L’actualité 2008 des dépendances est centrée sur l’avancée des neurosciences psychiatriques dans le domaine des addictions mais aussi sur les clarifications nécessaires face à la complexité des comorbidités psychiatriques des addictions, notamment en cas de schizophrénie. Enfin, le praticien trouvera des considérations utiles pour la prescription de traitements de substitution chez des patients VIH en trithérapie.
Les actualités 2008 en médecine des dépendances concernent de nombreux champs interdisciplinaires. Les dépendances continuent d’être marquées par les avancées des neurosciences psychiatriques. La question des comorbidités psychiatriques avec les addictions reste aussi très actuelle, surtout dans les rapports avec la schizophrénie. Par ailleurs, le thème du jeu pathologique illustre bien les développements des addictions sans substance et leur relation avec la psychobiologie des mécanismes impliqués, par exemple dans la pharmacothérapie de la maladie de Parkinson. Enfin, le problème des interactions entre traitement de substitution et traitement antirétroviral des patients VIH est présenté dans une perspective de médecine de premier recours.
J. Grivel et M. Rihs-Middel
Le jeu pathologique et la dépendance aux substances résident actuellement dans des catégories de troubles distinctes dans la quatrième édition révisée du DSM1 (Diagnostic and statistical manual of mental disorders) de l’Association américaine de psychiatrie. Le jeu pathologique a été initialement classé comme un trouble du contrôle des impulsions et la dépendance aux substances psy-choactives comme un trouble lié à une substance. Pour autant, il existe de multiples critères diagnostiques, phénoménologiques, épidémiologiques, cliniques, génétiques et neurobiologiques du jeu pathologique qui recouvrent ceux de la dépendance à une substance,2-4 à tel point que le jeu pathologique est de plus en plus fréquemment décrit comme une «addiction sans substance».5,6
Nous allons présenter ici quelques arguments psychobiologiques soutenant ce point de vue.
Au niveau neurophysiologique, le jeu pathologique et les troubles liés aux substances comportent des similitudes dans les modifications qu’ils induisent sur les systèmes de neurotransmission. La comparaison entre les joueurs pathologiques et les sujets contrôles montre, par exemple, de plus hauts taux de noradrénaline dans l’urine, le sang et le liquide céphalorachidien des joueurs pathologiques,7 une différence qui est retrouvée chez les consommateurs de substances psychoactives.8 En plus de son rôle dans l’éveil et l’excitation, la noradrénaline pourrait influencer la fonction du cortex préfrontal et des réseaux attentionnels postérieurs.9 Des similarités biochimiques impliquant le système sérotoninergique (5-HT) ont également été observées dans ces deux types de troubles. De faibles taux d’acide acétique 5-hydroxyindole, un métabolite de la 5-HT, ont en effet été retrouvés dans le liquide céphalorachidien d’individus souffrant de jeu pathologique et d’individus alcoolodépendants.10 La dysfonction sérotoninergique pourrait contribuer au déficit d’inhibition qui empêche les individus de contrôler leurs comportements. Des modifications des voies dopaminergiques ont été proposées comme étant la base neurobiologique des comportements addictifs liés au jeu ou aux substances psychoactives.11-14 Une étude sur le besoin incoercible de jouer chez des joueurs pathologiques et de consommer de la cocaïne chez des cocaïnomanes a remarquablement mis en évidence une diminution semblable de l’activité du striatum ventral (une structure fondamentale de la voie mésolimbique) des patients par rapport à des sujets contrôles, pendant la présentation de vidéos illustrant respectivement des comportements de jeu ou de consommation de cocaïne.15 Le système à opiacés endogènes, qui régule l’activité des neurones dopaminergiques de la voie mésolimbique16 influence le plaisir ressenti lors de la réalisation du comportement addictif. Ainsi, les individus avec un système à opiacés altéré ressentent une euphorie intense et éprouvent par conséquent des difficultés plus importantes à contrôler les comportements liés à l’objet d’addiction. Au niveau neurocognitif, il semble qu’il existe des similitudes importantes en termes de déficits des capacités de concentration, de mémoire et des fonctions exécutives entre les joueurs pathologiques et les individus toxicodépendants.17-19 La diminution de l’activité du cortex préfrontal ventromédian, une région critique du circuit de la prise de décision et de l’évaluation du ratio risque/récompense, semble jouer un rôle prépondérant dans cette symptomatologie commune.20-24 En conclusion, de nombreuses études montrent qu’il existe un lien psychobiologique étroit entre le jeu pathologique et la dépendance aux substances psychoactives. Ces arguments sont en faveur de l’inclusion du jeu pathologique et de la dépendance aux substances dans une nouvelle classification commune sous le terme d’addiction (avec et/ou sans substance). De plus, la co-occurrence substantielle qui existe entre ces troubles25-28 rend fondamentale une compréhension plus complète de ces similitudes pour poursuivre l’élaboration de stratégies de prévention et de traitements plus efficaces en addictologie.
