«Salus publica suprema lex», formule qui trône dans la salle de plusieurs législatifs de Suisse. Par quoi il faut entendre la santé publique mais aussi plus largement le salut public, la prospérité et la sécurité de la population. Dans les dernières «News» (n˚ 3/2011) de Santé publique Suisse, l’association professionnelle du domaine, sa dynamique présidente Ursula Zybach signe un éditorial traitant des élections fédérales d’il y a quelques jours. Elle rappelle qu’en santé publique les mesures se basent sur deux piliers principaux, les modifications de comportement et les mesures structurelles. On a parlé dans les années 1970-1980 de «maladies de libre choix», suite au fameux Rapport Lalonde, du nom d’un ministre canadien, en mettant l’accent sur la liberté individuelle de choisir. Depuis, on a bien réalisé que le contexte de vie dans ses diverses dimensions, socio-économique, culturelle, physicochimique (pollutions), joue un rôle majeur. Et qu’il faut éviter, de façon simpliste, de «blâmer les victimes» de modes de vie défavorables. Oui, chacun peut contribuer à sa propre santé et les efforts pédagogiques dans ce sens sont indispensables mais les conditions-cadres structurelles ont une importance éminente, voire prééminente. Au plan politique large, rappeler l’axiome «La santé publique, c’est d’abord la justice sociale».
Ces aménagements sociétaux peuvent être le fait d’organismes privés et sont aussi, clairement, une mission des pouvoirs publics – y compris dans une société libérale. Exemple : les limitations de vitesse, le port obligatoire de la ceinture de sécurité et du casque, le contrôle de l’alcoolémie, l’amélioration du réseau routier, les mesures légales, agissent plus efficacement et à moindre prix que les seuls efforts à visée éducative – sans sanction et qu’il faudrait répéter encore et encore. Le 7 octobre au matin, débat à la Radio romande sur les moyens de diminuer les éléments qui, dans notre nourriture, nuisent à une bonne santé (graisses…) : sans doute ne voulons-nous pas d’un «menu fédéral» prescrit par l’Administration pour chaque jour de la semaine mais on ne saurait s’en remettre béatement à la bonne volonté, à bien plaire, de l’économie. Des exigences sur la composition de ce qui est manufacturé, vendu et mangé sont une pièce nécessaire des actions à mettre en œuvre, ainsi que le font le Danemark et la Norvège. En passant, phrase de Jacques Attali (sans doute mieux qu’un borgne dans un monde où il y a trop d’aveugles) à propos de son livre «Demain, qui gouvernera le monde ?» (Fayard, 2011) : «Le problème [de l’économie de marché] est qu’elle est sans contrôle et sans garde-fous. Il n’existe aucun outil pour assurer le respect des normes sociales et environnementales».
L’Etat doit être en mesure d’agir quand l’efficacité et l’efficience le justifient. Cela n’enlève rien à la pertinence des possibilités de l’éducation pour la santé, les deux axes sont complémentaires. Et l’on veut croire que les nouvelles Chambres fédérales mettront rapidement sous toit la loi sur la prévention dont elles ont débattu en 2011. La présidente de Santé publique Suisse note aussi qu’il y avait cette année moins de femmes candidates qu’auparavant, alors que des sujets comme la double charge féminine de travail, l’inégalité persistante des revenus selon le genre, leur contribution plus importante aux soins aux personnes âgées et dépendantes demandent derechef à être traités. Elle termine en rappelant que, malgré son importance, la santé est rarement prioritaire dans les agendas politiques (jamais ? observation décevante pour le signataire de ce billet). On ne saurait l’illustrer mieux que par cette célèbre réplique du président de Gaulle à Georges Pompidou lui présentant un futur gouvernement. Pompidou : «Mon Général, à qui donnerai-je le ministère de la Santé ? Réponse : «A n’importe qui, Pompidou, cela lui fera plaisir».
Près du terrain, développement intéressant du côté pédagogique d’une meilleure santé : «Fribourg muscle la médecine scolaire», titre Le Temps du 27 septembre. Les Conseillères d’Etat concernées (instruction publique et santé) mettent en consultation un renforcement du domaine, suite au constat suivant : «Les faiblesses du modèle actuel sont inhérentes au système de milice, qui a pour corollaire un manque de coordination et de pilotage». Le nouveau programme fribourgeois ne se limitera pas aux aspects strictement médicaux mais veut être mieux à l’écoute des difficultés des élèves et anticiper les problèmes. Note de J. M. : le système de milice à la suisse a des aspects appréciables, voire exemplaires mais on doit aussi reconnaître quand il atteint ses limites (sur Vaud, on a procédé à une évolution telle que celle que souhaite le canton voisin).
Dernière chose : des milieux marqués par les intégrismes qui préfèrent se baser sur des impressions non documentées plutôt que sur les faits, ont lancé en Suisse alémanique une pétition contre l’éducation sexuelle à l’école, dont pourtant les progrès qu’elle apporte sont amplement démontrés (info complémentaire à disposition des lecteurs intéressés). On veut croire que nous autres médecins, profession scientifique, nous déterminons par rapport aux faits.