler selon différents modèles qui méritent d’être connus
> Les différents acteurs impliqués ont des responsabilités dans la réussite de leur travail ensemble pour apporter des soins optimaux au patient