Qu’il s’agisse du syndrome des bébés secoués, des enfants battus, des abus sexuels, de la violence domestique ou de la maltraitance des personnes âgées, la violence s’exerçant sur un proche est hélas très fréquente dans notre société. D’où vient la violence ? Pour Freud et pour Mélanie Klein, à la pulsion de vie répond la pulsion de mort, pulsion destructrice, force irrépressible qui peut être dirigée contre autrui pour lui imposer son pouvoir, le soumettre ou répondre à sa violence. Cette force agit également à l’intérieur de l’organisme lui-même en induisant l’angoisse d’être désintégré. Elle conduirait inconsciemment à la mort de l’individu, un peu comme l’apoptose aboutit à la mort de la cellule.1 La violence peut être psychologique (humiliation, asservissement, harcèlement, menaces, contraintes), physique, sexuelle ou économique. La violence est fréquente : en Suisse, 28 femmes meurent chaque année (six par an à Genève) des suites de mauvais traitements ; 40% des femmes sont exposées au cours de leur vie adulte à des violences verbales, physiques ou sexuelles. Une femme sur trois et un homme sur quatre subissent dans leur enfance une agression sexuelle.2 Dans un quart des cas, les auteurs de ces sévices sont des membres de la famille, dans la moitié des cas, des personnes connues et dans le quart restant, des inconnus. Un tiers des agresseurs sexuels sont des mineurs (âge moyen de quatorze ans). De nombreuses femmes abusées dans leur enfance continuent à être des victimes adultes.3 Quant aux enfants abusés, seuls 10% d’entre eux deviendraient des abuseurs pédophiles.4 L’augmentation de la violence ainsi que de la délinquance, ces dernières décennies, a été mise en relation avec la consommation d’alcool et de drogues (cocaïne), les flux migratoires, le chômage des jeunes, les phénomènes de bandes et la banalisation de la violence dans les médias et sur internet. Quant à la violence domestique, elle est favorisée par la précarité, les logements exigus, les stress chroniques (travail, bruits, manque de sommeil) conduisant à un épuisement. D’autres facteurs sont les problèmes psychiatriques (violence des psychotiques, des personnalités borderline ou antisociales), l’épuisement du soignant dans le cas d’un conjoint Alzheimer,5 l’abus de substances (alcool), etc. Il est important pour le praticien, qui est en première ligne des personnes consultées, d’envisager le diagnostic de maltraitance. Il devrait y penser en présence d’hématomes, de fractures suspectes, de troubles psychosomatiques (douleurs pelviennes, dyspareunie, côlon irritable, fatigue chronique, fibromyalgie, céphalées chroniques), de troubles alimentaires (boulimie), d’obésité morbide, de dépression inexpliquée.6,7 On observe un taux élevé de suicide chez les abusés de tout âge et une diminution de l’espérance de vie lors de maltraitance chez les personnes âgées.5 Le médecin consulté ne doit pas craindre de poser trois questions directes : 8 1) Estimez-vous avoir fait l’objet d’agressions verbales, physiques ou sexuelles ces derniers mois ? si oui, par qui ? ; 2) vous sentez-vous en insécurité avec votre partenaire actuel ? un ancien partenaire ? 3) qu’est-ce qui vous retiendrait de porter plainte contre votre agresseur ? De nombreuses femmes craignent si elles dénoncent leur conjoint de subir des représailles (physiques ou financières) et ne savent pas où se réfugier. D’autres souffrent du syndrome de Stockholm*.9 Une fois confirmée (parfois par des tiers), l’agression domestique étant considérée comme un délit d’office, on peut porter plainte. Selon le risque de représailles, il faudra recourir à une mise à l’abri urgente dans un foyer d’accueil. En cas de maltraitance chez un enfant, des précautions s’imposent pour évaluer l’ensemble de la situation familiale avant de le soustraire à la garde parentale.
La personne victime de violences peut subir un véritable syndrome post-traumatique qui nécessitera une prise en charge psycho-sociale sur le long terme et une psychothérapie adaptée pour restaurer l’estime de soi bafouée par un partenaire abusif. Ce dernier devrait aussi être pris en charge si on peut envisager le maintien de la vie de couple. On sait toutefois que certains facteurs sont de mauvais pronostics : des antécédents de délinquance, l’impulsivité, l’intolérance à la frustration, l’absence d’empathie, la misogynie, la tendance à la banalisation, à accuser l’autre, l’absence de désir de changement.
La prévention de la violence comprend d’abord des mesures politiques : diminution du chômage, quartiers et espaces de jeu et de sport conviviaux, meilleure isolation des appartements, interdiction de ventes d’armes. Dans les écoles, il faut sensibiliser aux problèmes posés par l’alcool et les drogues, informer les enfants sur les abus sexuels (cf. le permis de prudence remis aux élèves vaudois), donner des numéros de téléphone SOS pour les enfants ou femmes en détresse, mettre à leur disposition des lieux d’accueil où elles peuvent se réfugier avec leurs enfants. Il faut aussi sensibiliser les praticiens aux problèmes de maltraitance. Il faut promouvoir la prévention chez les femmes abusées dans l’enfance pour qu’elles ne restent pas toute leur vie des victimes ainsi que chez les enfants abusés.4,5 Il faut aussi aider les familles épuisées par les soins donnés à leur parent souffrant de la maladie d’Alzheimer.
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