I. Gothuey
La co-occurrence de problématiques d’abus ou de dépendance aux substances psychotropes et d’un trouble psychique est fréquente, allant jusqu’à 57% de prévalence selon les études.1,2 D’une part, l’abus de substances est très fréquent parmi les patients présentant des pathologies psychiatriques ;3 d’autre part, les patients dépendant d’alcool et de drogues sont susceptibles de développer, voire d’aggraver une symptomatologie psychiatrique aiguë. Ces deux problématiques s’avèrent souvent intriquées, interagissent mutuellement l’une sur l’autre.3 On évoquera alors pour décrire ces patients qui souffrent à la fois de troubles psychiques et de troubles addictifs, les termes de comorbidité, de double diagnostic ou de troubles concomitants.
Pour le sous-groupe des patients schizophrènes, la littérature suggère que 50% d’entre eux sont susceptibles de souffrir d’un trouble addictif associé à leur trouble psychique, au cours de leur vie.4 On sait aujourd’hui qu’ils utilisent préférentiellement l’alcool et le cannabis5 et que l’impact de la consommation de substances sur leur évolution est important : aggravation des symptômes positifs, des troubles cognitifs, survenue plus fréquente de troubles dépressifs, majoration des conduites suicidaires et des violences. Ils sont également plus difficiles à traiter et à retenir dans le système de soins, présentant des problèmes de compliance, de multiples hospitalisations en milieu psychiatrique et somatique, sont plus souvent SDF et fortement marginalisés.6 Les hypothèses étiopathogéniques vont dans le sens d’une combinaison complexe de facteurs psychologiques, sociaux et biologiques.
Le problème soulevé par les soins à offrir à cette population est non négligeable : la littérature relève qu’il faudrait associer traitements psychiatrique et addictologique, mais que les filières de soins sont trop cloisonnées, se renvoyant ces patients mutuellement. Il est établi qu’au sein des structures de soins des addictions, la schizophrénie est sous-diagnostiquée et qu’au sein des équipes de soins psychiatriques, les professionnels, quand ils identifient le problème addictologique, peinent à se sentir compétents pour aborder les problèmes d’abus de substances.7
Les traitements intégrés semblent particulièrement recommandés; ceci signifie qu’il faut intégrer au sein des prises en charge psychiatriques les soins addictologiques suivants : s’occuper des problèmes somatiques (VIH, hépatites B et C, complications cardiovasculaires, hépatiques et infectieuses), effectuer des tests urinaires réguliers, définir les médications appropriées qui tiennent compte à la fois de la comorbidité psychiatrique et des interactions médicamenteuses avec les drogues ; il faut aussi associer des interventions psychologiques efficaces telles que les thérapies motivationnelles modifiées et enfin offrir une réponse appropriée aux problèmes de sommeil, d’anxiété ou de dépression qui peuvent survenir de manière intercurrente.8,9 Les médications les plus appropriées pour cette patientèle semblent être les neuroleptiques atypiques, parfois associés à la naltrexone, qui réduisent significativement la consommation de substances et la rechute schizophrénique.10
Ces patients comorbides souffrent aussi d’une grande vulnérabilité au stress, ils sont ainsi particulièrement exposés à la rechute dans les abus de substances, même après des rémissions prolongées. On a montré que des stratégies de prévention de la rechute étaient efficaces et devaient être associées au traitement au long cours prodigué à ces patients.11
En 2006, une étude de Drake RE mentionne les résultats de dix ans de suivi au sein d’un programme intégré de soins de 130 patients schizophrènes et abuseurs de substances. Cette étude est la première qui montre que 62% d’entre eux sont stabilisés sur le plan psychique, 62% sont en rémission sur le plan des abus de substances, 57% vivent de manière autonome, 41% ont des emplois dans le monde professionnel usuel, 49% ont un entourage social non abuseur de substances. Ces chiffres s’avèrent être meilleurs que ceux du groupe contrôle de patients schizophrènes non dépendants, en termes de qualité de vie et d’habiletés sociales.12
