Les diagnostics d’infection par mycobactéries non tuberculeuses, qui concernent le plus souvent le poumon, sont en augmentation. Seules quelques-unes des nombreuses espèces connues ont un pouvoir pathogène significatif. La contamination des patients, immunocompétents ou immunodéprimés, avec ou sans pathologie pulmonaire sous-jacente, se fait à partir de l’environnement. Le diagnostic, qui repose sur des critères standardisés, est basé sur les manifestations cliniques, la radiologie et des examens microbiologiques positifs, de préférence à plus d’une reprise (cultures de croissance lente et polymerase chain reaction). Il existe plusieurs tableaux caractéristiques, qui ressemblent notamment à la tuberculose ou combinent nodules et bronchiectasies. Le traitement associe plusieurs antibiotiques, est très long (parfois plus d’une année) et n’est pas toujours couronné de succès.
Les mycobactéries sont des germes aérobes, non motiles, possédant une paroi cellulaire épaisse et hydrophobe qui leur donne la propriété d’être résistants à la décoloration par l’acide et l’alcool (bacilles acido-alcoolo-résistants). Ces microorganismes sont répartis en trois groupes : le complexe Mycobacterium tuberculosis (essentiellement Mycobacterium tuberculosis et Mycobacterium bovis), Mycobacterium leprae et les mycobactéries non tuberculeuses (MNT) ou atypiques. Il existe plus de 120 espèces de MNT,1 mais seules quelques-unes sont impliquées dans des infections pulmonaires (tableau 1). La présence de ces bactéries dans les prélèvements cliniques peut faire suite à une contamination (par exemple : bronchoscope mal nettoyé), peut refléter un portage asymptomatique ou peut correspondre à une situation pathologique. Les personnes immunocompétentes, avec ou sans maladie pulmonaire sous-jacente, et les patients immunodéficients sont concernés. Les diagnostics d’infection par MNT sont en augmentation grâce à une amélioration des méthodes d’investigation (imagerie par CT-scan en haute résolution, microbiologie moléculaire) et probablement suite à une progression de l’incidence de la maladie.2,3 Les standards diagnostiques sont complexes et ont été précisés par l’American thoracic society 4 et par la British thoracic society.5
L’intérêt pour le sujet est attesté par la publication de plusieurs revues au cours des cinq dernières années.1,4,6-10
En plus des pathologies pulmonaires, les MNT sont responsables d’infections de la peau et des tissus mous, de lymphadénites et, chez les patients sévèrement immunodéficients, de maladie disséminée.
Les MNT sont des bactéries environnementales ubiquitaires présentes dans l’eau et le sol. Elles sont intrinsèquement résistantes au chlore et aux autres biocides. De nombreuses espèces peuvent survivre à des températures supérieures à 50° C. Elles parviennent dans les poumons suite à une aérosolisation. La transmission interhumaine des MNT ou la transmission entre les animaux et les humains n’a jamais été démontrée. Les tests cutanés de sensibilisation et les études sérologiques montrent que les infections à MNT sont communes, mais elles n’ont que rarement une expression clinique.
Parce que les maladies dues aux MNT ne doivent pas être déclarées aux autorités de santé publique, l’essentiel des connaissances épidémiologiques repose sur des extrapolations à partie de séries de cas et de bases de données de laboratoire. Elles varient selon les régions où les études ont été faites. Aux Etats-Unis, en 1999, une sensibilisation à Mycobacterium intracellulare a été constatée chez 16,6% des sujets dans une étude de population.11 Les isolats les plus fréquents dans ce pays sont le complexe Mycobacterium avium-intracellulare (MAC), suivi des mycobactéries à croissance rapide et de Mycobacterium kansasii. Dans la plupart des pays industrialisés, l’incidence des maladies pulmonaires à MNT varie entre 1 et 1,8 cas pour 100 000 personnes.4 En France, chez les personnes VIH-négatives, l’incidence de MNT a été récemment estimée à 0,73 cas pour 100 000 habitants, avec aux trois premières places MAC, Mycobacterium xenopi et M. kansasii.12
La classification traditionnelle des MNT repose sur leur production de pigments et leur vitesse de croissance. On distingue ainsi les mycobactéries à croissance lente (groupes I-III selon Runyon) et les mycobactéries à croissance rapide (groupe IV) (tableau 1). Pour les MNT à croissance lente, comme pour M. tuberculosis, la culture en milieu liquide permet généralement une détection en une à trois semaines, alors que la culture en milieu solide, qui permet l’étude de la morphologie, la distinction d’espèces multiples et la semi-quantification, est positive après trois à huit semaines. Les MNT à croissance rapide sont détectables en quelques jours. La caractérisation de l’espèce et l’obtention d’un antibiogramme demandent plusieurs semaines supplémentaires de culture.
