Après le sang, le pancréas. Ou plus précisément après les hématies, des lignées de cellules β pancréatiques humaines. Nous évoquions il y a peu (Rev Med Suisse 2011;7: 1782-3) l’obtention par une équipe française de globules rouges cultivés (GRc) créés in vitro à partir de cellules souches hématopoïétiques. Ces dernières avaient initialement été prélevées sur un homme, puis différenciées in vitro avant de pouvoir être auto-transfusés, le tout avec succès. «C’est là une percée majeure pour la médecine transfusionnelle» soulignait alors Luc Douay, directeur de l’équipe de recherche «Prolifération et différenciation des cellules souches» à l’Hôpital Saint-Antoine de Paris. Le coordinateur de cette équipe se déclarait aussi «convaincu que les GRc pourraient constituer une réserve illimitée de cellules sanguines et une alternative aux produits de transfusion classiques».
Or voici aujourd’hui une nouvelle première dans la création in vitro d’éléments cellulaires humains ; une nouvelle première également obtenue en France où des chercheurs de l’Inserm et du CNRS viennent d’annoncer avoir pu créer des cellules β pancréatiques humaines. Ce travail a été dirigé par Raphaël Scharfmann, directeur de recherche Inserm au sein de l’Unité 845 «Centre de recherche Croissance et signalisation» et dont l’équipe travaillait avec Philippe Ravassard (Centre de recherche de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, Paris) ; un travail mené en liaison étroite avec EndoCells (www.endocells.fr), start-up née de cette collaboration scientifique. Les résultats viennent d’être publiés dans le Journal of Clinical Investigation.1
Point n’est besoin de rappeler ici la complexité de la physiologie de l’organe pancréatique, à la fois siège de production d’hormones et acteur de leur libération dans l’organisme. On sait aussi que dans sa partie endocrine, le pancréas est le siège de différentes cellules dont les cellules β présentes dans les îlots de Langerhans ; du nom de l’anatomopathologiste allemand (1847-1888) qui les identifia et les décrivit à l’âge de 22 ans, alors qu’il était étudiant en médecine dans le laboratoire de Virchow. Sa publication constituait alors la première description fidèle de la structure microscopique du pancréas.
C’est parce qu’elles sont directement impliquées dans la production d’insuline (et indirectement dans l’apparition des diabètes de types 1 et 2) que ces cellules passionnent des milliers de chercheurs à travers le monde. Mieux saisir les raisons premières de leur destruction (ou de leurs dysfonctionnements) apparaît comme une clef essentielle qui permettra de progresser dans le domaine des thérapeutiques curatives et préventives des diabètes. A ce titre, disposer à volonté en laboratoire de lignées de cellules pancréatiques β humaines est un objectif que visent depuis plus de trente ans les équipes spécialisées. Et c’est précisément l’objectif que disent avoir atteint Raphaël Scharfmann et Philippe Ravassard.
Leur protocole expérimental n’est pas des plus simples, qui a recours à l’oncogenèse ciblée dans le tissu fœtal humain. Dans un premier temps, un vecteur lentiviral (exprimant SV40LT sous le contrôle du promoteur spécifique de l’insuline des cellules β) est transféré dans un fragment de pancréas fœtal humain. Ce vecteur viral peut s’intégrer «au hasard» dans l’ADN de très nombreuses cellules mais le gène «immortalisant» ne peut s’exprimer que dans les cellules β. Ce transfert de gènes assure donc un avantage sélectif aux cellules β qui vont alors se multiplier sans jamais mourir.
Les bourgeons tissulaires pancréatiques ainsi obtenus sont ensuite transplantés dans l’organisme d’une souris immunodéficiente (SCID) permettant la différenciation et l’amplification des cellules β matures. Après plusieurs mois, la tumeur formée est retirée et dissociée. Les cellules générées sont amplifiées en culture et des lignées de cellules βstables peuvent être obtenues. «Une de ces lignées cellulaires, EndoC-βH1, a exprimé de nombreuses cellules β des marqueurs spécifiques, sans aucune expression substantielle de marqueurs d’autres types de cellules du pancréas, précisent les auteurs de ce travail. Ces cellules représentent un outil unique pour fournir un modèle préclinique pour la thérapie de remplacement cellulaire dans le diabète. Cette technologie pourrait être généralisée à d’autres lignées cellulaires humaines lorsque la cellule de type promoteur spécifique est disponible.»
On peut le dire autrement : grâce à ce protocole innovant, les chercheurs ont réussi à obtenir des lignées cellulaires dont certaines ont des propriétés moléculaires et fonctionnelles très proches d’une cellule β humaine adulte. Ces cellules expriment tous les gènes d’une cellule β et aucune expression significative des autres hormones (du pancréas endocrine) ni des marqueurs du pancréas exocrine n’a été retrouvée. Pour tester l’efficacité des cellules ainsi obtenues, les chercheurs les ont ensuite greffées à une souris diabétique chez laquelle elles restaurent alors parfaitement le contrôle de la glycémie. «Grâce à cette découverte, de nombreuses équipes de recherche vont maintenant pouvoir travailler avec ces cellules β humaines tant attendues et tenter de mieux connaître leurs propriétés et leur dysfonctionnement ou leur destruction observés dans les diabètes de types 2 et 1, précise-t-on encore auprès de l’Inserm. Ces cellules permettront également de rechercher de nouvelles molécules régulant la prolifération et la fonction des cellules β humaines – ou d’être utilisées comme modèles précliniques de thérapie cellulaire.»
«La production à grande échelle de ces cellules nécessite des progrès technologiques supplémentaires dans le domaine de l’ingénierie cellulaire» précisait, il y a quelques jours, Luc Douay à propos de ses GRc. «Bien qu’il reste encore quelques étapes à franchir avant de pouvoir faire de ces cellules un véritable traitement pour les diabétiques, ces travaux représentent une base solide pour la définition de nouvelles approches thérapeutiques des diabètes» estiment pour leur part les créateurs des cellules β humaines.