Les facteurs pronostiques d’évolution favorable de la maladie mentale comme de l’addiction sont au nombre de trois : la capacité du système de soins à retenir le patient dans le dispositif de soins (rétention en soins), l’alliance thérapeutique (l’engagement dans le traitement et la compliance) ainsi que le degré de motivation. Quelques études se sont intéressées aux résultats des traitements intégrés en comparant leur taux de rétentions en soins. Ainsi, une étude longitudinale comportant 96 centres de traitement dans onze villes des Etats-Unis : les centres étudiés étaient assez différents, comportaient à la fois des centres résidentiels à visée d’abstinence, des centres ambulatoires de traitement alcoologique ou dispensant des traitements de substitution. Cette étude montre que les centres résidentiels pour patients dépendants qui ont sur leur site un service psychiatrique, ont un meilleur taux de rétentions que ceux qui n’en ont pas. Les programmes ambulatoires, quand ils comportent un pôle de traitement de substitution à la méthadone, semblent eux mieux retenir les schizophrènes souffrant de graves troubles antisociaux.13
Si les traitements intégrés semblent être une réponse pragmatique nécessaire pour surmonter les problèmes de collaboration et de coordination entre deux filières de soins séparées, ils n’ont pas fait véritablement la preuve de leur supériorité sur le plan scientifique par rapport aux traitements conduits en parallèle dans des conditions de collaborations aplanies.14,15 Certains auteurs recommandent d’ailleurs de croiser les équipes thérapeutiques des structures de soins psychiatriques et d’abus de substances pour essayer de surmonter ces écueils de collaboration.16 On ne sait donc pas à l’heure actuelle, si nous avons de la difficulté à traiter ces patients à cause de défauts structurels de collaboration entre deux filières de soins historiquement séparées ou si les aspects particuliers et complexes de leur psychopathologie demandent des adaptations internes de nos programmes de soins respectifs.
A. Luongo, A. Abudureheman et O. Simon
Dans le DSM-IV, le jeu pathologique (JP) est défini comme une «pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu» (1994), malgré des conséquences personnelles, familiales et professionnelles négatives. Driver-Dunkley et ses collègues (2003)1 ont mis en évidence un taux d’incidence du JP d’environ 0,5%, sur un échantillon de 1884 patients présentant une maladie de Parkinson. Pour ces auteurs, et selon les études de cas issues de la littérature neurologique, les patients parkinsoniens traités par agonistes dopaminergiques sont un groupe à risque de développer un comportement de JP.
L’hypothèse principale retenue par les neurologues est qu’une haute dose de dopamine induirait un comportement de recherche de nouveauté et de récompense, qui pourrait être compensé chez certains sujets par le développement du comportement de jeu.2
Toutefois, si la médication était l’unique facteur impliqué, une diminution ou l’arrêt du traitement dopaminergique devrait induire une amélioration des symptômes de JP. La réalité apparaît davantage complexe : alors que certaines études montrent un arrêt du comportement de JP après modification du traitement dopaminergique,1,3-6 d’autres études ne montrent aucun changement de comportement après modification de la médication (tableau 1).2,7,8
Afin d’illustrer la complexité du lien entre la maladie de Parkinson et le JP, nous nous proposons de décrire nos observations sur l’évolution du comportement de jeu chez les personnes, présentant une maladie de Parkinson, qui ont consulté notre centre de traitement ambulatoire, spécialisé dans la prise en charge des joueurs pathologiques. Le but est de repérer la présence concomitante éventuelle de facteurs psychosociaux par ailleurs connus pour être des facteurs de risque de développement du JP, et de décrire les réponses des patients quant aux modalités thérapeutiques retenues, autres que la modification de la médication.
Sur 269 consultants observés entre 2001 et 2007, nous avons identifié quatre personnes présentant la maladie de Parkinson. Ces personnes ont été évaluées selon différentes données standardisées qui incluent les caractéristiques démographiques, l’année de la première consultation au Centre du jeu excessif, le motif de consultation, les antécédents et l’évolution du comportement de jeu, l’évolution de la maladie de Parkinson et du traitement dopaminergique, les facteurs psychosociaux à risque de développer un JP (comorbidités psychiatriques, événements de vie stressants, opportunité de jeu, antécédents de jeu récréatif, etc.), les facteurs d’amélioration du comportement de JP.