L’utilisation des techniques moléculaires a révolutionné l’approche diagnostique des mycobactéries. La polymerase chain reaction peut se faire directement sur les prélèvements cliniques, permettant de distinguer M. tuberculosis des mycobactéries atypiques. Cet examen n’a toutefois une sensibilité intéressante que lorsque l’examen direct est positif. La culture reste le gold standard. Le séquençage de l’ADN bactérien pour l’identification de l’espèce peut être obtenu rapidement après la croissance des germes en culture et a remplacé les techniques d’identification phénotypiques.
La chromatographie en couche fine et celle à haute performance en phase liquide ont été longtemps utilisées par les laboratoires de référence mais ont perdu en importance depuis le perfectionnement des techniques moléculaires.
La compréhension de la pathogenèse des infections à MNT est incomplète car leurs facteurs de virulence sont mal caractérisés. On ne sait pas pourquoi, chez des patients apparemment immunocompétents, certains ont une maladie progressive et on ignore pour l’essentiel ce qui détermine la présentation clinique.
Plusieurs pathologies pulmonaires sont associées aux infections à MNT : pneumoconioses, silicose, tuberculose, protéinose alvéolaire et mucoviscidose.13 Les études de prévalence chez les patients atteints de mucoviscidose ont montré que 4 à 20% d’entre eux étaient touchés.7 Les infections à MNT sont plus fréquentes chez les personnes souffrant de bronchiectasies, mais elles peuvent elles-mêmes être à l’origine de dilatations bronchiques.
Chez les patients VIH-positifs, les infections à MAC sont fréquentes lorsque le compte de lymphocytes CD4 descend au-dessous de 50/µl, mais il s’agit d’infections disséminées dans lesquelles l’atteinte pulmonaire est inhabituelle. Les personnes qui ont une immunodépression moindre font plus volontiers des infections à M. kansasii de présentation classique. Lors de la remontée des lymphocytes CD4 sous traitement antiviral, il faut savoir détecter un syndrome de reconstitution immunitaire.
Les transplantés d’organes sont des sujets à risque. La prévalence d’infection chez les transplantés du cœur et des poumons s’élève à 9%.14
Chez les patients immunocompétents, on décrit trois formes prototypes d’infection à MNT : la forme fibrocavitaire, la forme nodulaire bronchiectasique et la pneumonie d’hypersensibilité (tableau 2). On a également décrit des nodules pulmonaires isolés. Ces formes classiques ont été définies sur la base de l’observation des infections causées par MAC, mais les autres espèces peuvent s’intégrer dans ce schéma avec une fréquence qui reflète leur prévalence et leur virulence.
Les maladies à MNT se présentent avec des symptômes pulmonaires non spécifiques, tels que la toux et la dyspnée, plus rarement des douleurs thoraciques et une hémoptysie. Les symptômes généraux comme la fièvre, les sudations, l’asthénie et la perte de poids surviennent lorsque la pathologie est avancée et sont moins fréquents que dans la tuberculose.
