Le diagnostic des allergies s’effectue le plus fréquemment par la mise en évidence d’anticorps de type IgE spécifiques à des allergènes courants, soit par des tests cutanés, soit par des tests in vitro. Les stratégies de dépistage doivent être dictées par l’anamnèse afin d’éviter les tests inutiles et la surinterprétation de tests indiquant exclusivement une sensibilisation et non une allergie clinique. Cette revue indique au praticien les divers tests à disposition et quand les utiliser de manière rationnelle.
Avec environ un habitant sur quatre de notre pays qui souffre d’une maladie allergique, il est évident que tout médecin de premier recours est régulièrement confronté au choix de tests diagnostiques dans le cadre de bilans allergologiques. La palette des différents tests et des nombreux allergènes à disposition rend parfois ce choix difficile. Le but de cette revue est de proposer une stratégie diagnostique pour le médecin de premier recours et de revoir l’utilité des divers tests à disposition.
La classification des maladies allergiques distingue celles-ci selon leur mécanisme en IgE ou non IgE-médié. La plupart des pathologies présente une médiation par les IgE (conjonctivite et rhinite allergiques, asthme allergique et allergie alimentaire). Certaines pathologies sont assimilées aux allergies mais sans qu’un allergène ne soit forcément impliqué (dermatite atopique), ou peuvent ressembler à une allergie IgE-médiée (certaines allergies alimentaires non IgE-médiées à symptômes gastro-intestinaux, ou des intolérances). Le but du test allergologique est donc de confirmer l’allergie et son mécanisme, d’identifier l’allergène en question et surtout de proposer une stratégie d’éviction et/ou de traitement symptomatique ou curatif.1
Dans cette revue, nous allons nous focaliser sur les tests IgE-médiés qui dépistent les pathologies avec une sensibilisation initiale à un allergène suivie d’une fabrication d’IgE spécifiques mise en évidence soit par le lien des IgE spécifiques sur les mastocytes de la peau ou par des IgE spécifiques circulants.
Comme mesure préalable à tout diagnostic, l’anamnèse joue un rôle déterminant car elle permettra de sélectionner les patients qui bénéficieront d’un diagnostic allergique.2 Parmi les pathologies allergiques, les plus fréquentes touchent l’œil (conjonctivite aiguë), le nez (rhinite aiguë et persistante) ou le poumon (asthme). Un patient présentant une conjonctivite et une rhinite saisonnières correspondant aux mois de pollinisation des arbres (en Suisse de février à fin avril) ou des pollens de graminées et de céréales (de fin avril au début de l’été) sera fort suspect d’une conjonctivite et d’une rhinite allergiques réactives aux pollens. De même, un patient présentant une crise d’asthme lors de chaque exposition à un chat évoquera fortement le diagnostic d’asthme allergique aux poils de chat. Par opposition, certains patients peuvent présenter une pathologie occasionnellement en relation avec une allergie (par exemple un enfant de moins de trois ans avec une dermatite atopique modérée ou sévère). Néanmoins, dans ce type de pathologie, l’anamnèse ne permet que rarement de mettre en évidence un aliment particulier. Dans ces trois cas, l’anamnèse permettra de déterminer les allergènes testés ainsi que la stratégie d’investigation.
Chez un patient présentant une anamnèse claire, évoquant une allergie à une substance précise (par exemple asthme en présence de chat), l’utilité d’un diagnostic ciblé sur un ou deux allergènes précis est prépondérante. Certains patients présenteront une anamnèse évoquant une allergie à différents allergènes potentiels (conjonctivite ou rhinite au printemps et au début de l’été) nécessitant un screening impliquant un groupe d’allergènes (dans ce cas, des pollens d’arbres, de graminées et éventuellement d’herbacées), permettant d’appréhender toutes les allergies et sensibilisations possibles. Finalement, certains patients présentent une anamnèse relativement peu claire pour une allergie ; chez ceux-ci le but du diagnostic allergologique est d’exclure une allergie. Chez ces patients, un bloc d’allergènes peut être testé et un résultat négatif permet d’exclure la pathologie et d’orienter les investigations dans une autre direction (figure 1).
Le praticien a généralement à disposition des tests d’allergie par tests cutanés (par la méthode du Prick) ou par la mesure d’IgE spécifiques dans le sérum.
