C’est un événement de santé publique de portée planétaire. Trente et un ans après la variole : la « peste bovine ». Pour la première fois dans l’histoire, on peut annoncer officiellement l’éradication d’une maladie animale (d’origine virale, comme la variole) : la peste bovine. L’annonce vient d’en être solennellement confirmée à Paris par Bernard Vallat, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).1
Peste bovine ? Utilisons encore ici l’indicatif présent (pour, espérons-le, la dernière fois). On désigne ainsi une maladie virale contagieuse qui touche les artiodactyles,2 essentiellement les bovins et les buffles. Elle est due au Rinderpest virus ; virus de la famille des Paramyxoviridae, du genre Morbillivirus. Chez de nombreuses espèces d’animaux sauvages et domestiques artiodactyles (y compris les ovins et les caprins), l’infection est à l’origine d’une maladie qui se traduit par une symptomatologie frustre ; tel n’est pas le cas dans un troupeau de bovins ou de buffles hautement sensibles, espèces les plus souvent atteintes, le taux de mortalité pouvant alors atteindre 100%.
La peste bovine se propage par contact entre animaux porteurs du virus et animaux sains mais sensibles. Le virus est présent dans les sécrétions nasales animales quelques jours avant l’apparition des premiers signes cliniques. Par la suite, ce virus pathogène peut être retrouvé dans la plupart des liquides organiques. Soit l’évolution est fatale, soit l’animal guéri et acquiert une immunité spécifique. Outre bovins et buffles, ovins et caprins, la peste bovine peut aussi toucher zébus, koudous, gnous, différentes antilopes, potamochères, phacochères, et girafes. Certains animaux sauvages aussi peuvent être porteurs du virus sans présenter de signes de la maladie et peuvent, dans de rares cas, réintroduire la maladie par contact chez des populations d’animaux d’élevage.
Chez le bovin (espèce de loin la plus sensible), les signes classiques de la maladie réunissent fièvre, érosions buccales, jetage nasal et oculaire, diarrhées profuses et déshydratation ; un tableau qui précède souvent une issue fatale en dix à quinze jours. Dans les formes les moins sévères, les signes cliniques n’ont rien de pathognomoniques. Des épreuves sérologiques mettent en évidence une exposition au virus mais le diagnostic définitif repose sur l’identification du virus à partir du sang ou des tissus. Extrêmement dangereuse, elle est soumise à déclaration obligatoire.
Selon certaines hypothèses, la maladie aurait été introduite en Europe via les invasions des Huns. Environ deux cents millions de bovins en ont été victimes vers le milieu du XVIIe siècle. Dans les années 1880, elle a provoqué des pertes d’un million de têtes de bœufs en Russie et en Europe centrale et c’est quelques années plus tard que l’on comprit qu’il s’agissait d’une maladie infectieuse. En Europe, les dernières grandes épidémies ont été observées en Bulgarie en 1913, pendant la Guerre des Balkans et au début des années 1920 en Belgique. A l’échelon planétaire, le dernier foyer connu a été identifié au Kenya en 2001. Dix ans plus tard, l’éradication peut être considérée comme officielle.
« 1924 et 2011 sont des dates emblématiques, toutes deux liées au combat mondial contre la peste bovine, rappelle Bernard Vallat. 1924 : création de l’OIE suite à une nouvelle incursion du virus en Europe et à sa propagation sur d’autres continents. 2011 : déclaration commune officielle par l’OIE et la FAO de l’éradication mondiale de la maladie. » Ce succès n’a selon lui été possible que grâce à un travail de coopération entre les organisations internationales et régionales, aux partenariats publics et privés, aux gouvernements et aux éleveurs. Mais cette réussite a surtout été possible grâce aux services vétérinaires et à la profession vétérinaire tout entière, le manque de ressources dans beaucoup de pays infectés constituant un frein majeur à la mise en place de stratégies de lutte efficaces.
L’histoire est, à bien des égards, exemplaire. Bernard Vallat rappelle que c’est en 1924 (à la suite d’une nouvelle incursion du virus de la peste bovine en Europe, par le port d’Anvers) que quelques vétérinaires visionnaires décidèrent de créer une Organisation mondiale capable d’informer ses pays membres en cas d’épizootie et de leur fournir les informations scientifiques pertinentes pour mieux lutter contre les maladies animales. Près de 90 ans plus tard, les 28 pays signataires (de l’Accord international du 25 janvier 1924 portant création, à Paris, de l’Office international des épizooties) sont au nombre de 178.
Les premiers pas de l’OIE dans la lutte contre la peste bovine (en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient) ont consisté à établir une coopération scientifique avec les instituts de recherche nationaux existants afin de repérer les méthodes les plus efficaces pour éviter la propagation de la maladie, y compris la mise au point et la normalisation de vaccins sûrs et performants, et d’obtenir des consensus stratégiques. « Dès les années 1960, des campagnes massives de vaccination conduites par les pays membres concernés, accompagnées de mesures de contrôle classiques permirent une régression importante de la maladie, résume Bernard Vallat. Elle connut toutefois une réintroduction dévastatrice sur le continent africain, vingt ans plus tard, dans les années 1980. Aujourd’hui, 198 pays ont été reconnus libres de peste bovine par l’OIE avec l’appui permanent de la FAO, ce qui représente la totalité des pays détenant dans le monde des animaux susceptibles d’être infectés. »
Prochains objectifs : progresser dans le contrôle mondial d’autres maladies animales redoutables comme la fièvre aphteuse, la rage et la peste des petits ruminants.
Reste, pour la peste bovine, un dernier défi : celui de la « postéradication ». Bien que ne circulant plus chez les êtres vivants, le virus de la peste bovine est encore détenu par « certains laboratoires » notamment pour la fabrication de vaccins au cas où la maladie réapparaîtrait un jour du fait d’un accident ou d’un acte de bioterrorisme. Où l’on retrouve la problématique de la variole et la nécessité d’une gestion fiable et transparente de ces réservoirs viraux.