La forme fibrocavitaire ressemble à la tuberculose, touchant le plus souvent les lobes supérieurs. On la trouve chez des hommes âgés, fumeurs, souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive ou de pneumoconiose. Les cavernes ont des parois épaisses et ne montrent pas de niveau hydro-aérique. L’épanchement pleural et l’agrandissement des ganglions lymphatiques sont plus rares que dans la tuberculose. C’est le MAC et M. kansasii qu’on trouve le plus souvent à l’origine de cette présentation clinique, mais M. malmoense, M. xenopi et beaucoup plus rarement les mycobactéries à croissance rapide y sont également associées.1,6,10
La forme nodulaire bronchiectasique, manifestation la plus fréquente, touche préférentiellement des femmes âgées, non fumeuses, sans pathologie pulmonaire préexistante. On pense que le lobe moyen et la lingula accumulent des sécrétions colonisées par MAC ou par des mycobactéries à croissance rapide chez des patientes qui inhibent leur réflexe de toux. Cette présentation particulière a été appelée syndrome de Lady Windermere (d’après une pièce d’Oscar Wilde dont le personnage principal est une femme de l’ère victorienne, époque à laquelle la bienséance interdisait aux femmes de cracher).15 Le symptôme cardinal de la forme nodulaire bronchiectasique est une toux indolente persistante. Les symptômes généraux sont tardifs et peuvent être constatés à un stade où les dégâts pulmonaires sont déjà majeurs. Le CT-scan montre des nodules d’un diamètre inférieur à 5 mm avec ou plus rarement sans bronchiectasies, réalisant un aspect d’arbre en bourgeons (tree-in-bud). M. abcessus, la seule mycobactérie à croissance rapide communément associée aux pathologies pulmonaires, est surtout isolée dans ce tableau clinique.1,6,10
La pneumonie d’hypersensibilité se rencontre chez des patients sans pathologie pulmonaire sous-jacente qui ont été exposés de manière répétée à des concentrations élevées de MNT aérosolisées à partir d’eau contaminée, par exemple dans des bains à remous (hot tube lung). Les symptômes associent toux, dyspnée et fièvre transitoire et réapparaissent en cas de réexposition. Les examens radiologiques montrent un processus alvéolo-interstitiel avec infiltrats en verre dépoli diffus ou multifocaux et nodules centrolobulaires, dont l’intensité peut varier rapidement en fonction de l’exposition.1,6,10 Très rarement, cette pathologie peut survenir après une simple exposition à l’eau d’une douche.16
Chez les patients immunosupprimés, on rencontre un large spectre d’espèces et de présentations cliniques et radiologiques. Comme mentionné précédemment, les patients infectés par le VIH font rarement des infections pulmonaires.
Le pouvoir pathogène des MNT est très variable. Alors que certaines espèces, comme M. kansasii, sont généralement associées à une infection assez agressive, d’autres sont à l’origine de pathologies indolentes, voire ne sont le plus souvent responsables que d’une colonisation des voies aériennes. Le simple fait de détecter une MNT ne suffit pas pour poser un diagnostic d’infection et décider d’une thérapie. Les examens radiologiques donnent des arguments précieux, souvent très évocateurs, mais manquant de spécificité. Afin de standardiser et de faciliter la prise en charge des patients suspectés de souffrir d’une infection à MNT, l’American thoracic society, en collaboration avec l’Infectious diseases society of America, a développé des critères diagnostiques (tableau 3).4
L’évaluation des patients devrait inclure les éléments suivants : la caractérisation des symptômes pulmonaires ; une radiographie standard du thorax ou, en l’absence de cavitation, un CT-scan en haute résolution ; au moins trois sputa pour culture ; l’exclusion d’autres maladies pulmonaires comme la tuberculose et les néoplasies. Un lavage broncho-alvéolaire ou une biopsie pulmonaire ne sont pas requis et ne sont le plus souvent pas nécessaires.
Chez un patient symptomatique, le bilan radiologique doit montrer des opacités nodulaires ou cavitaires ou des bronchiectasies multifocales accompagnées de petits nodules multiples. Il faut de plus : deux cultures d’expectoration positives ou un lavage broncho-alvéolaire positif ou une biopsie montrant une image histopathologique évocatrice (granulomes ou BAAR) associée à un examen microbiologique positif.
Un diagnostic d’infection à MNT, posé grâce aux critères cliniques, radiologiques et microbiologiques de l’American thoracic society, ne pose pas d’emblée l’indication à un traitement antibiotique. Parce que les situations ne sont pas toujours claires et que la plupart des infections à MNT n’évoluent que lentement, il peut s’avérer judicieux de s’accorder une période d’évaluation prolongée, avec répétition de l’imagerie, avant de prendre une décision, surtout chez les patients âgés, peu symptomatiques et dans les cas où l’antibiothérapie risque d’être mal supportée ou est connue pour donner des résultats aléatoires. Un avis spécialisé (infectiologue, pneumologue) est nécessaire.
Les tests cutanés de sensibilisation par les MNT (l’équivalent du test de Mantoux) sont peu spécifiques et ne sont pas disponibles en routine. Il n’existe pas de tests sanguins comme ceux qui ont été développés récemment pour la tuberculose (tests de production d’interféron gamma).