Les deux tests présentent une sensibilité et une spécificité similaires qui, lorsque les tests sont pratiqués correctement, dépendent plus de l’allergène que de la méthode utilisée. Notons que les tests cutanés sont bon marché et présentent l’avantage d’un résultat quasi immédiat (quinze minutes). Le désavantage est la nécessité de maîtriser la méthode du test cutané qui nécessite un apprentissage initial et un entraînement constant.3
Le diagnostic in vitro de l’allergie IgE-médiée se fait par la mesure des IgE spécifiques circulant dans le sérum par des méthodes standardisées qui permettent, dans la majorité des cas, des comparaisons inter-laboratoires. Sauf dans quelques cas précis comme les allergies alimentaires, les méthodes quantitatives ne présentent pas d’avantage direct pour le praticien. Certains laboratoires proposent des tests basés sur la mesure des IgG, notamment pour dépister d’éventuelles allergies alimentaires. Ce type de mesures n’a jamais prouvé son utilité et mène fréquemment à des régimes inutiles, la présence d’IgG positifs étant le reflet d’une exposition naturelle à un allergène, donc un aliment ingéré.4
Tout test d’allergie nécessite une interprétation qui bute sur une difficulté majeure consistant dans le fait qu’un test positif ne signifie pas forcément présence d’une allergie. En effet, le système immunitaire d’une personne prédisposée aux allergies (sujets atopiques) fabriquera fréquemment des IgE spécifiques à des allergènes courants que la personne tolère par ailleurs sans problème. On parle alors de sensibilisation en l’absence d’allergie. Un des cas les plus fréquents est la présence d’un test positif pour les pollens de graminées alors que la personne ne présente aucun symptôme de rhume des foins aux mois de mai et de juin. Ce test indique alors la présence d’une atopie et probablement d’un risque augmenté de développer dans le futur une allergie aux pollens de graminées. Ce patient ne nécessite néanmoins aucune mesure particulière. La mise en évidence d’une sensibilisation, en l’absence d’une allergie, peut être plus difficile chez un enfant qui présente un eczéma sévère avec un test positif au lait ou au blanc d’œuf, alors qu’il mange régulièrement cet aliment et qu’on suspecte une allergie à cet aliment comme un facteur aggravant. L’anamnèse n’étant pas déterminante, il faudra recourir à un test de provocation pour poser un diagnostic exact avant d’instituer un régime.5
Pour diminuer le risque d’un test positif indiquant exclusivement une sensibilisation, le praticien devra se poser la question avant tout diagnostic allergologique de la probabilité pré-test d’un test positif, notamment en connaissant la prévalence de l’allergie dans une situation clinique donnée. Un enfant avec une dermatite légère (la majorité des patients) présente une probabilité pré-test très faible d’avoir une allergie alimentaire associée à son eczéma, une probabilité élevée d’être seulement sensibilisé.6 Dans ce cas, le diagnostic allergologique est contre-indiqué et le risque d’avoir un test positif en raison d’une sensibilisation versus une vraie allergie est nettement plus important et nécessite alors, pour un diagnostic précis, un test de provocation qui, dans la majorité des cas, restera négatif. A l’opposé, un patient qui a réagi à deux reprises, dix minutes après l’ingestion de crevettes en présentant une urticaire, a une probabilité pré-test élevée d’avoir une vraie allergie aux crevettes. Le test sera très probablement un vrai positif et la procédure diagnostique sera indiquée chez ce patient.
La pratique du diagnostic en allergologie a bénéficié de progrès notables ces dernières années, dont les deux plus importants sont le diagnostic à l’aide de protéines recombinantes ainsi que le diagnostic multiple à l’aide de composants allergéniques sur des micros-chips (component resolved diagnosis).7
La fabrication de protéines recombinantes permet d’avoir un diagnostic plus spécifique à la protéine et donc de cibler la recherche d’anticorps et de diminuer le bruit de fond dû à la fixation d’anticorps non important. Par ailleurs, diverses études ont permis de relier des profils de réactivité à des recombinants avec des situations cliniques particulières (comme par exemple, le syndrome d’allergie orale, versus la réaction anaphylactique à certains fruits ou légumes).8 Le diagnostic à l’aide de recombinants permet également de cibler les patients présentant une meilleure réponse à une immunothérapie et donc d’améliorer des chances de succès pour un patient présentant une pathologie respiratoire à un allergène donné.9
Le diagnostic des allergies en utilisant des composants allergéniques multiples sur des micros-chips a permis d’augmenter de manière importante le nombre d’allergènes testés avec une quantité minime de sérum. Ces procédés diagnostiques permettent de déterminer des profils complets de réactivité à plus de 100 allergènes. La difficulté majeure que l’on rencontre dans ce genre de situation est la discrimination entre les sensibilisations et les vraies allergies ainsi que la relevance clinique des différents profils de sensibilisation. Si ces nouvelles méthodes diagnostiques peuvent être d’une certaine utilité chez le spécialiste, elles ne devraient pas être utilisées par le praticien, ce type d’examen menant souvent à une surinterprétation et donc à des régimes d’évictions inutiles.