En accord avec l’hypothèse du rôle inducteur de la médication, les quatre personnes observées ont développé un JP après la modification de leur traitement dopaminergique. Dans chaque situation, nous trouvons des facteurs de risque psychosociaux, tels que des épisodes dépressifs, des divorces ou l’augmentation de l’opportunité de jeu, qui peuvent être liés au développement du JP. Trois personnes présentaient un risque accru de développer un JP, par le fait d’avoir eu une période de jeu récréatif, préalable au diagnostic de maladie de Parkinson. Sur le plan de la modalité thérapeutique, les quatre personnes observées n’ont pas été sensibles à une approche cognitive classique, relative aux croyances erronées concernant les jeux de hasard et d’argent. Par contre, les mesures comportementales, telles qu’un accompagnement dans la gestion financière en réseau avec d’autres professionnels ou un proche, se sont révélées un facteur important de l’amélioration du comportement de jeu, dans nos quatre observations.
En accord avec notre hypothèse, nous retrouvons donc chez les quatre personnes investiguées, différents facteurs psychosociaux susceptibles d’augmenter de manière importante le risque de développer un JP, indépendamment de la présence de la médication dopaminergique. Le développement actuel d’autres programmes spécialisés devrait permettre de multiplier les observations, et de tirer des conclusions plus précises quant aux implications thérapeutiques particulières. Il importe notamment de sensibiliser les équipes intervenantes en neurologie à l’identification des facteurs psychosociaux qui peuvent accroître le risque de développer un JP et qui justifient une information plus ciblée des patients, avant l’introduction de la médication prodopaminergique.
A. Pelet
Les patients toxicodépendants VIH positifs ou sidéens présentent des défis complexes pour les praticiens de premier recours. Face à des traitements de plus en plus spécialisés, le rôle du médecin de premier recours n’est pas toujours clair, même en sachant que la rétention dans un traitement de substitution des opiacés non seulement réduit la transmission du VIH1 mais diminue également la mortalité,2 et améliore la compliance du traitement antirétroviral (ARV) (tableau 1).3
Plusieurs molécules des ARV modifient le métabolisme de la méthadone (ou de la buprénorphine) et nécessitent une augmentation ou une diminution des doses (tableau 2). Certains patients sont réticents à augmenter leur dose de méthadone, car plus la dose est élevée, plus le sevrage sera long. La transmission de cette information au médecin prescripteur de l’ARV sera utile pour choisir le traitement ARV.
Les patients toxicodépendants stabilisés peuvent emporter leur traitement de méthadone pour plusieurs jours. Toutefois, les ARV pris sous supervision avec la méthadone (direct observed therapy, DOT) résultent en une meilleure compliance.4 Dans la pratique, la réintroduction d’une prise journalière de l’ARV avec méthadone sous supervision peut être interprétée par le patient comme un retour en arrière. Une DOT doit être discutée et expliquée au patient avant le début de l’ARV (par exemple en cas de rechute).
Certaines molécules de l’ARV peuvent augmenter ou diminuer le métabolisme de la méthadone ou de la buprénorphine via le cytochrome P4505 et provoquer des symptômes de sevrage ou de surdosage (tableau 2). Dans la littérature, pour la même molécule ARV prescrite, certains patients nécessitent une adaptation des doses de méthadone, et d’autres non.6 Les prescripteurs et le patient peuvent confondre effets secondaires de l’ARV et signes de sevrage. L’induction du métabolisme peut varier selon les substances entre 1-2 jours et plusieurs semaines.5 Bruce et coll.5 proposent d’évaluer le patient au minimum quatre jours après le début de l’ARV, et d’augmenter les doses de méthadone de 10 mg tous les 2-3 jours ou plus souvent jusqu’à l’arrêt des symptômes de sevrage. En cas de doute, un dosage de la méthadonémie peut être utile.7 La méthadone doit parfois être prescrite en deux fois par jour. Dans le cadre de la buprénophine, plusieurs cas d’overdose liés au changement de métabolisme en association avec la prescription d’inhibiteurs de la protéase (Reyataz) ont été décrits.8
En cas de rechute, le médecin de premier recours appliquera les stratégies élaborées préalablement (DOT ou arrêt de l’ARV) et maintiendra le contact avec l’infectiologue. En cas d’arrêt de l’ARV, la méthadone (ou buprénorphine) peut être rétablie à la dose pré-ARV en 1-3 semaines.5
The highlights 2008 in the addiction field are correlated to the progress of psychiatric neurosciences. Clarifications are also necessary towards the psychiatric comorbidities (schizophrenia) with the addictions. Then, useful considerations are given for the prescription of substitution treatment among HIV patients under tritherapy.