Le traitement des infections à MNT est complexe (association de plusieurs antibiotiques dont le choix n’est pas toujours clairement guidé par l’évidence), long (jusqu’à douze mois après négativation des cultures), souvent mal supporté et cher. Le traitement du MAC dépend de la présentation clinique et associe un macrolide (clarithromycine ou azithromycine), l’éthambutol, la rifampicine et parfois un aminoglycoside en administration quotidienne ou pluri-hebdomadaire ; les échecs ne sont pas rares. M. kansasii répond bien à une thérapie d’isoniazide, de rifampicine et d’éthambutol. Le traitement de Mycobacterium abcessus associe généralement un macrolide, l’amikacine et l’imipénem (ou la céfoxitine), une chirurgie additionnelle étant souvent nécessaire. Mycobacterium chelonae et M. fortuitum sont traitées selon antibiogramme. L’isoniazide, la rifampicine, l’éthambutol associés ou non à un macrolide ou à une quinolone sont proposés pour M. malmoense. Le traitement de M. xenopi est controversé et peut associer l’isoniazide, la rifampicine, l’éthambutol et un macrolide, avec adjonction possible de streptomycine durant les premiers mois de traitement (tableau 4).4,6,8,10
La corrélation entre le résultat de l’antibiogramme et celui du traitement n’est pas toujours satisfaisante. Pour le MAC, c’est le résultat de l’étude à la sensibilité de la clarithromycine qui est le plus important. Pour M. kansasii, on s’intéresse surtout à la rifampicine.
Certaines atteintes focales peuvent bénéficier d’une approche chirurgicale associée au traitement médical, spécialement si les mycobactéries impliquées sont connues pour leur réponse peu satisfaisante aux antibiotiques.
La pneumonie d’hypersensibilité répond à l’éviction du facteur déclenchant et aux corticostéroïdes. L’utilité d’un traitement antibiotique est douteuse.
L’avis d’un expert est requis pour le choix des antibiotiques chez les patients infectés par des MNT rares, lorsqu’il y a une résistance in vitro, une mauvaise réponse thérapeutique ou une indication potentielle à un geste opératoire.
Les infections à MNT sont des pathologies peu fréquentes mais non exceptionnelles que le médecin de premier recours doit inclure dans son diagnostic différentiel devant certains tableaux cliniques ou radiologiques caractéristiques. Il demandera alors des examens microbiologiques à la recherche de mycobactéries, suivis ou accompagnés d’un avis spécialisé par un pneumologue ou un infectiologue. Il pourra être impliqué dans la supervision d’une antibiothérapie le plus souvent complexe et longue.
> Les mycobactéries non tuberculeuses (MNT) sont des germes de l’environnement qui sont occasionnellement à l’origine d’infections pulmonaires le plus souvent chroniques chez des patients prédisposés (maladie pulmonaire sous-jacente, immunodépression) ou non
> Comme Mycobacterium tuberculosis, la plupart croissent très lentement et peuvent être mises en évidence ou caractérisées en utilisant des techniques de biologie moléculaire
> Le complexe M. avium-intracellulare (MAC), Mycobacterium kansasii et les mycobactéries à croissance rapide (surtout Mycobacterium abcessus) sont les MNT pathogènes les plus souvent isolées
> Les tableaux cliniques classiques chez les patients immunocompétents sont la forme fibrocavitaire, la forme nodulaire bronchiectasique et la pneumonie d’hypersensibilité
> Le diagnostic d’infection à MNT est généralement posé en utilisant les critères de l’American thoracic society
> Le traitement est souvent difficile, long et repose sur des associations d’antibiotiques. L’indication au traitement dépend de plusieurs considérations et l’antibiothérapie n’est pas systématiquement couronnée de succès
Diagnosis of nontuberculous mycobacterial infection, which most often cause pulmonary disease, are increasing. Only a few of the numerous mycobacteria species are clearly pathogenic. Patients, either immunocompetent or immunocompromised, with or without underlying disease, are contaminated from the environment. Diagnosis, according to standardized criteria, is based on clinical picture, radiological exams and positive microbiological samples, usually on more than one occasion (slow growing culture and PCR). There are several typical presentations, such as tuberculosis-like disease and lung nodules associated with bronchiectasis. Treatment combines several antimicrobials, is long (occasionally more than one year) and is not always successful.