Enfin, le praticien a depuis quelques années, la possibilité de déterminer les profils de réaction par panels d’allergènes après prise de sang capillaire. Ces tests doivent être utilisés comme tests indicatifs, semi-quantitatifs avec toujours le risque d’une surinterprétation de tests positifs en cas de sensibilisation exclusive (cas 1 et 2).10
Vous êtes en présence d’une jeune femme de 24 ans qui présente depuis cinq ans une rhinite et une conjonctivite dont l’intensité augmente avec les années. Le traitement par antihistaminique oral, corticoïde nasal topique et collyre antihistaminique devient de moins en moins efficace et la patiente a également présenté une toux irritative l’année précédente. Les symptômes apparaissent dès le début avril et subsistent jusqu’au début juillet. L’anamnèse vous fait suspecter une allergie à divers pollens et vous effectuez un bilan par IgE spécifiques qui revient positif pour le pollen de bouleau ainsi que les pollens de graminées et de céréales. Dans ce cas, votre diagnostic sera celui d’une rhinite et une conjonctivite aux pollens de bouleau et aux pollens de graminées et de céréales. L’indication est posée pour une immunothérapie dont vous aurez discuté les modalités avec votre collègue allergologue. Dans ce cas, le diagnostic allergique est utile car il entraîne une sanction thérapeutique en rapport avec l’hypersensibilité détectée par les tests.
Vous êtes consulté par les parents d’un enfant de sept ans, qui présente une grande nervosité ainsi que, selon les parents, des selles défaites et des éruptions occasionnelles que vous n’avez jamais objectivées mais qui pourraient être compatibles avec des poussées occasionnelles d’eczéma. Les parents, persuadés de l’existence d’une cause allergique, vous poussent à faire un bilan alimentaire. Vous effectuez un bilan de dépistage avec quinze aliments fréquemment ingérés incluant le blé, le lait, le chocolat, les pommes de terre et les cacahuètes. Notons que par ailleurs cet enfant présente une rhinite allergique aux mois de mai et de juin depuis trois ans déjà. Votre bilan revient positif pour les cacahuètes ainsi que le blé. Les parents sont persuadés que vous avez diagnostiqué une allergie au blé et aux cacahuètes et vous demandent pratiquement comment effectuer le régime. Dans ce cas, la probabilité pré-test d’une allergie à l’un de ces aliments est très faible et, en présence d’une rhinite aux pollens de graminées, le risque d’une réactivité croisée in vitro sans conséquence clinique au blé et aux cacahuètes est élevé. Vous vous trouvez donc en présence d’une sensibilisation sans traduction clinique et un régime, dans cette situation, serait inutile et entraînerait une diminution notable de la qualité de vie. Le bilan allergologique chez ce patient n’est donc pas justifié.
Le médecin de premier recours dispose d’un instrument extrêmement utile dans le diagnostic des maladies allergiques, c’est-à-dire l’anamnèse qui lui permettra de faire un premier tri sur la nécessité d’effectuer des examens complémentaires ainsi que sur la méthode d’investigation et le type d’allergène investigué. Dans tous les cas, les résultats doivent être mis en corrélation avec la clinique et une sanction thérapeutique ne devrait pas intervenir sans test de réexposition à l’allergène le cas échéant.
Le diagnostic des allergies s’effectue le plus fréquemment par la mise en évidence d’anticorps de type IgE spécifiques à des allergènes courants, soit par des tests cutanés, soit par des tests in vitro. Les stratégies de dépistage doivent être dictées par l’anamnèse afin d’éviter les tests inutiles et la surinterprétation de tests indiquant exclusivement une sensibilisation et non une allergie clinique. Cette revue indique au praticien les divers tests à disposition et quand les utiliser de manière rationnelle.